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Père l'indépendance, l'inviolabilité, les prérogatives personnelles d'un souverain sur le sol italien; les attentats contre sa personne sont punis avec la même rigueur que les attentats dirigés contre le roi d'Italie lui-même; le droit de légation actif et passif lui appartient. « Le monde catholique, affirmait solennellement le ministre des affaires étrangères Visconti-Venosta, dans une circulaire écrite au lendemain de l'occupation de Rome, ne sera pas menacé dans ses croyances par l'accomplissement de l'unité italienne. La grande situation qui appartient personnellement au Saint-Père ne sera pas diminuée, et son caractère de souverain, ses immunités lui seront entièrement garantis. >> Le Pape est donc regardé comme souverain par ceux-là mêmes qui l'ont dépouillé de ses États; il en partage les prérogatives avec le monarque qui a succédé à son pouvoir temporel; à ce titre, il peut acquérir, il peut posséder; témoin l'hôpital Santa-Galla, que la famille Odescalchi a donné au Saint-Siège, à Rome même, et dont personne ne songe à lui contester la propriété.

Si telle est la situation, si tels sont les droits du Pape au sein de l'Italie unifiée, à plus forte raison sa souveraineté, et la personnalité morale qui en découle sont-elles demeurées intactes dans ses rapports avec le dehors, avec la France notamment. Cela résulte suffisamment de ce fait que le Gouvernement français se considère toujours comme lié envers le Saint-Siège par le Concordat de 1802, qu'il négocie avec le Vatican, qu'il accrédite un ambassadeur auprès de lui, et qu'il en reçoit un nonce apostolique. « C'est au Pape, s'écriait un ministre français des affaires étrangères, M. Duclerc, dans la séance de la Chambre des députés du 20 novembre 1882, c'est au Pape, représentant d'une grande puissance politique, que les ambassadeurs étaient autrefois envoyés. Or, je vous demande si cette puissance politique s'est trouvée diminuée par la suppression du pouvoir temporel? Même après cette suppression, le Pape est encore ce qu'il a toujours été, une puissance politique.

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Le Pape n'a donc pas cessé d'être une puissance politique, un souverain au regard de la France; et ce souverain sans armée, sans royaume, peut réclamer parmi nous tous les droits, toutes les immunités auxquels les autres souverains peuvent prétendre, entre autre l'immunité de juridiction', et aussi la protection particulière que les lois sur la presse assurent aux chefs d'État étrangers'. Dès lors on ne voit pas pourquoi cette égalité qu'on reconnaît au Saint-Siège dans le domaine politique, on la lui refuserait dans la sphère des intérêts privés. Capable comme les autres États, comme les autres souverains, d'entretenir des relations diplomatiques avec nous, il doit être aussi capable qu'ils le sont eux-mêmes d'acquérir, par donation ou par legs, des immeubles sur notre territoire, en dehors de toute autorisation du Gouvernement français.

Aussi ne pouvons-nous souscrire à la doctrine contenue dans le jugement du tribunal civil de Montdidier du 4 février 1892, qui, tout en proclamant la capacité de recueillir du Saint-Siège, en subordonne l'exercice à l'autorisation du Gouvernement francais; et à plus forte raison repoussons-nous la thèse de la Cour d'Amiens qui, confondant la qualité de souverain du Saint-Père et celle de chef visible de l'Église catholique, affirme que ces qualités sont indivisibles, que le chef de l'Église étant incapable de recevoir comme tel, le souverain ne le peut pas davantage, même avec autorisation3. Ce sont là de pures allégations. En ad

Trib. Gand, 15 janvier 1884 (Pasicrisie, 1884. 3. 39); Bruxelles, 23 février 1885 (ibid., 1885. 2. 89); G. Piot, op. cit., p. 127 et suiv.

2 Trib. sup. Madrid, 20 octobre 1886 (Rev. de derech. intern., 1887, p. 62; Journal du dr. int. pr., 1887, p. 755).

3

Amiens, 21 février 1893 (Journal du dr. int. pr., 1893, p. 384, et les conclusions de M. le procureur général Melcot). « Vainement, dit la Cour, le Pape soutient qu'il a été gratifié comme « chef et représentant de la puissance souveraine, désignée en droit public international sous le nom de Saint-Siège et de Papauté, » en d'autres termes, que le Pape aurait été envisagé par la testatrice comme le chef d'un Etat étranger, d'où il suivait, dans le système du Saint-Siège, que les États étrangers ont l'aptitude à posséder en France, qu'ils ont la personnalité civile les ren

mettant que l'Église catholique n'ait pas, par elle-même, l'aptitude nécessaire pour posséder et pour acquérir en France, encore aurait-il fallu démontrer dans l'espèce, que c'est l'Église, et non pas le Saint-Siège, personne du droit international, que le disposant avait entendu gratifier. Or, pareille appréciation, quoi qu'en dise la Cour, est en contradiction absolue avec les termes mêmes du testament annulé; l'affectation donnée aux immeubles légués, qui doivent servir de résidence au nonce, représentant diplomatique de la Papauté à Paris, atteste avec évidence que

