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doutes et tous les différends relatifs aux immunités, aux droits et aux priviléges accordés et assurés par les anciens sultans aux habitants de la Valachie, de la Moldavie et de la Serbie, qui, de même que différentes autres nations chrétiennes, dans l'empire turc, professent la religion gréco-russe, on est convenu, par les présentes conventions, des conditions suivantes, savoir: La religion grecque sera toujours protégée dans toutes les églises; les représentants de la cour impériale auront le droit, comme par le passé, de donner des ordres aux églises, tant à Constantinople que dans d'autres endroits et villes, ainsi qu'aux ecclésiastiques, et comme ces conseils viennent de la part d'un gouvernement voisin et ami, ils seront bien accueillis. »>

Ce protectorat, assez vague, se trouvait défini par plusieurs autres prétentions qui consistaient en garanties d'indépendance à assurer aux patriarches grecs, qui seraient désormais nommés à vie; en une extension du traité de Kaïnardji qui n'arrivait à rien moins qu'a assurer le protectorat de la Russie sur les sujets grecs et arméniens de la Turquie.

La sanction matérielle de ces prétentions, c'était la présence d'une armée russe sur les bords du Pruth, le caractère officiel de l'ambassadeur, chef suprême de la marine impériale, et son attitude bien marquée d'intimidation.

Il fallait d'abord dégager la question des Lieux-Saints de ces propositions beaucoup plus graves dont elle n'était que le prétexte. C'est ce que comprirent les deux ambassadeurs de France et d'Angleterre. Ce point réglé, la Porte serait bien plus forte en face de propositions que ne justifieraient ni les nécessités du moment, ni les traités antérieurs; que si alors on essayait de les lui imposer par la force, la Porte pourrait en appeler aux puissances signataires, avec la Russie, du traité de 1841.

La Porte suivit ces conseils, et M. de La Cour apporta dans la discussion définitive de l'affaire des Lieux-Saints une facilité, un esprit de conciliation vraiment embarrassants pour la Russie. M. de Nesselrode avait déjà été amené à reconnaître que la note de la Porte à l'ambassade française du 9 février 1852, et le firman grec du 10 février de la même année n'offraient que des

différences insignifiantes, et il avait dû faire à sir Hamilton Sey-mour cet aveu singulier : « Je ne comprends pas que le cabinet français ait élevé une question sur un point si peu digne de fixer l'attention. » Mais alors, comment comprendre que la Russie eût fait d'un point si insignifiant le prétexte d'accusations amères et de préparatifs menaçants? d'ailleurs, M. de La Cour sut bien vite enlever toute importance aux autres points restés en litige. Il s'agissait de la réparation de la coupole du SaintSépulcre et du règlement du service religieux des différentes communions dans l'église du tombeau de la Vierge. Il fut admis, dans une conférence entre M. de La Cour et le prince Menchikof, que la coupole serait réparée aux frais de la Turquie, et que le patriarche grec, s'il n'était pas admis, comme il le demandait, à diriger les travaux, pourrait au moins donner des conseils; quant à la répartition des heures du service religieux, les grecs et les arméniens passeraient avant les latins pour la jouissance du sanctuaire.

Telle fut la solution acceptée des trois côtés et qui donnait évidemment satisfaction au prince Menchikof. Il fut convenu que les deux firmans qui donnaient force de loi à cette solution lieraient la Porte dans l'avenir.

C'est le 4 mai que l'affaire des Lieux-Saints fut ainsi définitivement réglée. Le prétexte du prince Menchikof avait disparu, le gouvernement français tint à le constater hautement. Aussitôt qu'il put connaitre la fin de cette phase préliminaire de la question d'Orient, il marqua, par un article officiel inséré au Moniteur du 18 mai, le commencement d'une situation nouvelle. Cet article important résumait en quelques lignes la discussion relative aux Lieux-Saints, annonçait la solution obtenue sans l'abandon d'aucune concession antérieurement faite, et se terminait ainsi :

« C'était là, pour nous, le point essentiel, celui qui ne pouvait être de notre part l'objet d'aucune transaction. Quant à nos anciens traités avec la Turquie, nul acte diplomatique, nulle résolution de la Porte, ne saurait les invalider sans le consentement de la France.

