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que

la législation de son pays reconnaisse l'entière capacité des Français. Le système de la réciprocité législative ne reçoit que de rares applications en France; et c'est à la réci procité diplomatique, il n'est pas inutile de le rappeler, que le Code civil a donné la préférence1: un traité est donc nécessaire.

Les traités que notre pays a signés, dans la sphère du droit privé, ont le plus souvent un objet spécial: ils concernent les relations commerciales, les droits d'auteur, les marques de fabrique, les dessins ou modèles industriels, la compétence judiciaire, les attributions des consuls; mais il en est cependant dont la portée est générale : telle la convention franco-serbe du 18 juin 1883; telle encore la convention entre la France et l'Espagne du 7 janvier 1862, dont le bénéfice sera valablement réclamé par les nationaux des États ayant stipulé de la France, en matière de droit civil ou d'établissement, le traitement de la nation la plus favorisée. L'article 2 de cette dernière convention s'exprime ainsi : « Les Français en Espagne, et les Espagnols en France jouiront réciproquement d'une constante et complète protection pour leurs personnes, et auront les mêmes droits (excepté les droits politiques) et les mêmes privilèges, qui sont ou seront accordés aux nationaux, à la condition toutefois de se soumettre aux lois du pays. »

Ayant ainsi établi ce que nous croyons être le système général adopté par le Code civil à l'égard des étrangers, il nous reste à en faire l'application aux divers droits privés qui sont reconnus par la loi française: nous nous occuperons successivement des droits de famille, de ceux qui sont compris dans le patrimoine, ou droits patrimoniaux, enfin

' V. ci-dessus, p. 181.

2 Sur l'application et la portée de cette clause du traité franco-espagnol, voy. Cass., 26 janvier 1892 (Rev. prat. de dr. int. pr., 1892. 1 p. 78).

du domicile dont la détermination importe aux uns comme

aux autres.

TITRE II.

DROITS DE FAMILLE.

Presque tous les droits de famille ont leur point de départ dans le mariage; la création d'une famille est le but auquel tendent tous les hommes; et toutes les législations l'encouragent et la facilitent : « La faculté de contracter mariage, disait Portalis dans son Exposé des motifs, n'est pas locale; elle ne saurait être circonscrite dans le territoire; elle est pour ainsi dire universelle, comme la nature qui n'est absente nulle part. »

Aussi tout le monde est-il aujourd'hui d'accord pour reconnaître à l'étranger le droit de se marier sur le territoire français; mais les motifs sur lesquels les différents auteurs appuient cette décision varient avec les systèmes généraux qu'ils professent sur la condition civile des étrangers en France. Pour M. Demolombe, l'étranger est capable de contracter mariage, parce qu'il y est autorisé, sinon directement, tout au moins implicitement par les articles 12 et 19 du Code civil'; pour MM. Aubry et Rau, cette faculté lui appartient, parce qu'elle dérive du droit des gens, parce qu'elle constitue un droit naturel; pour MM. Demangeat et Valette, enfin, l'étranger est libre de se marier en France, par cela seul que le législateur ne le lui a pas expressément défendu 3; et, en combinant ces

1 Demolombe, t. I, pp. 377 et 378.

2 Aubry et Rau, t. I, p. 301. M. Guichard n'est pas de cet avis, et, pour soutenir que, dans le système du Code civil, le mariage est de droit civil, il invoque l'article 25 qui déclare le mort civilement incapable de contracter mariage et dissout l'union antérieurement formée par lui. Traité des droits civils, pp. 10 et 351.

* Demangeat, op. cit., p. 360.

deux derniers motifs, ainsi que nous l'avons déjà fait cidessus1, nous arrivons à la même conclusion.

De ce que le droit de contracter mariage ne peut, de l'aveu de tous, être refusé à l'étranger, il résulte naturellement que les conséquences de l'union, qu'il a régulièrement formée, soit en France, soit à l'étranger, voire même que les causes qui sont de nature à amener le relâchement ou la dissolution de cette union, pourront être invoquées par lui ou contre lui, toujours à la condition que les unes et les autres soient également reconnues par la loi nationale de l'étranger et par la loi française, car nous laissons pour l'instant de côté l'hypothèse où ces deux lois seraient en conflit.

La femme devra obéissance à son mari et sera obligée d'habiter avec lui; le mari sera tenu de protéger sa

'Cf. ci-dessus, p. 189.

"Il a cependant été jugé par plusieurs décisions récentes, que la faculté de demander le divorce fait partie des droits civils, dont la jouissance est en principe réservée aux seuls nationaux. Trib. Seine, 10 décembre 1888; 2 juillet 1889 (Journal du dr. int. pr., 1890, p. 874; Revue prat. de dr. int. pr., 1890. 1. 46); 11 décembre 1889 (Journal du dr. int. pr., 1889, p. 814); 16 décembre 1889 (ibid., 1889, p. 813; Le Droit du 23 décembre 1889); 30 avril 1890 et 20 mai 1890 (Revue prat. de dr. int. pr., 1890, p. 46 et s.). Il y a là une attitude nouvelle de la jurisprudence; jusqu'à ces dernières années, les tribunaux refusaient de connaître des demandes en divorce ou en séparation de corps entre étrangers, non en se fondant sur le caractère du droit allégué, mais sur leur prétendue incompétence. Voy. à cet égard les observations sous les dernières décisions rapportées, dans la Revue prat. de dr. int. pr., 1890, p. 48; et dans le Journal du dr. int. pr., 1890, p. 482. Le système admis par le tribunal de la Seine conduirait à dénier, contrairement à la pratique actuelle, toute compétence aux juges français, même pour ordonner des mesures provisoires entre époux étrangers, même pour prononcer leur divorce dans le cas où aucun tribunal étranger n'aurait qualité pour cela. Cf. sur les difficultés que soulève, en matière de divorce entre étrangers, la compétence des tribunaux français, ci-dessous, t. V, et notre Traité élém. de dr. int. pr., 2e éd., p. 785.