dant aptes à recevoir, dès lors qu'ils sont reconnus diplomatiquement par le Gouvernement français, circonstance qui, ajoute-t-on, existe au profit du Pape qui représente le Saint-Siège; sur la question de savoir si la testatrice avait entendu gratifier, en la personne du Pape, le chef d'une puissance souveraine. Cette interprétation de la volonté de la testatrice est contredite, non-seulement par les termes mêmes du testament et les autres éléments versés au débat, mais encore par cette circonstance qu'il ressort de tous les éléments de la cause que la libéralité litigieuse ne s'adresse pas au chef de l'État temporel qui aurait été conservé par le Pape; en effet, gratifier un souverain, pris comme chef d'État, c'est gratifier nonseulement ce chef d'État, mais encore les nationaux qui, avec lui, constituent cet État; c'est seulement dans ces conditions qu'il peut être question de la personnalité morale pour le chef d'un État; il est constant pour la Cour que l'intention de la testatrice n'a jamais été de concourir, par ses bienfaits, à la grandeur, en tant que nation, au bien-être individuel, au fonctionnement des services publics chez les quelques milliers d'hommes qui habitent, autour du Pape, les domaines sur lesquels le Gouvernement italien a reconnu, au profit du Saint-Siège, le privilège de l'exterritorialité; du moment où il est acquis que le Pape a été institué comme chef visible de l'Église catholique universelle, et non comme souverain d'un État étranger, il est sans intérêt de rechercher si le Pape est demeuré un souverain temporel, au moins dans les limites réduites que lui a imposées un acte unilatéral du Gouvernement italien, la loi des garanties du 13 mai 1871, et si la faculté, pour les États étrangers, de recevoir et de posséder en France constitue, à leur profit, un droit ou une simple tolérance du Gouvernement français. Il est également sans intérêt d'examiner la question de savoir si le Pape serait resté chef d'un État purement spirituel qui partagerait l'aptitude à posséder en France que les conclusions du Saint-Siège attribuent à tout État étranger. En effet, pour la Cour, la qualité de chef d'un pareil État se confond avec celle de chef visible de l'Église catholique; le premier ne peut avoir plus d'aptitude à posséder en France que n'en aurait le second. » Cf. Moreau, dans le Journal du dr. int. pr., 1892, p. 337 et s.

c'est au Pape, souverain, et non au Pape, chef de la communion des fidèles, que la marquise du Plessis-Bellière avait voulu laisser sa fortune1.

Laissons maintenant ces données générales sur la condition juridique des personnes morales étrangères en France, et arrivons aux sociétés de commerce, dont l'importance, tous les jours plus grande, réclame des développements particuliers.

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La société commerciale est, au regard de la loi française, toute réunion de personnes ou de capitaux, ayant pour but d'accomplir des actes de commerce, c'est-à-dire, aux termes de l'article 632, § 2, du Code de commerce, « d'acheter des denrées et des marchandises pour les revendre3; » et une tradition lointaine attribue à toutes les sociétés de commerce constituées en France une personnalité juridique, distincte de celle de leurs membres. Cette tradition a force de loi ; d'ailleurs, elle se trouve confirmée par un certain nombre de dispositions légales, qui, sans reconnaître expressément

1 Cf. Ducrocq, étude précitée.

2 V. sur ce sujet Lyon-Caen, De la condition légale des sociétés étrangères en France et de leurs rapports avec leurs actionnaires, porteurs d'obligations et autres créanciers, Paris, 1870; Pipi, De la condition légale des sociétés étrangères en France (Thèse de Paris), 1884; Chervet, Des sociétés commerciales en droit international privé (Thèse de Paris), 1886; Pineau, Des sociétés commerciales en droit international privé, Paris, 1894.

s Lyon-Caen et Renault, Précis de droit commercial, 1re édit., t. I, p. 138; Traité de droit comm., 2o édit., t. II, p. 67, et loi belge du 18 mai 1873, art. 1er.

V. loi belge de 1873, art. 2.

aux sociétés le caractère de personnes morales, leur attribuent certains droits qui l'impliquent'.

L'article 19 du Code de commerce distingue trois espèces de sociétés commerciales :

a) La société en nom collectif, dans laquelle tous les associés, faisant le commerce sous une raison sociale, sont personnellement et solidairement tenus des dettes sociales. (art. 20 et suiv.).

b) La société anonyme, société de capitaux, dans laquelle aucun des associés n'est personnellement obligé et ne peut être poursuivi pour une part supérieure à son apport (art. 29).

c) Enfin la société en commandite, soit simple, soit par actions, dans laquelle on trouve d'une part les commandités qui, comme les associés en nom collectif, répondent sur tous leurs biens des dettes sociales, de l'autre les commanditaires ou actionnaires qui encourent une responsabilité limitée à leurs apports (art. 23 et 38).

On peut ramener ces diverses sociétés à deux groupes : les sociétés par intérêts, fondées sur la considération de la personne des associés, sur leur crédit personnel, dans lesquelles les parts du capital social, souvent inégales, ne sont

1 C'est ainsi que l'article 529 du Code civil considère comme mobilier le droit de chaque associé, alors même que la société posséderait des immeubles, et retarde par suite jusqu'à la dissolution de cette dernière l'établissement de l'indivision entre les divers associés. Et d'autre part, l'article 69-6° du Code de procédure civile suppose qu'une société commerciale peut jouer dans un procès le rôle de défenderesse, et détermine le lieu où elle doit être assignée. On est cependant d'accord pour refuser la personnalité civile aux sociétés commerciales en participation, c'est-à-dire, suivant l'opinion commune, aux sociétés qui, « relatives à une ou plusieurs opérations de commerce » (C. comm., art. 48), sont dispensées des formalités et des mesures de publicité requises pour les autres sociétés, et ne sont pas opposables aux tiers. Cf. Lyon-Caen et Renault, op. cit., 1re éd., t. I, p. 283 et loi belge de 1873, art. 3.

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2 La raison sociale, formée de la combinaison des noms de tous les associés ou de quelques-uns d'entre eux, sert à individualiser la société, à la désigner comme une personne distincte de celle des associés. Lyon-Caen et Renault, op. cit., 1re éd., t. I, p. 145.

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