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L'isolement que jusqu'à présent, et par une nécessité supérieure à sa volonté, l'Amérique a gardé vis-à-vis des puissances européennes, M. Polk l'invoquait pour justifier ses hautaines théories à l'encontre de l'équilibre européen. Jamais, disait-il, les États-Unis n'ont fait acte d'intervention dans les relations subsistant entre d'autres gouvernements; jamais l'Union ne s'est associée aux guerres de l'Europe ou à ses alliances; jamais elle ne s'est mêlée à leurs luttes intérieures. Le système américain est, selon la théorie des États-Unis, tout à fait indépendant de celui de l'Europe, et il faut maintenir le principe que le peuple américain a seul le droit de régler sa destinée. Cette fierté de maintien peut être justifiable lorsque les États-Unis restent dans les limites qu'une possession incontestée leur a acquises; mais, s'ils en sortent, il ne faut pas non plus qu'ils oublient que la vieille Europe, plus puissante et plus industrielle qu'eux, liée au monde entier par ses relations de commerce et d'influence, a quelque droit à s'immiscer dans les affaires d'un peuple qui, tous les jours, empiète sur le territoire américain, et rompt ainsi l'équilibre naturel des puissances.

Au reste, ces prétentions de l'Union ne sont pas nouvelles, et, il y a un quart de siècle, lorsque les États-Unis étaient en- . core dans l'enfance, M. Monroe prononçait déjà, dans son message annuel, ces paroles qui sont, aujourd'hui encore, l'expression la plus complète des espérances arrogantes de la confédération américaine : «Les continents américains, par la libre et indépendante condition qu'ils ont prise et maintiennent, ne doivent plus désormais être considérés comme matière à future colonisation de la part d'aucune puissance européenne. »

Et, qu'on ne s'y trompe pas, par continents américains, les chefs de l'Union n'entendent pas autre chose que la réunion des deux continents nord et sud, en un mot, que l'Amérique tout entière. Toute puissance établie, fût-ce depuis la découverte de Christophe Colomb, sur le territoire de l'Amérique, leur semble un ennemi naturel; toute tentative de colonisation, tout essai d'influence sur une portion non encore soumise à l'Union de ces

deux continents, lui paraît une usurpation manifeste. L'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud, les deux continents et leur commerce sans partage, voilà les prétentions des États-Unis.

En résumé, en ce qui concernait l'Orégon et les prétentions de l'Angleterre sur ce territoire, le message du président ne manquait pas de gravité. La dénonciation de la convention de 1827 y était réclamée du congrès, et M. Polk déclarait que, s'il avait continué la négociation, tout en offrant moins que ses prédécesseurs, ce n'avait été que pour ne pas désavouer leurs actes. Si M. Polk voyait dans cette conduite un esprit de concession libérale (a spirit of liberal concession), des nations habituées au respect des droits et des convenances diplomatiques n'y pouvaient voir qu'une injurieuse hauteur à l'égard de l'Angleterre, et il y avait dans le langage du président nouveau des excitations singulières pour ce parti démocratique qui pousse sans cesse et aveuglément les États-Unis contre des difficultés insurmontables.

La Grande-Bretagne accepterait-elle le défi qui lui était porté par le chef de l'Union, et s'exposerait-elle aux hasards d'une guerre dont les États-Unis ne semblaient pas comprendre les fatales conséquences? Il y avait sans doute dans le gouvernement britannique plus de prudence et d'intelligence politique que dans celui des États-Unis, puisque, malgré les bravades intempestives du message américain, aucune émotion fàcheuse ne fut produite en Angleterre par les paroles de M. Polk. La faiblesse imprudente est quelquefois plus forte que la force ellemême; aussi paraissait-il probable que la guerre n'éclaterait pas à propos de l'Orégon entre les deux puissances, et que la question recevrait une solution pacifique.

Et cependant, dans la session dernière, sir Robert Peel s'était engagé publiquement, au nom du cabinet, à ne pas se désister des prétentions précédemment annoncées. Faudrait-il donc que l'un des deux gouvernements renonçât, ou le différend serait-il vidé par la force? La question, du reste, était maintenant posée en des termes tels qu'il n'y avait plus d'ajournement pos

sible, et que toute la sollicitude des deux pays devait s'y attacher immédiatement.

Il n'était pas douteux que, dans la Chambre des représentants américains, les vues du président n'obtinssent une majorité considérable. L'élection du speaker, qui avait eu lieu le 2 décembre, était, à cet égard, un sûr indice. Le candidat du parti démocratique, M. J. W. Davis, avait été élu par 120 voix contre 72, qui avaient été données au candidat des whigs. Mais il y avait lieu de croire que le sénat se prononcerait contre les mesures qui pourraient être votées.

Le président s'étendait longuement sur la question du Texas; mais cette question était vidée aujourd'hui et n'avait plus d'intérêt immédiat. Le Texas était désormais réuni à l'Amérique. L'Angleterre en avait pris son parti aussi bien que le Mexique.

