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heur pour la civilisation européenne, et déjà on pouvait voir dans la crise future une de ces tempêtes qui rafraîchissent l'atmosphère après l'avoir ébranlée, qui rendent aux tempéraments leur énergie native. Elle marquerait assurément une ère nouvelle dans l'histoire des grandes luttes armées par la sollicitude qu'on aurait apportée à la prévenir; par l'énergie qu'on aurait déployée à la conduire vers un but honorable, exactement déterminé à l'avance; par la science et l'humanité des combattants; par les ressources encore inconnues qu'apporteraient à leurs armes les progrès de la science pacifique et industrielle.

Au début de la querelle, on s'épuise en efforts pour éviter la guerre; on sacrifie à ce noble résultat des droits incontestables, quelquefois même la dignité. Puis, quand la guerre est devenue inévitable, quand elle éclate, on s'attache à la localiser, à lui donner les proportions d'une affaire dans laquelle l'honneur sera bien vite satisfait; on semble consentir à ce que la Russie et la Porte descendent en champ clos, mais à la condition que le duel ne soit qu'au premier sang. Mais bientôt la réconciliation des deux adversaires primitifs devient impossible et des adversaires nouveaux entrent dans l'arène. Ils n'y sont pas encore pour leur propre compte; mais, comme ces témoins des duels et des passes d'armes du moyen âge, ils ont appporté leur épée.

La patience peut-être un peu crédule, à l'origine, du gouvernement britannique, la prudence des deux gouvernements de France et d'Angleterre, une fois la Russie démasquée, ne sauraient être blâmées en définitive.[D'abord, ils n'étaient pas prêts, et deux grands gouvernements ne doivent parler haut que lorsque l'effet peut suivre la menace. Ensuite, la précipitation à risquer une guerre eût compromis peut-être irrémédiablement le concours ou même la neutralité sympathique des deux grandes. puissances allemandes, plus intéressées dans la question, mais. aussi plus exposées que la France et que l'Angleterre. Les motifs de la Prusse, pour ne pas risquer précipitamment une rupture, sont, lord Palmerston l'a très-bien dit, écrits sur la carte de l'Europe. Quant à l'Autriche, outre les obligations directes contractées par elle envers la Russie, elle croyait encore à la

possibilité d'un arrangement amiable par son intermédiaire. Il fallait lui prouver que son influence serait stérile et qu'on ne voulait pas se précipiter dans un conflit sans tenir compte de sa position spéciale.

La politique de temporisation, effet d'une honorable crédulité, aurait donc produit au moins un résultat de la plus haute importance, l'alliance définitive et sur le pied d'égalité de la France et de l'Angleterre.

Au reste, si la guerre avec la Russie ne pouvait être évitée, on pouvait espérer que deux grandes puissances comme la France et l'Angleterre ne prendraient pas des demi-mesures et qu'elles sauraient faire les sacrifices sérieux exigés par une semblable lutte. Les deux gouvernements comprendraient sans doute qu'une guerre mollement faite contre un pareil ennemi ne serait qu'une suite de sacrifices inutiles, bons tout au plus pour accroître l'influence de l'ennemi.

Enfin, bonne pour la civilisation de l'Europe, la guerre future serait également avantageuse aux peuples qui attendent la civilisation chrétienne sur les confins de l'Europe et de l'Asie. Cette civilisation, un publiciste éminent, M. Saint-Marc Girardin, l'a bien dit, une fois entrée dans le bassin de la mer Noire, elle n'en sortira plus. L'idée utile et louable qui est au fond de la politique russe, la protection et l'émancipation des populations chrétiennes de l'Orient, sera infailliblement réalisée. La Turquie ne saurait résister qu'en exerçant elle-même cette protection salutaire. De quelque part que doive venir le bien, il faut qu'il vienne; c'est une concurrence, intéressée peut-être, mais profitable à l'humanité.

HISTOIRE DE FRANCE

CHAPITRE PREMIER

POLITIQUE, SESSION LÉGISLATIVE.

Les premiers jours de l'établissement impérial, reconnaissance de Napoléon III par les puissances étrangères; déclarations pacifiques; défiances et colères, l'émigration française et la presse britannique, injures grossières adressées à la nation française et à son chef; protestations et plaintes du gouvernement impérial; paroles peu mesurées de sir James Graham et de sir Charles Wood, explications et rétractations. Mariage de Napoléon III annoncé aux grands corps de l'État, position habile et forte, l'opinion publique et la nouvelle Impératrice. - Revirement de l'opinion en Angleterre, nouvelles déclarations pacifiques, les lettres franques, députation du commerce de Londres, le commerce et la paix, députation qui présente à l'Empereur le plan de jonction des deux Océans; gracieuse déférence du cabinet britannique, remise du testament de Napoléon I. — Ouverture de la session législative, discours de l'Empereur; inauguration des travaux du Sénat, discours de M. Troplong; théories napoléoniennes, le principe d'autorité; brochures, polémique engagée avec les partis vaincus, objections et réponses. - Caractère de la session législative, le nouveau mécanisme parlementaire, résultats législatifs.

le gou

Fortement constitué dès les derniers jours de 1852, vernement impérial ne devait pas éprouver ces longues difficultés qui entravent les gouvernements nouveaux avant qu'ils aient pu s'asseoir définitivement. Vainqueur de l'anarchie, Napoléon III n'avait à contracter avec elle aucun pacte compromet

tant; appuyé sur les votes de l'immense majorité de la nation, il pouvait parler et gouverner au nom de la France. Ce qu'il y avait peut-être d'excessif dans l'autorité dont il disposait trouvait sa justification dans les circonstances et dans la lassitude du pays.

