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puis quatorze ans, avec 80,000 hommes. L'exiger en menaçant de continuer la guerre jusqu'à l'exécution de la clause, c'eût été une demande étrange. Il avait donc paru qu'il valait mieux n'adopter exclusivement ni l'un ni l'autre de ces deux partis; qu'il valait mieux mettre dans le traité pour l'empereur une obligation alternative ou d'expulser Abd-el-Kader ou de l'arrêter. C'est ce qu'on avait fait.

On disait que les engagements pris par le Maroc ne s'exécutaient pas, ne s'exécuteraient pas. Mais, d'abord, il fallait laisser à l'empereur le temps de faire quelque chose, et, au pis aller, s'il était dans l'impossibilité de remplir ses engagements, au moins, par là, avions-nous acquis des droits nouveaux que plus tard nous ferions valoir.

On faisait au gouvernement un reproche de n'avoir pas écrit dans le traité l'obligation d'une indemnité : c'est, répondait M. Guizot, qu'on n'avait pas voulu traiter l'empereur en ennemi qu'il s'agit d'abattre; on n'avait pas voulu qu'après la guerre, il restat entre lui et nous des sentiments hostiles. Puis, quand mème l'indemnité eût été écrite dans le traité, pour l'avoir, il eût fallu aller la prendre. C'était la prolongation indéfinie de la guerre; c'était une expédition coûteuse à Maroc, à Fez, à Méquinez. Quant à ce qui regardait les intérêts des Français, créanciers de l'empereur, ces intérêts n'avaient pas été abandonnés. Quelques créances étaient déjà liquidées; les autres seraient également poursuivies et payées.

Restait un dernier point, l'évacuation immédiate de l'île de Mogador, tandis que, dans le traité, il était écrit que cela n'aurait lieu que lorsque tels ou tels articles auraient été exécutés. Cette stipulation écrite était certainement facultative pour la France: or, M. le prince de Joinville lui-même avait pensé que l'intérêt du pays ordonnait l'évacuation immédiate de l'île; des raisons militaires commandaient impérieusement cette mesure. De toute cette affaire, complétement terminée, selon M. le ministre, il était résulté que les Arabes d'Algérie étaient désormais complétement désabusés au sujet du Maroc, et que le Maroc

avait compris sa faiblesse en même temps qu'il avait pu voir combien peu nous étions disposés à abuser de notre supériorité.

« Voilà, dit en terminant M. Guizot, voilà les résultats que nous voulions atteindre. Cela vaut mieux que quelques millions écrits dans un traité, cela est plus sensé, plus efficace. Toute autre conduite eût compliqué notre situation en Afrique, eût changé la politique que nous y avons suivie, l'attitude que nous y voulons prendre; nous y avous été fidèles, nous continuerons à y être fidèles. Nous exécuterons et nous ferons exécuter le traité dans Le même esprit, avec la même modération avec laquelle la guerre et la paix ont été faites tour à tour. »

Après quelques observations présentées par M. le prince de la Moskowa dans le sens de ses premières paroles, M. le comte Mathieu de la Redorte vint attaquer le fond mème du système suivi par le gouvernement dans la guerre contre le Maroc, la modération. Suivant l'honorable pair, il eût fallu montrer au Maroc, par une énergie sans ménagements, que nous pouvions agir contre lui sans nous compromettre avec l'Angleterre. Il eut fallu détruire cette confiance que l'empereur met dans la jalousie de l'Angleterre à notre égard. Il y avait eu, malgré les dénégations du cabinet, communication faite à l'Angleterre des intentions de la France à l'égard du Maroc. Ainsi, à la date du 25 juin, sir Robert Peel s'exprimait ainsi dans la Chambre des com

munes:

Des explications complètes et sans réserve nous ont été données par le gouvernement français. Le gouvernement nous a communiqué très- franchement la marche qu'il entend suivre à l'égard du Maroc et les demandes qu'il a adressés à l'empereur; il nous a exposé les mesures qu'il comptait employer si cela était nécessaire. Il nous a communiqué la substance des instructions données à l'amiral prince de Joinville. Le gouvernement an→ glais met une entière confiance dans la déclaration qui lui a été faite, il est parfaitement satisfait des assurances qu'il a reçues. »

Répondant à une question de M. Sheel, sir Robert Peel s'était encore exprimé ainsi :

«J'ai dit précédemment que la substance générale des instructions données aux commandants des armées de terre et de mer nous avait été communiquée par le gouvernement français. Nous n'avons pas reçu de communications détaillées, mais on nous en a fait connaître la substance. »

Or, ajoutait l'orateur, il n'y a rien de plus déplorable que ces

communications faites à une puissance étrangère des instructions données à nos généraux; il y a là un manque absolu de dignité.

M. le ministre des affaires étrangères affirma de nouveau qu'il n'avait été fait aucune communication de ce genre. Aucune des instructions données soit à l'amiral, soit au maréchal, n'avait été communiquée à aucune puissance; aucun des droits, aucun des moyens de la guerre, n'avait été, à aucun moment, abandonné par le gouvernement. Il avait constamment, officiellement déclaré qu'il entendait user de tous les droits, de tous les moyens dont il pourrait avoir besoin pour atteindre son but. Une seule chose avait été déclarée, et cela publiquement, à l'une et l'autre tribune, c'est que le gouvernement n'entendait faire aucune conquête dans le Maroc. C'était là la substance des instructions données, et les paroles de sir Robert Peel ne pouvaient avoir d'autre sens.

