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qu'on pourrait tirer de la Chine, de l'Indoustan et de l'Afrique?

Le second article du projet portait allocation pour la formation, par voie de travail libre et salarié, d'établissements agricoles servant d'ateliers de travail et d'ateliers de discipline. Le crédit de 368,000 franes consacré à cet article, M. le baron Charles Dupin n'avait qu'un seul reproche à lui faire. c'était d'ètre beaucoup trop insuffisant pour les besoins de quatre colonies. Il ne fallait pas oublier qu'aujourd'hui ces colonies comptent 120,000 habitants libres de fait et de droit, parmi lesquels il n'y en a pas, à beaucoup près, 10,000 qui puissent vivre de leurs revenus sans y joindre aucun travail.

C'est sur cet article, continuait le savant économiste, qu'il aurait fallu porter toute la généralité des allocations, et, par une fatalité singulière, la Chambre des députés l'avait diminué au lieu de l'étendre.

M. le ministre de la marine se proposait, dans le terme de' cinq années, d'émanciper tous les noirs du domaine colonial ou royal, de les émanciper sans condition, sans rachat. Cette mesure devait arrêter l'attention de la noble Chambre.

Lorsque le gouvernement s'était prononcé pour le rachat obligatoire et successif, de préférence à l'émancipation complète et simultanée, ce n'avait point été par un misérable motif de patrimoine et pour exonérer le trésor d'un si grand acte de libéralité. Le gouvernement avait reconnu l'état déplorable du dernier système dans les colonies britanniques : il avait pensé pouvoir suivre le premier avec moins d'insuccès. Il avait pensé qu'en accordant la liberté comme une récompense offerte à l'amour du travail, à la bonne conduite, à l'économie de l'esclave, il honorait, il moralisait, il sanctifiait en quelque sorte l'affranchissement.

Arrivant ensuite à la quatrième allocation, celle de 400,000 fr. destinée à concourir au rachat des esclaves, l'honorable pair s'associait aux objections présentées par M. le prince de la Moskowa sur cette allocation, et déclarait que, tout en votant, malgré ses observations, pour les trois premières, il rejet

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terait celle de 400,000 francs comme contraire au principe de la loi générale.

M. le baron de Mackau répondit par quelques observations générales. Le gouvernement se préoccupait de l'intérêt de toutes les classes de la société dans nos colonies, de l'intérêt du propriétaire comme de celui d'une race d'hommes malheureux et qui méritent d'être secourus. Fallait-il donc se méprendre sur ses intentions?

Quant aux ateliers de discipline, attaqués par M. Charles Dupin, ceux qui existaient aujourd'hui dans nos colonies n'étaient autres que des geôles où l'on retenait les noirs esclaves qui, soit par mesure de police, soit par suite de jugements, étaient condamnés à subir cette peine. Ils étaient employés aux travaux les plus durs. Il ne pouvait y avoir rien de pareil dans l'atelier de discipline dont il était question dans la loi que la Chambre discutait en ce moment. Les ateliers de discipline qui seraient à créer pour l'exécution de cette loi étaient destinés à détenir, en les affectant au travail de la terre, les hommes qui seraient condamnés à cette peine par les pouvoirs auxquels la loi déjà votée et les ordonnances qui devaient en être la conséquence auraient départi la faculté de la prononcer. Il y aurait des dispositions d'exécution à prendre pour régler le détail du régime de ces ateliers. Le département de la marine y pourvoirait, en se tenant toujours dans l'esprit de la loi.

M. Mérilhou souleva à ce propos une question de légalité très-grave. L'intention du gouvernement était de disposer des habitations et des noirs qui, dans chaque colonie, appartenaient au domaine public. Environ 1400 esclaves se trouveraient dans cette situation, et ces esclaves seraient mis en liberté dans un délai de cinq ans.

Or, demandait M. Mérilhou, l'administration avait-elle le droit de faire ainsi acte de propriété pleine et entière vis-à-vis des esclaves domaniaux?

Avant la révolution de 1831, alors que les colonies n'étaient

réglées que par des ordonnances royales, le gouvernement pouvait exercer dans toute sa plénitude l'autorité métropolitaine ; mais, à présent que les colonies étaient réglées par des lois particulières, il importait de distinguer ce qui n'était que d'administration de ce qui touchait à l'aliénation de la propriété domaniale.

M. le ministre de la marine répondit à cette objection que le gouvernement comprenait très-bien qu'il ne pouvait ni être fait de retour définitif des habitations domaniales au domaine de l'Etat, ni être disposé des noirs qui les exploitent, sans qu'on eût tout d'abord assuré au trésor colonial un revenu égal au produit que les caisses coloniales retirent aujourd'hui de ces habitations et de ces noirs.

