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Une raison analogue nous conduit à décider qu'un étranger peut être nommé liquidateur judiciaire' ou syndic d'une faillite ouverte en France'. Ces fonctions ne sont pas des fonctions publiques; le liquidateur et le syndic, quoique nommés par la justice, sont des mandataires, les mandataires privés tant de la masse des créanciers que du débiteur insolvable; ils n'exercent aucune autorité effective; par suite le titre d'étranger ne peut être par lui-même une cause d'exclusion. Tout au plus pourrait-on soutenir, ainsi d'ailleurs que pour les fonctions d'arbitre ou pour celles d'expert, que le droit d'être liquidateur ou syndic de faillite est un droit civil, réservé aux nationaux et aux étrangers admis à la jouissance des droits civils (C. civ., art. 11 et 13)3; mais nous démontrerons bientôt que les seuls droits d'ordre privé auxquels l'étranger ne peut prétendre sont ceux qu'un texte formel lui a refusés'; or, dans le cas particulier, où est la loi qui le constitue incapable?

La Cour de cassation n'a pas jusqu'ici cru devoir prendre nettement parti sur la question. Son arrêt de rejet du 7 janvier 1862 la laisse indécise: «En admettant, dit la Cour, que le syndic d'une faillite reçoive, par cela seul

peut être valablement désigné comme interprète devant une juridiction répressive. Cass., 30 novembre 1809; 2 mars 1827 (Sir. 1827. 1. 433); Cass. Belgique, 17 février 1836 (Pasicrisie, 1836. 194); Faustin-Hélie, Traité de l'inst. crim., t. VII, no 3441; Vincent et Pénaud, Dict. de dr. int.pr., vo Interprète, no 39.

La Cour de cassation, statuant en matière de diffamation, a, par son arrêt du 12 juin 1891, reconnu que les liquidateurs judiciaires institués par la loi du 4 mars 1889 ne sauraient être assimilés à des citoyens chargés d'un service public : « ils n'assistent, dit-elle, les commerçants placés en état de liquidation judiciaire que pour des intérêts purement privés; et s'ils sont les auxiliaires du juge-commissaire, ils ne participent pas à l'autorité de ce magistrat et n'exercent aucune portion de la puissance publique. Pand. fr. pér., 1892. 1. 175. Voy. cep. Orléans, 17 mars 1891 Pand. fr. pér., 1892. 2. 9).

2 Alger, 16 mai 1860 (Gazette des trib. du 8 janvier 1862); Nancy, 8 mai 1875 (Journ. du dr. int. pr., 1877, p. 144).

2 Barilliet, Rev. prat., 1863, t. XVI, p. 556.

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qu'il est nommé par justice, une délégation publique, et qu'il ne puisse exercer un tel mandat qu'autant qu'il est régnicole, ou tout au moins admis en France à l'exercice et à la jouissance des droits civils, et que, sous ce rapport, une telle délégation intéresse l'ordre public, il ne s'ensuit pas que le moyen pris de l'illégalité résultant de ce qu'un étranger aurait été nommé syndic, puisse être présenté pour la première fois devant la Cour de cassation 1. »

Enfin, nous estimons que le droit d'être tuteur, subrogétuteur ou curateur, le droit de siéger dans un conseil de famille, doivent être refusés à l'étranger, même admis à domicile, à moins qu'il ne soit parent ou allié de l'incapable. Si pour le parent la tutelle constitue un droit et un devoir de famille, ayant son fondement dans la nature, et dès lors accessible même à l'étranger 2, pour celui qui n'a pas cette qualité, elle est une véritable fonction publique, une délégation d'autorité, un munus publicum, qui ne peut être conféré qu'à un citoyen français".

1 Gazette des tribunaux du 8 janvier 1862. MM. Vincent et Pénaud (Dict. de dr. int. pr., vo Faillite, no 75) relèvent avec raison une inexactitude dans ce motif. Si le mandat donné au syndic est une délégation publique, même l'étranger admis à la jouissance des droits civils serait incapable de le recevoir.

