Page images
PDF
EPUB

analogie entre ces deux situations essentiellement différentes.

Dans tous les cas, mème en prenant comme point de départ la théorie de la jurisprudence, il nous paraît singulièrement hasardé de scinder la puissance paternelle, de faire un choix entre ses divers attributs, de déclarer, ainsi que le font MM. Aubry et Rau, que les uns doivent être considérés comme des droits naturels, parce qu'ils sont «< une conséquence nécessaire des devoirs que la nature impose aux père et mère1, >> tandis que les autres, n'étant pas «< une conséquence des devoirs que la nature impose à la paternité3, » sont des droits civils et ne peuvent appartenir aux étrangers.

La puissance paternelle est un tout. Ce que veut la nature, ce qui est un droit naturel, c'est le droit de l'enfant à la protection de ceux qui l'ont mis au monde; le mode suivant lequel cette protection doit être organisée, les facultés qu'elle confère et les obligations qu'elle engendre, chaque législateur les détermine à son gré, en tenant compte des mœurs, du degré de culture de ses ressortissants, et il n'appartient à personne de dire avec certitude que tel système législatif est plus voisin de la nature que tel autre.

Dès que l'étranger est reconnu capable d'exercer la puissance paternelle, il doit être, il est par cela même naturellement capable d'invoquer tous les droits, de recourir à tous les moyens légaux propres à faciliter sa tâche au mieux des intérêts de l'enfant. Mais d'autre part ce dernier, quelle que soit sa nationalité, peut invoquer la protection de la loi française. La déchéance organisée par la loi française du 24 juillet 1889 (Arg. C. civ., art. 3, § 1), sera, nous le verrons plus tard, encourue par le père de fa

1 Aubry et Rau, 4o éd., t. I, p. 302.

2 Aubry et Rau, 4o éd., t. I, p. 303, note 60 (passage cité à la page 197). D. Protitch, De la puissance paternelle en droit international privé (Thèse de Paris), 1892, p. 40 et s.

• Voy. ci-dessous, tome troisième.

mille étranger dans tous les cas que cette loi détermine : << mettre l'enfant à l'abri des sévices dont il peut être l'objet, le sauver de la contagion des mauvais conseils et des mauvais exemples; c'est là un devoir d'humanité, devoir impérieux et que la conscience commande de remplir au regard des étrangers, comme au regard des nationaux. L'État qui s'y refuserait ne compromettrait pas seulement ses intérêts vitaux, le soin de sa propre conservation; il fermerait encore les yeux à un devoir élémentaire imposé par l'humanité même et encourrait une juste réprobation1.

>>

De même que le père étranger n'est pas privé du droit de correction et du droit de jouissance légale sur les biens de son enfant, de même aussi il doit être admis, en cas de dissolution de son mariage, à gérer la tutelle des mineurs qui en sont issus. Le droit de tutelle, que la loi consacre au profit du père ou de la mère, est un attribut et une dépendance de la puissance paternelle, qui se survit en quelque sorte à elle-même; comme la puissance paternelle, il peut être réclamé par le père étranger.

Autrement à quelles conséquences n'aboutirait-on pas? Un Français, père d'un enfant mineur, obtient à l'étranger des lettres de naturalisation qui, suivant l'opinion commune, lui demeurent personnelles au regard de la loi française; il conserve, de l'aveu de tous, sur cet enfant, resté Français, l'exercice de la puissance paternelle, la garde de sa personne et l'administration légale de ses biens. Mais que le mariage du ci-devant Français vienne à se dissoudre, et par suite la tutelle de son enfant mineur à s'ouvrir, tout change, suivant ceux qui refusent à l'étranger le droit de tutelle. Alors disparaît la confiance dont la loi l'a honoré jusque-là. Tant que son mariage a duré, elle l'a réputé bon père et administrateur diligent. Désormais, elle le

1 Pillet, dans le Journal du droit int. pr., 1892, p. 9.

juge incapable d'exercer les pouvoirs beaucoup moins étendus que la tutelle confère'. Il faudrait un texte législatif formel pour nous contraindre à accepter une semblable contradiction, et nous n'en trouvons aucun3.

Ce silence de la loi autorise la distinction que nous avons présentée ci-dessus entre la tutelle d'un parent de l'incapable, et celle d'une personne qui ne lui est pas unie par les liens du sang; l'une constituant un droit de famille, l'autre une véritable fonction politique3. Ainsi, dans notre opinion, le père, et d'une manière générale tout parent ou allié étranger de l'enfant, puisant sa vocation dans les relations de famille, est capable d'être tuteur, subrogé-tuteur, curateur, ainsi que de siéger dans le conseil de famille. d'un Français*.

Un étranger peut-il adopter en France ou y être adopté? Il va sans dire que les auteurs qui refusent à l'étranger la jouissance des droits privés qui ne lui ont pas été formellement reconnus se prononcent pour la négative; mais, même parmi ceux qui font de la distinction des droits naturels et des droits civils la base de leur doctrine, on n'est pas d'accord sur la solution juridique que la question comporte.

A l'appui d'une première opinion, on fait valoir en faveur

'Demolombe, t. I, p. 379.

pr.