3 Bastia, 21 mai 1856 (Sir. 1871. 2. 45); Trib. Evreux, 15 février 1861 (D. P. 1862. 3. 39; Sir. 1871. 2. 45, ad notam); Alger, 6 juin 1870 (Sir. 1871. 2. 45); Trib. Seine, 16 juillet 1886 (Journal du dr. int. pr., 1886, p. 707).

femme, de la recevoir, de lui fournir des moyens d'existence'; et les époux se devront mutuellement fidélité et assistance. La femme sera soumise à la puissance maritale. Les enfants nés du mariage d'un étranger seront légitimes et seront placés sous la puissance de leur père. Ce dernier aura droit à leur respect; il pourra exercer contre eux le droit de garde, corollaire du devoir d'éducation qui lui est imposé, et, dans notre opinion, il sera investi de tous les autres attributs de la puissance paternelle, droit de correction, droit de jouissance légale, droit de tutelle, puisque la loi ne les lui a pas retirés.

Ici cependant encore une dissidence apparaît entre les auteurs. Les partisans de la distinction arbitraire des droits naturels et des droits civils s'efforcent, sans arriver à s'entendre, d'établir une classification entre les droits qui dérivent de la puissance paternelle.

Tandis que Demante refuse au père étranger le droit de correction sur la personne de ses enfants, MM. Aubry et Rau le lui accordent ; mais les savants magistrats se rencontrent avec le professeur de Paris lorsqu'il s'agit de dénier à l'étranger tout droit de jouissance légale sur les biens de ses enfants mineurs de dix-huit ans et non émancipés. « L'usufruit établi par l'article 384 du Code civil ne découle pas du droit naturel, disent-ils, car il n'est pas une conséquence nécessaire des devoirs que la nature impose à la paternité. Ce qui prouve que les rédacteurs de ce Code l'ont ainsi compris, c'est qu'ils n'ont formellement accordé cet usufruit qu'aux pères et mères légitimes, et qu'ils l'ont implicitement refusé aux pères et mères naturels. D'un autre côté, l'usufruit paternel n'est pas admis. d'une manière tellement universelle, qu'il puisse être considéré comme une institution du droit des gens. On ne

1 Paris, 3 août 1878 (Journal du dr. int. pr., 1878, p. 494); Trib. Seine, 31 août 1878 (ibid., 1879, p. 66).

* Demante, t. I, p. 78, note 1.

3 Aubry et Rau, 4o éd., t. I, p. 302, note 49.

saurait donc y voir qu'une création du droit civil, dont les étrangers sont, par cela même, inadmissibles à réclamer le bénéfice1. >>

Plusieurs objections peuvent être dirigées contre cette solution.

L'article 384, disent les uns, est une disposition de statut réel, s'appliquant comme telle (C. civ., art. 3, § 2) à tous les immeubles situés en France; dès lors il suffit que le mineur possède des immeubles sur notre territoire pour qu'ils soient grevés d'un droit d'usufruit au profit de son père étranger par application de la loi française. Cette objection, nous le verrons plus tard, repose sur une conception inexacte de ce qu'on appelle le statut réel et sur une fausse interprétation de l'article 3 du Code civil; d'ailleurs, elle confond deux questions très distinctes celle de savoir si l'étranger peut être investi en France du droit de jouissance légale; et celle de savoir si, dans le cas où l'affirmative serait adoptée, c'est à la loi française ou à la loi étrangère qu'il appartient d'en réglementer les conditions et les effets. Laissons-la donc de côté, et arrivons à un argument plus sérieux.

L'étranger doit être admis à exercer en France le droit de jouissance légale, parce qu'aucune loi française ne l'en exclut. Est-il possible, en effet, de voir une exclusion semblable dans l'article 383 qui, par a contrario, la prononce contre les père et mère de l'enfant naturel? On comprend que la loi ait marqué quelque défaveur à ces derniers, puisqu'elle voit de mauvais œil les unions irrégulières; mais si elle a cru devoir refuser l'usufruit légal aux parents naturels, il ne s'ensuit nullement que la même privation atteigne les parents légitimes étrangers, dont le législateur français reconnaît et protège le mariage. Il n'existe aucune

1 Aubry et Rau, 4o éd., t. 1, p. 303, note 60; Bertauld, Quest. doctr. et prat., I, p. 95.

Fœlix, Traité de droit international privé, 4° éd., pp. 121 et 151. Contrà, note de M. Demangeat, eod. loc., p. 151, note b.

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