Solidement fondé à l'intérieur, l'Empire était également en règle avec l'Europe.

La reconnaissance de S. M. l'Empereur des Français avait eu lieu de la part de toutes les cours, et les relations diplomatiques et internationales avaient été rétablies officiellement entre la France et le reste de l'Europe. L'Empire était entré dans le domaine du droit public européen, et le fait accompli était devenu, vis-à-vis de l'étranger comme en France, une situation parfaitement légale. Quelles qu'eussent été les difficultés, les mauvaises volontés opposées à cet acte, quelques scrupules qu'eussent élevés contre le nom de Napoléon ou contre son numéro dynastique la conviction ou l'intrigue dans les cours étrangères, l'Empire français n'en était pas moins consacré.

Nous donnons, dans les extraits suivants de la dépêche de M. de Manteuffel à M. de Hatzfeldt, ministre de France à Paris (28 décembre), un échantillon des sentiments exprimés par les puissances du Nord en reconnaissant le nouvel empire.

<< Monsieur le comte,

>> J'ai mis sous les yeux du Roi notre auguste maître la lettre da 3 courant, par laquelle M. le baron de Varennes m'a informé de l'avénement du prince Louis-Napoléon à la dignité impériale, lettre entièrement conforme à la communication que M, Drouyn de Lhuys vous avait fait parvenir sur le même objet le 1er courant.

» D'après l'ordre du Roi notre auguste maître, je ne tarde pas, monsieur le comte, à vous donner connaissance des résolutions que S. M. a prises à la suite de cet événement, et d'accord avec LL. MM. les Empereurs d'Autriche et de Russie.

» En nous notifiant la forme nouvelle qui a été donnée pour l'avenir à l'exercice du pouvoir souverain en France, le gouvernement français déclare en même temps positivement que cette transformation ne modifiera en rien sa situation vis-à-vis des puissances étrangères, D'après les communications qui nous ont été faites, l'Empereur des Français reconnaît et approuve tout ce que le président de la république a reconnu et approuvé depuis quatre ans, et donne, par

Porgane de son ministre, l'assurance que les efforts du gouvernement français seront consacrés, sous la réserve de ses droits, au maintien de la paix générale. Ces intentions pacifiques se trouvant d'accord avec les sentiments des autres souverains, le ministre français exprime la ferme confiance que le repos du monde est assuré.

» Ces notifications, confirmées par les déclarations solennelles et publiques du chef de l'État, ont été reçues par le Roi notre auguste maître avec une vive satisfaction. S. M., en appréciant, comme ils le méritent, les services rendus par le prince Louis-Napoléon à la cause de l'ordre, considérera les déclaratious susmentionnées du nouveau gouvernement comme un gage de son intention de persévérer dans la politique pacifique qu'il a suivie jusqu'à présent. Car, en même temps qu'il se montre pénétré d'une sincère estime pour les droits de tous, il s'engage à l'observation des traités existants et au maintien de la circonscription territoriale sur laquelle repose le système politique placé sous la sauvegarde de toutes les puisances européennes.

⚫ Ces déclarations se trouvant en parfait accord avec les intentions du Roi notre auguste maître, S. M., les recevant comme une garantie de la paix générale, reconnaît l'’avénement du président de la république française à la digaité impériale, et continuera d'entretenir avec le gouvernement de l'Empereur des Français les relations d'amitié et de bon voisinage qui subsistent si heureusement entre les deux pays. »

Déjà, plus d'une fois, Napoléon III avait adressé à la France et à l'Europe des déclarations peu suspectes de ses intentions pacifiques. Les solennités du nouvel an furent encore pour lui une occasion de renouveler ses assurances. Lorsque le corps diplomatique vint présenter ses hommages à l'Empereur, celui-ci, s'adressant à S. E. le nonce apostolique, prononça ces simples paroles, qui constituaient un engagement de plus:

«J'espère, avec la protection divine, pouvoir développer la prospérité de la France et assurer la paix de l'Europe. »

Cette politique n'était pas seulement de circonstance, elle était dans les intérêts les plus palpables du nouveau règne; et cependant elle trouvait des incrédules. La terreur et la rancune perpétuaient les défiances. La partie la plus remuante de l'émigration française avait établi à Bruxelles et à Londres des ateliers de pamphlets injurieux dont on inondait l'Europe et la France. On y représentait notre pays comme soumis au régime du sabre, le libre suffrage des électeurs comme violemment extorqué; les libertés publiques étaient, disait-on, audacieusement

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