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avait présenté aux cortès et à la nation et à concilier les intérêts anciens avec ceux que la révolution avait créés. Il connaissait les écueils semés sur la route, et il tâcherait de les éviter tous.

«Nous marchons, dit le ministre, entre deux dangers opposés, la réaction et la révolution; le gouvernement ne tombera ni dans l'un ni dans l'autre de ces excès. Le ministère continuera à marcher dans la même voie tant que Sa Majesté ne lui retirera pas sa confiance, et que les cortès ne lui refuseront pas leurs votes. Tous les ministres sont d'accord dans leurs opinions et unis par la plus étroite amitié; c'est pour eux une question de point d'honneur de ne se retirer que tous ensemble et pour la même cause. Le ministère compte toujours sur la confiance de Sa Majesté, puisque toutes les mesures qui ont été proposées à la reine par ses conseillers actuels ont obtenu son approbation. Quant aux cortès, le ministère est très-reconnaissant de l'appui qn'il a prêté aux ministres. Leur programme est: La reine, l'ordre public et la liberté ! Le gouvernement compte sur la fidélité de l'armée ; il connaît les menées des ennemis du repos public et il les surveille. »

Mais, à côté de la question de justice envers le clergé, restait la question de justice envers les intérêts créés depuis la révolution. Il était à désirer que le projet de loi qui touchait à un point si délicat fût rédigé d'une manière précise, afin que les acquéreurs de biens nationaux ne fussent pas jetés dans de vaines alarmes. Les droits acquis seraient respectés, M. Mon l'affirma devant le sénat. Toute propriété déjà transmise resterait inviolablement dans les mains des acquéreurs : c'était seulement la partie invendue qui serait rendue au clergé.

La présentation de ce projet se rattachait, au reste, à des questions actuellement en négociation avec la cour de Rome, et, vraisemblablement, elles devaient en hâter la conclusion.

Nonobstant l'avis de la majorité du tribunal suprême de justice, le ministère avait décidé que l'exequatur royal serait donné aux rescrits apostoliques de la cour de Rome, concernant les administrateurs ecclésiastiques. Cette mesure souleva contre le ministère toute la presse de Madrid. On disait qu'en cela le ministère avait commis deux fautes. D'abord il avait contrevenu aux règles de l'Eglise catholique d'Espagne. En second lieu, il avait agi d'une manière imprudente, eu égard aux circonstances actuelles. En effet, la nomination des administra

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teurs ecclésiastiques, attribuée à la cour de Rome, pourrait amener des querelles et des collisions; et de plus, on avait fait un nouveau pas dans la voie des concessions imprudentes accordées à la cour pontificale qui, jusqu'à ce jour, n'avait, de son côté, rien fait pour mériter cette bienveillance. Ces administrateurs ecclésiastiques, qui allaient remplacer ceux nommés par les chapitres, seraient les vicaires généraux repoussés en tout temps par la displicine de l'Eglise catholique espagnole et admis seulement dans quelques États de l'Italie et dans les pays non civilisés de l'Amérique. Plusieurs fois la cour pontificale avait tenté d'introduire cette innovation en Espagne; mais on avait toujours dignement repoussé ces tentatives. L'ancien conseil de Castille n'y aurait pas consenti. Il était réservé, disait-on, à l'administration nouvelle, de renverser les bonnes traditions en matière ecclésiastique. Si, dans certains diocèses, les élections des prélats, par ces administrateurs, étaient nulles, les chapitres pouvaient procéder à de nouvelles élections; mais le saint-siége avait voulu établir un précédent, en s'attribuant le droit de les nommer, droit dont il pourrait abuser un jour.

Un des reproches les plus sérieux, faits jusqu'alors à l'administration de M. Mon, avait été de n'avoir présenté au congrès qu'une mesure provisoire pour tirer l'Église nationale de la situation peu digne où elle était placée depuis sept ans. A cette accusation, le ministre avait répondu qu'avant de rien faire de stable et de définitif, il fallait résoudre toutes les questions relatives à la discipline ecclésiastique.

Mais il n'était pas possible d'arriver à résoudre, en Espagne, une seule de ces questions sans l'intervention bienveillante de Rome. L'erreur des progressistes avait été justement de croire qu'il pouvaient toucher à l'Église et à son organisation sans le consentement du saint-siége. L'invincible opposition qu'ils avaient rencontrée dans le clergé, et l'universelle réprobation qu'ils avaient soulevée dans le pays, avaient ouvert les yeux à leurs successeurs, et leur premier soin fut de ne rien épargner pour obtenir un concordat. Pour cela, il fallait se mettre en

rapport direct avec le saint-siége, ce qui ne pouvait être fait d'abord que par un simple chargé d'affaires. M. Castillo y Ayensa fut choisi pour remplir cette difficile mission.