2 Voy. ci-dessous, ch. III, tit. II.

3 Des auteurs considérables, repoussant toute distinction, soutiennent, au contraire, que la tutelle a toujours le caractère d'un mandat public, et se prononcent pour l'exclusion absolue de l'étranger, même admis à la jouissance des droits civils, des fonctions de tuteur ou de membre d'un conseil de famille en France. Demolombe, t. I, no 267; Aubry et Rau, 4o éd., t. I, p. 285; de Fréminville, De la minorité et de la tutelle, t. I, no 146; Colmar, 25 juillet 1817 (Sir. 1818. 2. 250). D'autres voient dans la tutelle un droit civil, que l'étranger, même parent de l'incapable, ne peut exercer que s'il en a reçu la concession expresse, dans les termes des art. 11 et 13 du C. civ. Merlin, Rép., vo Tutelle, sect. 3, no2; Massé; Dr. comm., t. I, no 503; Bastia, 5 juin 1838 (Sir. 1838. 2. 439; D. P. 1838. 2. 143); Paris, 21 mars 1861 (Sir. 1861. 2. 209; D. P. 1861.2. 73).

Enfin d'autres auteurs admettent dans tous les cas l'étranger, parent ou non de l'incapable, à gérer une tutelle et à siéger dans un conseil de famille; pour eux, il y a là, non un droit politique, mais un droit privé; et ce droit privé est un droit naturel, puisqu'aucune loi ne le retire aux

La distinction que nous proposons a été consacrée par de récentes décisions de jurisprudence, en France et en Belgique1; elle peut s'autoriser de divers textes qui semblent bien considérer le droit de gérer une tutelle ou de faire partie d'un conseil de famille comme un droit politique, dans le cas où il n'existe aucun lien de parenté entre l'incapable et la personne chargée de veiller à ses intérêts. Autrement en effet pourquoi les femmes, autres que la mère et les ascendantes, seraient-elles exclues de la tutelle (C. civ., art. 442)? Pourquoi la dégradation civique entraînerait-elle pour le condamné qui l'encourt l'incapacité de siéger dans un conseil de famille, d'être tuteur, subrogétuteur, etc., si ce n'est de ses propres enfants (C. pén., art. 34)? Pourquoi les juges correctionnels, qui peuvent, dans certains cas, interdire au condamné, en tout ou en partie, l'exercice de ses droits civiques, civils et de famille, n'auraient-ils pas la faculté de lui retirer la tutelle et la curatelle de ses enfants (C. pén., art. 42)?

On le voit, l'antithèse entre le droit politique, refusé à l'étranger, à la femme, à certains condamnés, et le droit de famille, le droit privé qu'ils peuvent toujours invoquer, apparaît à chaque pas; et par elle, rien n'est plus facile que d'expliquer les articles 430 et 432 du Code civil que l'on nous oppose et qui, parlant des personnes dispensées de la tutelle à raison des fonctions publiques qu'elles exercent en France, ou appelées à la gérer en l'absence de parents ou

étrangers. Demangeat, op. cit., pp. 365 et 366; Bertauld, Questions prat. et doct. de Code Napoléon, t. I, p. 24; Laurent, Droit civil int., t. III, p. 602 et s. Despagnet, Précis de dr. int. pr., no 395; Chavegrin, dans la Revue critique, 1883, p. 521.

1 Paris, 21 mars 1862 (Sir. 1862. 2. 411); Cass., 16 février 1875 (Sir. 1875.1. 193 et la note de M. Labbé; D. P. 1876. 1. 49); Trib. civ. Briey, 24 janvier 1878 (Sir. 1880. 2.81; D. P. 1879. 3. 40); Trib. civ. Versailles, 1 mai 1879 (Journ. du dr. int. pr., 1879, p. 397); Paris, 21 août 1879 (Sir. 1880. 2. 81; Journ. du dr. int. pr., 1880, p. 196); Bruxelles, 7 août 1885 (Belgique judiciaire, 1887, p. 130); Trib. civ. Seine, 20 juillet 1888 (Journ. du dr. int. pr., 1888, p. 478; Le Droit du 27 juillet 1888). Voy. aussi Demante, Définition de la qualité de citoyen, p. 17.

W - II.