C'est à tort que quelques auteurs s'appuient, pour établir qu'à Rome l'étranger ne pouvait être tuteur, sur la définition que Paul a donnée de la tutelle (vis ac potestas jure civili data ac permissa) dans la L. 1, De tutelis, au Digeste (XXVI, 1). Ce texte signifie seulement que la tutelle n'est pas une institution prétorienne. Jus civile fait ici antithèse à jus honorarium ou prætorium. D'autres textes, au contraire, rattachent la tutelle au droit naturel : « quia id naturali rationi conveniens est, ut is qui perfectæ aetatis non sit, alterius tutela regatur » (Inst. Just., I, 20, § 6). L'incapacité d'être tuteur à Rome résultait pour l'étranger, d'une part de l'absence de toute parenté civile (agnatio), de l'autre de la privation de la factio testamenti. Cf. Fiore, op. cit., p. 302 et ci-dessus, p. 30. V. ci-dessus, p. 160.

* Cf. les autorités invoquées ci-dessus, p. 160, note 3, in fine. * Demolombe, t. I, p. 376.

du droit de l'étranger une double considération. L'adoption n'est à vrai dire qu'une imitation du mariage et des rapports de famille qu'il engendre; comme le mariage, elle établit entre deux personnes d'âges différents la puissance paternelle; elle crée entre l'adoptant et l'adopté un lien de paternité et filiation fictive. Adoptio naturam imitatur. Or, le mariage n'est pas interdit à l'étranger en France; la puissance paternelle véritable lui est accessible; pourquoi la fiction ne le serait-elle pas? D'autre part, aujourd'hui que l'adoption laisse subsister entre l'adopté et ses parents naturels la plupart des rapports et des droits qui dérivent de sa naissance, elle s'analyse, à peu de choses près, en un règlement de succession opéré par contrat. L'adopté acquiert sur les biens de l'adoptant tous les droits d'un enfant légitime (C. civ., art. 350); ct, tout étranger étant dans le droit actuel capable de transmettre et de recueillir directement par succession ou par testament, il n'y a aucune raison pour l'empêcher d'arriver, par une voie détournée, au même résultat '.

On répond, dans une deuxième opinion, que le mariage et l'adoption n'ont qu'une similitude apparente. L'un est une des fonctions naturelles de la vie humaine; la loi lui doit ses encouragements et sa protection. L'autre, au contraire, est le plus souvent inutile et même dangereuse, parce qu'elle détourne du mariage aussi les précautions dont la loi l'entoure attestent-elles sa défaveur.

Le mariage établit dans la plupart des cas l'unité de nationalité entre les membres de la famille; l'adoption laisse à chacun sa patrie, et, si l'adoptant est Français, l'adopté étranger, ou inversement, il résultera de cette diversité des difficultés multiples', qu'il est naturel d'éviter en refusant à l'étranger le droit d'adopter ou d'être adopté sur notre territoire.

Laurent, op. cit., t. III, no 344.

2 Voy. tome troisième et notre Traité élém. de dr. int. pr., 2o éd., p. 565 et s.

Dira-t-on que l'adoption est un véritable testament contractuel, et que, depuis la disparition des incapacités successorales de l'étranger en 1819, il n'y a plus de motif pour l'empêcher d'y recourir? Mais, c'est oublier que les effets de l'adoption ne se limitent pas aux biens de l'adoptant. Le droit de succession que l'article 350 du Code civil attribue à l'adopté n'est lui-même qu'une conséquence du rapport de filiation fictive qui naît de l'adoption, et dont l'influence se manifeste à plusieurs points de vue, notamment pour la transmission du nom (C. civ., art. 347), pour l'obligation alimentaire (C. civ., art. 349), pour les empêchements au mariage (C. civ., art. 348).

L'adoption d'ailleurs ne présente pas ce caractère d'universalité qui est la marque du droit naturel; plusieurs législations étrangères ne la connaissent pas. On peut donc dire qu'elle est une institution civile, une création de notre droit national, et les formalités mêmes auxquelles la loi française. a soumis l'adoption sont la meilleure preuve qu'elle n'a pas entendu l'ouvrir aux étrangers. En effet, si l'adoptant n'appartient pas à la nationalité française, quelle sera la valeur, quelle sera la portée de la double enquête que les articles 355 et 357 prescrivent au tribunal civil et à la Cour d'appel, appelés à homologuer l'adoption? La moralité de l'adoptant ne peut être appréciée que dans le milieu où il a vécu, et s'il est étranger, les investigations de la justice française, s'exerçant en dehors de notre territoire, seront souvent infructueuses1.

D'ailleurs, dans ce système, comme dans celui qui n'accorde à l'étranger d'autres droits que ceux qui lui ont été

'Merlin, Questions de droit, vo Adoption, § 2; Soloman, pp. 53 à 56; Aubry et Rau, 4o éd., t. I, p. 304, note 61 et les autorités citées; Cass. civ., 5 août 1823 (Sir. 1823. 1. 353); Cass. req., 22 novembre 1825 (Sir. 1826. 1. 142; D. P. 1826. 1. 7); Cass. civ., 7 juin 1826 (Sir. 1826. 1. 330; D. P. 1826. 1. 299); Cass., 21 mars 1861 (Sir. 1861. 1. 209); Paris, 14 novembre 1864 (Gazette des tribunaux du 4 janvier 1865). Trib. Seine, 4 août 1883 (Journal du dr. int. pr., 1884, p. 179; Revue critique, 1884, p. 705. Ex. doctr. par M. L. Renault).

« PreviousContinue »