La question du tarif était plus importante. M. Polk en recommandait la révision au congrès, en ce sens qu'un système de droits ad valorem serait substitué aux droits dits spécifiques, et que, dans l'établissement de ces droits, on consulterait moins les convenances de protection réclamées par certains intérêts que les nécessités du revenu. Il ne s'agissait de rien moins, comme on le sait, que d'une révolution économique, révolution avantageuse au commerce d'Europe, si elle était définitivement accomplie par l'assentiment du congrès.

Le message donnait un aperçu des importations et des exportations des États-Unis pendant l'année qui avait fini au 30 juin 1845. Ces importations s'étaient élevées à 117,254,565 dollars (600 millions de fr. à peu près). Les exportations avaient atteint le chiffre de 114,646,668 dollars (soit un peu moins de 600 millions de francs). Il y avait donc à peu près équilibre. Sur ce chiffre des exportations, les produits provenant du sol ou de l'industrie ne comptaient que pour 500 millions de francs. Quant aux produits importés du dehors, une quantité considérable n'avait fait qu'emprunter le pavillon et le territoire américain pour se répandre ensuite dans les contrées voisines.

Les recettes du trésor fédéral, pendant ce même exercice,

s'étaient élevées à 150 millions de francs, et, dans ce chiffre, les revenus de la douane entraient pour 140 millions. Le reste provenait des ventes publiques et d'autres sources. Les dépenses avaient dépassé les recettes d'un million de francs à peu près. Dans les dépenses était comprise une somme de 45 millions, appliquée au payement de la dette publique.

Une déclaration importante était contenue dans le message, relativement à la portion de la dette non encore payée. Il y était dit qu'au 1er octobre 1845, il restait à payer encore sur la dette publique 17,075,445 dollars 52 c. Des payements ultérieurs de cette dette auraient été faits par anticipation de la période de remboursement, d'après le droit conféré au secrétariat du trésor par les lois du 21 juillet 1841, du 15 avril 1842 et 3 mars 1843, si l'état d'incertitude des relations avec le Mexique n'avait pas menacé les États-Unis d'une collision avec cette puissance : dans la prévision de cet événement, on avait jugé prudent de conserver dans le trésor une somme plus considérable que de coutume. Toute la dette nationale provenant de la révolution et de la guerre de 1812 avec la Grande-Bretagne avait été éteinte il y a quelques années, et l'Amérique avait, de ce côté au moins› rempli toutes ses obligations. Depuis lors, la dette existante avait été contractée, et il s'agissait aujourd'hui de l'éteindre. Le message annonçait l'intention formelle d'appliquer à la liquidation de cette dette tout l'argent du trésor, à mesure qu'il dépasserait les sommes votées par le congrès.

Le président terminait en insistant sur la nécessité d'établir une banque gouvernementale. Il faut, disait-il, que l'argent du peuple soit conservé dans le trésor du peuple et gardé par des agents nommés par lui, selon les formes de sa constitution, par des agents directement responsables envers le gouvernement, ayant prêté serment, fourni un cautionnement, et pouvant être sévèrement punis pour toute malversation. Dire que le peuple ou son gouvernement sont incapables d'avoir la garde de leur propre argent dans leur propre trésor, et doivent s'en rapporter aux présidents, caissiers et actionnaires des banques, qui ne

sont ni élus par eux ni responsables, c'eût été, selon M. Polk, reconnaître qu'ils sont incapables de se gouverner par euxmêmes. En recommandant l'établissement d'un trésor constitutionnel dans lequel l'argent du peuple serait gardé, le président désirait que la loi établit des précautions pour sa sûreté, et que le gouvernement ne pût en disposer qu'en vertu de crédits légalement accordés.

Le sénat vota, le 6 février 1845, un tarif uniforme pour la taxe des lettres. Il la fixa à 5 centimes; ce tarif fut voté par 33 voix contre 14. Le privilége d'affranchissement était aboli, et la clause qui prohibait les exprès particuliers le fut également.

La trésorerie présenta, le 10 janvier, au congrès, un rapport estimatif sur l'année fiscale qui finirait le 30 juin 1845; ce rapport donnait le résultat suivant: pour les recettes, les douanes avaient rendu 31,345,018 dollars; les ventes de terres publiques, 2,139,856; les divers produits, 120,000; la balance, au 1er juillet 1844, 7,857,379. Le total était de 42,062,253 dollars. Les dépenses, y compris environ 16 millions de dollars de dette publique, remboursés pendant l'année, arrivaient à 35,019,431; la balance était en faveur du trésor au 1er juillet 1845. La dette actuelle des États-Unis était de 40,835,013 dollars.

Cette situation était, de tous points, favorable.

Les États-Unis, comme la plupart des États de l'Europe, sont exposés aux tentatives de certaines doctrines anarchistes et subversives de tout ordre social qu'on réunit sous le nom de communisme. Le gouverneur du Delaware, M. Silas Wright, fut obligé de déclarer la contrée en état de siége et de la placer sous l'empire de la loi martiale, à la suite de désordres commis par une secte dont le but était de réaliser les anarchiques et spoliatrices utopies du communisme (30 août). Arriver au partage de la propriété, doter ceux qui ne possèdent rien aux dépens de ceux qui possèdent, tel est l'évangile de cette nouvelle école qui compte déjà de nombreux adeptes, non-seulement dans le Delaware, mais aussi dans les localités voisines. L'organisation de

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