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d'alliés, leur donnent la qualification de citoyens. D'une part, en effet, nul ne peut exercer une fonction officielle en France s'il n'est citoyen; la dispense de l'article 430 ne s'applique donc et ne peut s'appliquer qu'à des citoyens. De l'autre, toute personne non parente ou alliée de l'incapable devant, selon nous, jouir du droit de cité, pour être admise à la tutelle, l'article 432 ne contredit en rien cette manière de voir lorsqu'il dit : « Tout citoyen non parent ou allié ne peut être forcé d'accepter la tutelle, que dans les cas où il n'existerait pas, dans la distance de quatre myriamètres, des parents ou alliés en état de gérer la tutelle. »

TITRE III.

L'ÉTRANGER DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES.

L'étranger qui habite la France, qui y a des intérêts, qui y fait des affaires, a part, comme les Français eux-mêmes, au bienfait de notre organisation sociale; comme eux, il recueille chaque jour les avantages qui résultent de la marche régulière des services publics; comme eux, il doit supporter les charges et les impôts qui alimentent ces services, qui sont comme le salaire de la sécurité assurée par l'État à sa personne et à ses biens. Il serait injuste qu'il jouît gratuitement d'une tutelle que les nationaux rémunèrent, que son extranéité lui valût un privilège.

Mais, comme, d'autre part, les droits que l'étranger est admis à invoquer en France ne sont jamais que les droits reconnus aux Français, et encore pas tous, il ne serait pas moins injuste qu'on les lui fit payer plus cher qu'à ces derniers'. A l'obligation qui lui incombe correspond done

1 Quelques auteurs d'un grand renom enseignent cependant qu'il ne serait pas contraire au droit des gens d'imposer les étrangers d'une manière plus rigoureuse que les nationaux ; Voy. notamment de Martens, t. I, p. 88. De même, Bluntschli (Droit intern. cod., § 389) estime que l'égalité du national et de l'étranger devant l'impôt ne se trouverait pas compromise par l'obligation où ce dernier serait d'acquitter une somme minime en échange du droit de séjourner dans le pays.

le droit, sanctionné par de nombreuses conventions diplomatiques, de n'être pas traité, au point de vue des charges. publiques, plus durement que les Français.

Au même titre que les Français, il peut se réclamer du principe de la territorialité de l'impôt. Ce principe revient à dire que « la loi d'impôt n'a d'empire que sur le territoire1»; que les seules personnes, que les seuls biens qui tombent sous son application sont ceux qui se trouvent sur ce territoire; que les seuls actes qu'elle peut atteindre sont ceux qui y sont accomplis. Dès que l'impôt a son origine et sa justification dans le service rendu, dans la protection accordée par l'État à celui qui l'acquitte, il est naturel qu'il ne soit dû que dans les cas et dans la mesure où cette protection s'exerce avec efficacité; les personnes qui vivent à l'étranger, les biens qui y sont situés, les actes juridiques qui y sont passés ne reçoivent rien de la France, et par conséquent ne lui doivent rien.

L'étranger -nous ne parlons pas de ceux qui remplissent en France des fonctions diplomatiques et dont la situation privilégiée sera étudiée plus loin - est donc tenu de payer à l'État français, au moins par équivalence, les diverses contributions, directes ou indirectes, auxquelles sont assujettis nos nationaux, dans les mêmes conditions.

Contributions directes. Pour la contribution foncière, hier encore pour l'impôt des portes et fenêtres, qu'un vote récent du Parlement vient d'abolir", il est évident que l'étranger ne peut s'y soustraire, à raison des immeubles qu'il possède en France; ces impôts sont des charges de la propriété foncière; ils sont exigibles, quelle que soit la nationalité du propriétaire (C. civ., art. 3, § 2).

'Cass., ch. réunies, 11 novembre 1844 (Sir. 1844. 1. 889); Cass., 5 avril 1887 (Journ. du dr. int. pr., 1889, p. 827); Fœlix et Demangeat, Traité de dr. int. pr., 4o éd., t. II, no 285; von Bar, Theorie und Praxis des internationalen Privatrechts, 2e éd., t. 2, §§ 109 et s.

Albert Wahl, dans le Journ. du dr. int. pr., 1891, p. 1066.
Loi du 18 juillet 1892.

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