L'ensemble des habitations domaniales produit pour toutes les colonies un revenu d'environ 95,000 francs. Il avait été bien entendu que le changement de destination soit des habitations, soit des noirs employés à leur exploitation, ne saurait avoir lieu qu'autant que les colonies seraient dûment dédommagées de l'atteinte qui aurait été portée au revenu dont elles jouissaient en ce moment du fait de la possession de ces habitations. Le moyen de faire que les colonies rentrassent alors dans une somme équivalente à ce produit ne pouvait être conçu autrement que par la demande aux Chambres des crédits législatifs que rendrait nécessaire l'adoption des deux mesures proposées.

Ainsi donc, il ne s'agissait pas seulement d'une simple ordonnance royale pour modifier ce qui existe. Le gouvernement, à l'époque la plus rapprochée possible, viendrait demander aux Chambres des crédits qui attribueraient aux caisses coloniales une prestation annuelle d'une valeur égale aux revenus qu'elles auraient perdus.

M. Mérilhou soutenait encore que la faculté du rachat par l'Etat était le renversement de l'affranchissement par le travail au moyen du pécule de l'esclave.

Le chiffre importait peu, qu'il fut de 400,000 francs ou
Ann. hist. pour 1845.

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de plusieurs millions: ce qu'il y avait de grave, suivant le savant jurisconsulte, c'était l'intervention des fonds de l'Etat dans les libérations par rachat, parce que cette intervention était l'exclusion positive du rachat par pécule. Ce crédit, qui était alloué d'une manière restrictive, était laissé par la commission au pouvoir discrétionnaire et arbitraire du gouvernement, et c'était là, en quelque sorte, un vote de confiance. Il n'était plus question d'appliquer les 400,000 francs uniquement aux difficultés qui pouvaient survenir relativement au mariage des esclaves appartenant à des maîtres différents, à la nécessité de réunir les membres d'une même famille et à celle de séparer le maître et l'esclave dans le cas d'incompatibilité d'humeur.

Cette disposition, selon l'honorable pair, remettait en question la loi votée dans la noble Chambre le 14 avril : elle ne pouvait être intelligible et raisonnable qu'autant que l'esclave n'aurait d'autre moyen d'arriver à la liberté que par le travail. Si on lui donnait un autre sens, on bouleverserait les ateliers. Aujourd'hui, il ne s'agissait que de 400,000 francs; mais si le principe était une fois admis, cette somme demeurerait au budget et n'en disparaîtrait plus: chaque année on aurait à voter une semblable allocation.

M. Mérilhou pensait donc qu'il fallait rejeter purement et simplement le paragraphe en question de l'art. 1er.

M. le duc de Broglie, dont le lumineux rapport avait été l'objet des critiques de M. Mérilhou, affirma que jamais la commission n'avait eu en vue deux systèmes d'émancipation, un système d'émancipation simultanée aux frais de l'Etat, et un système graduel, uniquement par la voie du pécule et du rachat; qu'elle n'avait pas été d'avis qu'il fallait choisir entre ces deux systèmes, rejeter l'un pour approuver l'autre, nécessairement et complétement, avec cette pensée que la production d'une subvention de l'Etat, dans le système graduel, le détruirait complétement.

Non-seulement la commission dont M. le duc de Broglie avait

été l'organe n'avait pas présenté le pécule et le rachat comme un moyen suffisant à lui seul pour opérer l'émancipation, mais elle avait dit en propres termes que, réduite à ce moyen, l'émancipation serait nulle, illusoire, et qu'il était impossible de s'arrêter là.

Quand elle avait présenté, à défaut d'un système d'émancipation complète et simultanée, aux frais de l'Etat, le système graduel dans lequel étaient entrés pour quelque chose le pécule et le rachat, elle avait présenté en même temps d'autres moyens unis à celui-là, moyens qu'elle avait elle-même déclarés efficaces; mais le système graduel ne comptait presque pour rien l'émancipation par la voie du pécule et du rachat.

Il était vrai de dire que la commission avait posé deux systèmes exclusifs: elle avait posé un système qu'elle préférait, celui de l'émancipation complète, et un système graduel dans lequel l'émancipation par la voie du pécule et du rachat figurait comme élément; le reste, la partie efficace du système, devait être accompli aux frais de l'État.

Ainsi, en réalité, le rapport dont on avait argumenté ne pouvait servir de point d'appui à la discussion.

Etait-il vrai, d'ailleurs, que la Chambre, en adoptant la loi qu'elle avait votée l'année dernière, se fût interdit à jamais de recourir à une subvention prise dans le trésor de l'Etat pour compléter la mesure qu'elle avait proclamée? Si cela était, la loi eût été un malheur et non un avantage. S'il fallait regarder cette loi comme contenant le maximum de ce qui pourrait jamais être fait pour l'émancipation des esclaves, on aurait décrété la durée de l'esclavage à perpétuité.

Le résultat du pécule et du rachat serait bon, moral, comme amélioration dans le système de l'esclavage; mais, comme moyen d'émancipation, ce serait une mesure presque illusoire et de telle nature que jamais elle n'atteindrait son but si on s'y arrêtait d'une manière absolue.

L'expérience le prouvait. Il y a deux cents ans que le système de rachat libre est adopté dans les colonies espagnoles, et il y

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