Les concessions annoncées par ce premier acte furent bientôt mutualisées par le saint-siége. Un concordat fut signé le 7 juin, entre les cours de Rome et de Madrid, portant que la religion catholique serait exclusivement et toujours professée dans les domaines de la monarchie espagnole; que des séminaires pour l'éducation du clergé seraient établis dans chaque diocèse et placés sous la direction des évêques, qui auraient le droit exclusif de surveiller l'instruction religieuse de la jeunesse dans les écoles publiques; que les monastères et les couvents encore existants seraient maintenus, et que ceux qui avaient été supprimés seraient rétablis en temps opportun; que les biens non vendus du clergé seraient rendus à l'Église et aux établissements religieux dépouillés, et que, jusqu'à ce moment, ils seraient administrés par des fonctionnaires ecclésiastiques; que le gouvernement espagnol assignerait un fonds suffisant pour la célébration du culte et l'entretien du clergé, lequel, avec les biens non vendus, formerait la dotation de l'Église, et mettrait les ministres en état de vivre d'une manière décente et indépendante; que l'on ne supprimerait aucun bénéfice sans l'autorisation du saint-siége, et enfin que les biens de l'Église seraient regardés comme inviolables.

De son côté, car les concessions étaient mutuelles, le saintpère s'engageait, aussitôt qu'un fonds suffisant aurait été établi pour l'entretien de l'Eglise et du clergé, à rendre une bulle déclarant que les propriétaires de biens du clergé achetés avant le 1er janvier 1845 ne seraient jamais troublés dans leur possession ni par lui, ni par ses successeurs.

Sa Sainteté ajoutait qu'elle enverrait un nouveau nonce Madrid pour le règlement des affaires religieuses d'une importance secondaire. L'échange des ratifications devait avoir lieu au bout de trois mois. Les seules objections faites par le cabinet espagnol avaient rapport à la dotation du clergé et à la sanction

des biens du clergé; restait à savoir si le saint-siége consentirait à une transaction sur ce point.

Un autre projet, qui se rattachait à ces tendances générales de réparation envers le clergé, était un projet de dotation du culte. Ce projet fut attaqué par M. Peña Aguayo. Le député de Cordoue trouvait les mesures proposées insuffisantes, arbitraires et illusoires. Le gouvernement ne voulait donner à la loi qu'une valeur provisoire. M. Peña Aguayo aurait voulu qu'on eût proposé une solution définitive. Le ministère repoussait comme contre-révolutionnaire et anti-économique l'idée de localiser l'impôt, qu'il voulait faire payer également et d'une manière uniforme à tous les contribuables; M. Peña Aguayo demandait, au contraire, l'établissement de deux espèces de contributions, l'une en nature, l'autre en argent. En d'autres termes, c'était proposer la dime.

Dans sa réponse à ces critiques, M. Mon commença par exposer les embarras que les cortès constituantes avaient légués à tous les gouvernements. En 1837, on avait touché, pour la première fois, à la constitution du clergé, par les deux lois du 16 juillet (voy. l'Annuaire). La première supprimait la dîme et les prémices; la seconde, en maintenant l'impôt en nature pour un an seulement, déclarait que, à l'avenir, le produit de cet impôt appartenait exclusivement à l'État.

Cette suppression, si populaire à l'époque où elle fut décrétée, avait été le commencement de toutes les difficultés elle était encore la cause principale de tous les embarras. Les conséquences de cette mesure avaient été funestes tout à la fois au clergé, à l'État et aux contribuables. Si la plupart des hommes politiques s'opposaient au rétablissement de la dîme, c'est uniquement parce qu'ils la regardaient comme un anachronisme, comme une institution incompatible avec les lois nouvelles que la révolution a données à l'Espagne.

Le produit de la dîme était partagé entre l'État et le clergé, et les ressources qui en résultaient pour le service public étaient considérables. M. Mendizabal, à l'époque de la suppression de

cet impôt, en estimait le rendement à 73 millions de réaux; et, avant la révolution, jamais ce chiffre n'avait été moindre de 520 millions.

Quant à l'impôt en nature, cette contribution avait été, en 1837, de 122 millions; en 1838, de 134, et en 1840, de 65 seu■lement.

La dîme avait été remplacée par la contribution dite du clergé : or, cette contribution étant générale, il en était résulté que le commerce et l'industrie, qui n'avaient jamais payé la dîme, se trouvaient grevés d'une charge nouvelle, et que ceux sur qui #pesait tout le poids de l'impôt en nature avaient changé une rente qu'une habitude séculaire avait rendue, en quelque sorte, facultative, contre une rente forcée et rigoureusement obligatoire. De là les plaintes soulevées par la nouvelle loi, et la difficulté que tous les ministres avaient rencontrée à l'appliquer. · Placé entre des réclamations si diverses, le gouvernement avait résolu de prendre une espèce de juste milieu dans la répartition. Mais le résultat avait été de mécontenter tout le monde. Aussi M. Mon ne faisait-il qu'obéir à l'impulsion générale et à l'irrésistible mouvement de l'opinion publique, en proposant la suppression de cet impôt si impopulaire.

Mais on lui reprochait, d'un côté, de ne pas remplacer la contribution qu'il supprimait par une contribution nouvelle; de l'autre, de compter, pour réaliser les 159 millions de dotation qu'il promettait à l'Église, sur des ressources illusoires.

De là les attaques dont M. Peña Aguayo se fit le premier interprète.

Le ministre de l'intérieur soumit, le 10 mars, à la délibération du corps législatif, un projet de loi électorale.

La loi électorale actuellement en vigueur avait paru entachée de défauts si graves, qu'il était devenu chaque jour plus urgent de la réformer.

Dans son projet, le gouvernement se bornait à indiquer les principales innovations qu'il avait cru nécessaire de faire dans la loi électorale. Ces innovations se réduisaient à ceci :

Ann. hist. pour 1845.

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