A la suite de ces explications, M. l'amiral de Mackau réfuta quelques objections faites sur le plan de campagne et sur l'évacuation de l'île de Mogador (15 janvier).

M. le comte de Saint-Priest appela ensuite l'attention de la Chambre sur la connexion des deux affaires de Tahiti et du Maroc, et attribua à l'influence des complications survenues dans l'Océanie la rédaction désavantageuse pour la France du traité de Tanger. Le savant orateur ne voyait dans ce traité ni vainqueur, ni vaincu. On y avait grandi à plaisir l'empereur du Maroc et on le laissait abuser de sa faiblesse même pour se soustraire à des charges que nul ne peut éviter après la défaite. Cette générosité serait-elle payée de retour? M. de Saint-Priest montrait l'inutilité des négociations entreprises par les faits mèmes qui avaient suivi le traité. Tandis que l'empereur négociait avec l'émir pour le prier de s'éloigner, Abd-el-Kader parcourait tranquillement la ligne la plus rapprochée de nos frontières et y entretenait le fanatisme de ses coreligionnaires. L'orgueilleuse insolence des chefs marocains se montrait de nouveau dans leurs rapports avec uos officiers, et l'empereur.

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Abd-er-Rahman réorganisait son armée. Était-ce donc là une affaire terminée?

M. le baron Edmond de Bussières prit à partie cette critique constante, universelle, injuste, qui à tous les actes, à toutes les démarches, à tous les succès, à tous les échecs d'un gouvernement, répond par l'influence de l'Angleterre. Quant à l'honorable pair, il ne voyait dans les deux affaires de Tahiti et du Maroc que loyauté et fermeté de la part de l'administration, et si quelques complications avaient pu être craintes, ç'avait été, selon lui, la suite ordinaire et naturelle d'imprudences de tribune commises dans les deux pays.

M. le comte Pelet (de la Lozère ) répondit à ce discours en réclamant au moins pour l'opposition le privilége de la sincérité. On l'accusait de critiquer à plaisir les actes du gouvernement et d'avoir le même reproche pour les faits les plus divers. Ce n'était pas là, selon l'honorable pair, le rôle de l'opposition en France, et la conviction qu'elle apporte dans les critiques devait être au moins respectée.

La discussion en était là lorsque M. le duc de Broglie vint y apporter, au profit de l'administration, l'autorité de son expérience politique et l'éloquence de sa parole.

Le gouvernement, disait-on, n'avait pas su profiter de la victoire. Le traité de Tanger, bon en lui-même, ne renfermait aucune garantie et ne serait pas exécuté. Il eût fallu prendre pied dans le Maroc, en occuper militairement plusieurs points. Si on ne l'avait pas fait, c'était par condescendance pour l'Angleterre. La valeur de ces reproches dépendait, selon le noble orateur, du point de vue auquel on envisageait nos rapports futurs avec le Maroc et nos relations actuelles avec l'Angleterre. Que voulait-on des deux côtés ? Avec le Maroc, voulait-on entretenir, perpétuer, renouveler sans cesse la guerre? Cherchaiton prétexte à des invasions, occasion à des conquêtes? Ou bien voulait-on seulement protéger notre frontière et donner à nos établissements d'Afrique le degré de sécurité possible dans son établissement formé au milieu de peuplades barbares? Avec

l'Angleterre, voulait-on vivre sur un pied de bonne intelligence, de confiance réciproque, ou bien dans un état de réserve et de froideur, dans cet état de méfiance réciproque qui n'est pas tout à fait une rupture, mais qui prépare une rupture et qui la rend tôt ou tard inévitable? Là était la question: il fallait choisir.

Se faire une seconde Algérie; mais n'était-ce donc pas assez de la première? Et où s'arrêterait-on sur cette pente glissante de coûteuses conquêtes? Traçant rapidement l'histoire de la conquête de l'Algérie, l'orateur montrait la France, depuis 1830, s'étendant petit à petit, sans dessein arrêté, par la force même des choses, dans ce royaume nouveau qu'elle n'avait pas songé d'abord à s'approprier tout entier. Il en serait de même pour le Maroc si le gouvernement n'apportait pas dans ses rapports avec cet empire un dessein bien arrêté de modération. C'est pour cela que le gouvernement n'avait fait qu'avec la plus grande répugnance, avec les plus grands ménagements, la guerre territoriale, tandis que la guerre maritime, qui ne pousse pas à l'extension, avait été faite avec vigueur et rapidité. Après avoir ainsi conduit la guerre, fallait-il faire la paix en sens inverse? C'eût été une inconséquence. Le gouvernement avait voulu, au contraire, relever au plus tôt la barrière morale qui sépare les deux pays; il s'était hâté, et il avait eu raison de se håter. Il s'était borné à mettre dans le traité l'essentiel, l'indispensable, et il s'était contenté du possible.

Le traité ne serait pas exécuté, disait-on. Il le serait sans doute péniblement, imparfaitement il fallait s'y attendre. L'empereur du Maroc n'est ni très-puissant dans son empire, ni très-bien disposé pour la France. Avec des barbares, il faut s'attendre à tout; mais c'est là la condition que l'on subit dans un établissement entouré de barbares. Le gouvernement s'était donc contenté du possible. Il avait réglé ses prétentions, non pas sur sa puissance effective, sur ses droits absolus, mais sur les intérêts généraux, permanents, qu'il était chargé de défendre.

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