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application légale. Voyons donc s'il existe un principe d'ordre public qui s'oppose à la validité des assurances sur la vie.

II. On invoque comme un principe d'ordre public, ce principe tiré des lois romaines, corpus liberum æstimationem non recipit. Mais il est bon de savoir dans quel sens les Romains eux-mêmes l'entendaient. Corpus liberum æstimationem non recipit, disent les lois romaines, scilicet ut non deformitatis vel doloris ratio habeatur, sed tantum impensarum in curationem factarum, præterea operarum quibus caruit, aut cariturus est ob id quod inutilis factus est (L. 3, ff. si Quadrupes paup. L. 7, ff. de His qui effud. vel dej.) On considérait donc, même chez les Romains, comme susceptible d'estimation, le préjudice qui pouvait résulter pour un citoyen, des blessures par lui reçues 2 ou celui qui pouvait résulter de sa mort pour sa famille, à cause de l'interruption des travaux qui fournissaient à sa subsistance. Quelle que fût au reste la législation des Romains sur ce point, il est certain que sous l'empire de notre législation, un semblable préjudice peut servir de base et de mesure à une action en dommages-intérêts, contre celui qui l'a causé par un fait volontaire ou par imprudence.

Si l'on est forcé de considérer comme susceptible d'estimation, le préjudice qui peut résulter de la mort d'un individu, pour ceux qui tiraient de lui leur subsistance, il faut convenir que le même événement occasionne un préjudice, d'une appréciation encore plus

facile, à ceux qui possédaient un droit constitué sur la tête de cet individu, ou même un emploi sujet à cesser à son décès. Un créancier qui n'a d'autre gage du paiement de sa créance que les salaires ou traitemens viagers de son débiteur, souffre aussi dans le cas où ce débiteur vient à mourir, un préjudice pécuniaire, et conséquemment estimable à prix d'argent.

12. Or, c'est pour couvrir un préjudice de ce genre, qu'un individu stipule une assurance sur la vie d'un autre individu. Suivant les lois anglaises relatives aux assurances sur la vie, il faut pour stipuler valablement une assurance sur la vie d'une autre personne, avoir un intérêt appréciable, pécuniaire, attaché à la durée de la vie de cette personne, et la somme assurée ne peut être supérieure au montant de cet intérêt. Les statuts de la compagnie d'assurances sur la vie, autorisée par ordonnance du Roi du 12 juillet 1820, portent également « La société assure sur la vie d'une per<< sonne à l'existence de laquelle une autre est inté

«<< ressée. »>

Dans ce cas, il est évident que l'assurance correspond à quelque chose de réel et d'appréciable: elle est destinée à couvrir par une indemnité pécuniaire une perte également pécuniaire; seulement le risque dont l'événement occasionne cette perte, et qui est aussi distinct de l'intérêt assuré dans l'assurance sur la vie que dans toute autre assurance, consiste ici dans les chances attachées à la durée plus ou moins longue de la vie d'un individu.

13. Reste aux adversaires des assurances sur la vie des hommes, de prétendre que la nature de ce risque suffit pour vicier le contrat, parce que la morale désapprouve toute convention dans laquelle on calcule froidement sur la vie et sur la mort de ses semblables. Ce reproche d'immoralité pourrait être, à plus juste titre, adressé aux contrats de rente viagère, de constitution d'usufruit à titre onéreux, et en général à toutes les conventions dont les effets sont subordonnés au décès de l'une ou de l'autre des parties. Si l'on jugeait des vœux des contractans d'après les effets de ces contrats, on pourrait supposer que l'un d'eux spécule sur la mort de l'autre, puisqu'il a tout à gagner à sa mort. On n'en peut dire autant des parties qui font un contrat d'assurance sur la vie. D'une part, l'assureur a intérêt à la prolongation de la vie, dont le terme doit donner ouverture à son obligation; d'un autre côté, celui qui doit recevoir le montant de l'assurance, pouvant tout au plus se flatter de conserver par là ce qu'il possède actuellement, n'est point intéressé à un événement qui ne doit point l'enrichir. Il ne spécule point sur la mort de son semblable comme sur une bonne fortune; il se borne à prendre des précautions capables de prévenir la ruine qui peut résulter pour lui d'un pareil évé

nement.

14. On pourra nous objecter que si l'assurance conserve son caractère de garantie et d'indemnité dans le cas où elle n'est stipulée que comme la représentation d'un intérêt réel, appréciable à prix d'argent, et dépendant

de la durée de la vie d'une autre personne, il n'en est point de même de l'assurance stipulée par un individu à son profit, pour le cas où il serait encore vivant à telle époque, ni de l'assurance stipulée en faveur d'un tiers auquel le stipulant ne doit rien, mais auquel il veut laisser à son décès une marque de libéralité. Dans ces deux cas, l'assurance ne peut être considérée comme une indemnité, puisqu'elle ne sert point à réparer une perte: elle n'est autre chose qu'un bénéfice

suré qui n'a rien en risque.

pour l'as

Aussi pensons-nous que les conventions du genre de celles dont nous venons de parler ne sont point de véritables contrats d'assurance, parce qu'elles ne présentent point la réunion des élémens ou conditions nécessaires pour la formation de ce contrat, qui se trouve, par l'absence d'une de ces conditions, privé de son caractère essentiel. Mais il ne s'ensuit pas nécessairement que de semblables conventions soient nulles, car lorsqu'une convention manque du caractère propre à une espèce de contrat, il faut encore examiner si elle ne se résout pas en un autre contrat qui soit licite, auquel cas elle demeure entière, sauf à changer de nom.

15. Or, la convention par laquelle je stipule qu'à mon décès vous payerez à un tiers une rente ou un capital dont j'acquitte par avance le prix en une somme ou prime annuelle, réunit les conditions exigées pour la validité des conventions en général. Car cette convention offre l'échange d'un capital contre une rente, ou d'une prime annuelle contre un capital, payable dans

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un avenir plus ou moins éloigné, ensorte qu'il y a chose et prix, ce qui suffit, avec le consentement des parties, pour constituer le contrat innommé do ut des. Il y a la aussi une sorte de risque qui consiste en ce que partie qu'on nomme improprement assureur, s'engageant à payer une rente viagère ou un capital à l'époque incertaine de la mort du stipulant, peut servir la rente plus ou moins longtemps, et recevoir plus ou moins longtemps aussi la prime annuelle, qui est le prix de son obligation. Ce mélange de risque suffit pour que le taux de la rente ou de la prime soit entièrement abandonné à la volonté des parties, comme l'établit, pour le contrat de rente viagère, l'art. 1976 du Code civil. Il y a même beaucoup d'affinité entre la convention dont il s'agit et le contrat de rente viagère autorisé par l'art. 1973, qui porte : la rente viagère peut être constituée au profit d'un tiers, quoique le prix en soit fourni par une autre personne.

16. La convention par laquelleje stipule que si je survis à telle époque, vous me payerez un capital ou une rente, dont j'acquitte le prix en une somme payée à l'avance ou en une prime annuelle, n'offre point les mêmes élémens que la précédente; à la différence de celle-ci, qui est en partie commutative et en partie aléatoire, celle dont nous nous occupons maintenant est entièrement aléatoire. Car l'obligation contractée envers moi, de me payer une rente ou un capital si je survis à telle époque, n'est pas comme celle de payer une somme à l'époque de ma mort, une obligation à terme, mais une obligation

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