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la religion est esclave, si vous lui dénoncez du haut de cette tribune les prétendues persécutions et les tendances si hostiles des pouvoirs établis, si vous lui dites qu'aujourd'hui les sentiments religieux n'animent plus les hommes qui gouvernent, si des attaques embrassent sans relâche toutes les autorités qui président aux affaires de ce pays, depuis les conseils généraux jusqu'au conseil d'État et même jusqu'aux conseils de la couronne ?

«Parlez plutôt au clergé de l'esprit de tolérance, parlez-lui de la douceur que commande la religion, que proclament ses dogmes; donnez-lui des conseils de réserve, de modération et de prudence: c'est là le langage que le clergé aime à entendre, c'est là le langage que je lui ai tenu dans toutes les occasions; par là je crois mieux défendre ses intérêts sacrés, qui ne mé préoccupent pas moins que l'honorable M. de Montalembert; je crois les défendre plus efficacement qu'ils ne sauraient l'être par les attaques injustes qui ont été dirigées contre moi et contre le gouvernement..

Après ces débats sur la question religieuse, la discussion s'égara sur le conflit municipal de la ville d'Angers et sur les mesures prises par le gouvernement à l'égard de l'École polytechnique.

La discussion fut relevée et rendue à sa généralité première par M. le prince de la Moskowa, à propos du second paragraphe de l'adresse. Le noble orateur se livra à une critique sérieuse du traité de Tanger. Toutes les clauses en avaient-elles été exécutées? Étaient-elles même exécutables? Ni la punition du chef, ni la mise hors la loi d'Abd-el-Kader, mot qui n'a pas de sens en Afrique, ni l'article relatif aux mesures de coërcition à prendre contre l'émir, rien de tout cela n'avait été fait, rien n'avait pu l'être. Le traité de Tanger avait donc été illusoire, et il eût fallu ne pas terminer la guerre avant d'avoir atteint les résultats désirés. De deux choses l'une: ou l'empereur était trop faible pour arrêter Abd-el-Kader, et alors il eût fallu le faire soi-même ; ou il était assez fort contre l'émir, et s'il ne l'arrêtait pas, il manquait au traité. On n'avait même pas obtenu par ce traité des garanties concernant les indemnités, indemnités légitimes qu'on eût pu, qu'on eût dû exiger. Cette modération prétendue, dont on se faisait une gloire aujourd'hui, n'avait été, selon l'honorable pair, qu'une concession faite à la protectrice du Maroc, à l'Angleterre.

Ce dernier reproche fut, pour M. le ministre des affaires

étrangères, l'occasion d'une éloquente réplique. Si jamais, s'écria M. Guizot, on eût dû s'attendre à ce que ce reproche ne fût pas adressé au gouvernement, c'était surtout à l'occasion de la guerre du Maroc.

« Comment! il existe à nos portes un État depuis longtemps spécialement protégé par la Grande-Bretagne, en face duquel, à quelques lieues de ses côtes, elle a l'un de ses principaux, de ses plus importants établissements! Nous avons fait la guerre à cet État ; nous l'avons faite malgré les appréhensions qu'elle inspirait justement à la Grande-Bretagne, appréhensions fondées sur des intérêts légitimes, impossibles à méconnaître, que nous étions oin de contester. Non-seulement nous avons fait la guerre, mais nous avons attaqué, en face de Gibraltar, la place même qui alimente Gibraltar, nous avons détruit ses fortifications; quelques jours après, nous sommes allés détruire la principale ville commerciale du Maroc, avec laquelle se fait surtout le commerce de la Grande-Bretagne.

«Nous avons fait tout cela, surtout en face des vaisseaux anglais, qui suivaient les nôtres pour assister à nos opérations et à nos combats. Et on nous dit que dans cette affaire nous nous sommes laissés gouverner par la crainte de l'Angleterre, par les intérêts de l'Angleterre ! Mais, en vérité, messieurs, jamais les faits, jamais les actes, n'avaient donné d'avance un plus éclatant démenti à une telle inculpation. Ce que je m'attendais à entendre à cette tribune, et ce que j'y porterai moi-même, c'est la justice rendue à la loyauté, à la sagesse avec laquelle le gouvernement anglais a compris et les motifs de notre conduite et les nécessités de notre situation.»

Le gouvernement anglais avait compris, avait reconnu, avait proclamé que les griefs de la France contre le Maroc étaient justes, que les demandes de la France au Maroc étaient modérées non-seulement il l'avait reconnu, mais il l'avait dit officiellement au Maroc lui-même; il avait engagé le gouvernement du Maroc à faire ce que la France lui demandait, et lui avait officiellement notifié que, s'il ne le faisait pas, il ne devait compter en aucune façon sur l'appui direct ou indirect de l'Angleterre. Le gouvernement anglais avait ordonné à tous ses agents militaires et diplomatiques d'employer leur influence pour que le Maroc reconnut les griefs de la France, acceptât les conditions que la France lui faisait. La conduite du gouvernement français avait été pleine d'indépendance et de préoccupation des intérêts français; celle du gouvernement anglais avait été pleine de loyauté, de sagesse et de sincérité.

Ann. hist. pour 1845.