» M. le prince Menchikof demande encore au Divan la conclu

sion d'un traité qui placerait sous la garantie de la Russie les droits et les immunités de l'Eglise et du clergé grecs. Cette question, complétement différente de celle des Lieux-Saints, touche à des intérêts dont la Turquie doit la première apprécier la valeur. Si elle amenait quelques complications, elle deviendrait une question de politique européenne, dans laquelle la France se trouverait engagée au même titre que les autres puissances signataires du traité du 13 juillet 1841. »

Ainsi tomba tout à coup le voile que la presse et et l'opinion publique en Angleterre avaient comme pris à plaisir d'épaissir devant leurs yeux. Il ne s'agissait donc plus de s'opposer à l'ambition de la France en Orient, d'empêcher que la France ne s'assurât par l'intimidation une prépondérance exclusive à Jérusalem. Il ne s'agissait plus d'une question de préséance entre l'Eglise grecque et l'Eglise latine, d'une querelle de sacristie; il y avait là, comme la France l'avait seule deviné tout d'abord, une question européenne, une affaire de prépondérance politique. L'indépendance de la Porte était vraiment menacée.

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Le principal objet de la mission du prince Menchikof, projet de sened, note comminatoire; conseils de l'ambassadeur anglais, confiance robuste du cabinet britannique; erreurs de l'opinion publique en Europe, les Grecs de race et de religion, tolérance religieuse de la Russie; refus de la Porte d'acquiescer aux conditions posées, tentative nouvelle d'intimidation, nouvelle insulte; dernier ultimatum, il est rejeté; départ du prince Menchikof; dernières illusions de l'Angleterre, le prince Menchik of sera-t-il désavoué, ultimatum du comte de Nesselrode. Traditions de la politique russe, instincts légitimes de la Russie, ses vues secrètes; historique de ses agrandissements vers le sud, persévérance dans le but, identité des procédés ; prévisions désespérées de l'Europe occidentale, l'avenir russe, opinions de Moutesquieu, de Napoléon, de M. Thiers, du maréchal Marmont; craintes exagérées de l'Europe, éléments nouveaux de la question, la Russie pourraitelle ou voudrait-elle s'emparer de Constantinople? opinion du général Foy. - Histoire secrète de la diplomatie russe : voyage de l'empereur Nicolas à Londres en 1844, propositions, memorandum; propositions nouvelles en 1853, l'homme malade et son héritage; offres faites à l'Autriche; offres faites à la France; préméditation patente. Chances de la Russie, ses motifs d'encourager la lutte : état moral, politique et matériel de la France et de l'Angleterre ; dépendance de l'Allemagne, craiute des révolutions, services rendus, alliances; situation de la Turquie, progrès et réformes. Erreurs et mécomptes du tɛar: intérêts politiques et matériels de l'Angleterre et de la France; intérêts et traditions de l'Autriche et de la Prusse; ressources de la Turquie; dispositions des populations chrétiennes de l'empire ottoman.

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Le prologue de la question d'Orient avait pris fin le 4 mai, et déjà le premier acte de ce drame politique était commencé. Le

19 avril, ayant reçu, disait-il, des instructions nouvelles, le prince Menchikof avait envoyé au Divan une note verbale où, après avoir encore, pour la forme, parlé des réclamations de la Russie relatives aux Lieux-Saints, il insistait pour la conclusion, non plus d'un traité, mais d'une convention ou sened. La note verbale essayait d'enlever tout caractère politique à cette exigence « La Russie, disait-elle, ne demande pas à la Porte de concessions politiques; son désir est de calmer les consciences religieuses par la certitude du maintien de ce qui a toujours été pratiqué jusqu'à notre temps. Elle requiert, dans l'intérêt des immunités religieuses du culte orthodoxe, un acte explicatif et positif de garanties, acte qui n'affecterait en rien ni les autres cultes, ni les relations de la Porte avec d'autres puissances. »

Le 5 mai, des instructions nouvelles étant encore arrivées d'Odessa, le prince remit au Divan une note plus pressante. Il y disait «N'ayant obtenu jusqu'ici aucune réponse au plus important point, qui réclame des garanties pour l'avenir, et ayant tout récemment reçu l'ordre de redoubler d'insistance pour arriver à la solution immédiate de la question qui forme le principal objet de la sollicitude de S. M. l'empereur, l'ambassadeur se voit dans l'obligation de s'adresser aujourd'hui à Son Excellence le ministre des affaires étrangères, en renfermant cette fois ses réclamations dans les dernières limites des directions supérieures. >>

Et le prince proposait une nouvelle rédaction de sened, légèrement modifiée dans la forme, non dans le fond. Un délai fixé pour dernière limite à la réponse de la Turquie donnait à cette note le caractère d'un ultimatum. Le prince terminait en demandant que le ministre ne répondît pas plus tard que le 10 mai, et en ajoutant qu'un délai plus long serait considéré par lui comme «un manque de procédés envers son gouvernement, ce qui lui imposerait les plus pénibles obligations. >>

Pour bien préciser le caractère comminatoire de la note, le prince Menchikof s'embarqua avec tout le personnel de son ambassade sur la frégate à vapeur russe la Bessarabie, mouillée devant le palais d'été de l'ambassade à Buyukdéré.

Jusque-là les ambassadeurs des grandes puissances s'étaient

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