2

En attaquant les actes du gouvernement dans l'affaire du Maroc, on n'avait oublié qu'une chose, la politique de la France en Afrique. La France, continua M. Guizot expliquant cette politique nouvelle, la France est maîtresse de l'Algérie, et le gouvernement veut la domination réelle et complète de la France dans l'Afrique française; mais, en même temps, il veut le statu quo autour de la ligne, il veut qu'aucun changement, aucun agrandissement ne survienue dans notre possession nouvelle. Pendant longtemps encore, l'Algérie sera pour la France une charge; il lui suffit de celle-là. Cette résolution du gouvernement lui a été également inspirée par la pensée des complications politiques qui pourraient résulter d'une nouvelle entreprise sur ces côtes. La prise de possession de l'Algérie n'a amené aucune grande complication européenne, et cela à cause de la révolution de 1830. C'est dans la gravité de l'événement de 1830 que la prise de possession de l'Algérie par la France a disparu. Aujourd'hui cette possession est acceptée par toutes les puissances de l'Europe. Mais une nouvelle extension, de nouvelles conquêtes, ne passeraient pas sans événements graves, et il est du devoir d'un gouvernement sage de prévoir et de prévenir.

Dans cette politique de la France en Afrique, M. Guizot voyait autour de l'Algérie des appuis naturels, des alliés presque nécessaires, nos propres voisins : le bey de Tunis, à l'est; l'empereur de Maroc, à l'ouest.

A l'est, on avait réussi sans peine. A l'ouest, il n'en était pas de même. Abd-el-Kader, en effet, depuis le commencement de sa lutte contre la France, s'est constamment appliqué à exciter dans l'esprit de l'empereur du Maroc la crainte, la méfiance, l'aversion des Français, s'adressant en même temps aux passions religieuses et nationales du peuple marocain, et les excitant contre l'empereur pour dominer indirectement le gouvernement marocain par son peuple, quand il ne peut pas le dominer directement lui-même. En présence de cette politique d'Abd-el-Kader, la politique de la France est de calmer

l'empereur du Maroc, de le confirmer dans son désir de la paix, et en même temps de lui donner quelque appui contre les passions fanatiques de son peuple.

Or, pour qu'une politique réussisse, continuait M. le ministre des affaires étrangères, il faut la suivre et la pratiquer toujours, dans les temps difficiles comme dans les temps ordinaires, au sein mème de la guerre et quand les rapports sont momentanément interrompus, comme au sein de la paix. L'esprit de suite dans la politique est la condition nécessaire du succès. Là était la clef de la conduite du gouvernement. M. Guizot le prouvait par un précis rapide de la guerre.

Chassé de l'Algérie, Abd-el-Kader s'était établi sur la frontière marocaine. Là, il avait réussi à soulever une question de territoire: il avait persuadé aux Marocains que le territoire de Lalla-Maghrnia et les tribus établies sur ce territoire n'appartenaient pas à la France, mais au Maroc; il les avait poussés à en réclamer la possession. Au même moment, et par une coïnci→ dence de pur hasard, une querelle s'était élevée entre l'Espagne et le Maroc; au même moment encore, le Danemarck et la Suède étaient venus réclamer du Maroc l'abolition du tribut qu'ils lui payaient depuis longtemps. Abd-el-Kader s'était appliqué à persuader au gouvernement et au peuple marocain que c'était la France qui suscitait l'Espagne, la Suède, le Danemarck contre le Maroc. De là les agressions hostiles de mai, juin, juillet.

En présence de motifs de guerre si naturels, si légitimes, le gouvernement avait maintenu fermement tout ce qui était d'un intérêt réel pour l'Algérie, la possession légitime du territoire contesté, et en même temps il avait réclamé péremptoirement l'expulsion d'Abd-el-Kader du territoire marocain. Enfin, il avait réprimé et puni sévèrement les agressions dont notre territoire avait été l'objet. Voilà ce que commandaient les intérêts de l'Algérie.

Mais, en même temps, le gouvernement avait soigneusement écarté des affaires de la France tout ce qui leur était étranger,

tout ce qui ne s'y rapportait pas directement. Il avait offert à l'Espagne sa médiation pour aplanir ses différents avec le Maroc; il avait offert au Danemarck, à la Suède, qui les réclamaient, ses bons offices pour leur faire obtenir du Maroc l'exemption du tribut qu'ils lui payaient. Mais il n'avait mêlé le nom de la France à aucune de ces querelles, identifié les intérêts de la France à aucun de ces intérêts.

Rien n'avait pu empêcher la guerre, et cette guerre avait été faite vivement, énergiquement, sans considération d'aucune circonstance antérieure. On avait agi hautement, au grand jour, sans rien laisser ignorer à personne des motifs de la guerre, ni des limites dans lesquelles on voulait la contenir.

Cette politique suivie avant la guerre, pendant la guerre, l'avait été encore après la guerre. On parlait de concessions faites soit au Maroc, soit aux représentations d'autres puissances: on ne savait donc pas comment le traité avait été conclu? Sur la demande de la paix officiellement adressée à nos négociateurs et à M. le prince de Joinville, ils s'étaient rendus devant Tanger. On avait présenté au gouvernement un traité tout rédigé, dans lequel il n'y avait pas un mot à changer, pas un article à discuter, et qu'il fallait signer à l'instant même, sous peine de continuation des hostilités. Le traité avait été signé, et en deux heures tout était fait. Il n'avait donc été fait de concession à personne. C'est la volonté de la France représentée par le prince et les plénipotentiaires qui avait dicté le traité.

Ce traité, œuvre toute française, on l'attaquait aujourd'hui. M. Guizot en discuta les articles et les mots incriminés. On niait la valeur de la mise hors la loi imposée à l'empereur contre Abd-el-Kader. Cette mise hors la loi, c'est l'excommunication religieuse, excommunication qui est dans les droits de l'empereur du Maroc, chef de la religion, excommunication d'autant plus grave qu'elle entraîne l'interdiction de l'asile.

Demander à l'empereur ou l'expulsion ou l'internat d'Abd-elKader, c'était demander plus que l'empereur ne pouvait faire, c'était exiger de lui ce que la France n'a pu faire en Algérie de

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