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CHAPITRE V

Saint-Amant à Belle-Ile et au Siège de La Rochelle 1627-1628

Le duc de Retz, en se rendant à Belle-Isle, était passé à Prinçay, et l'évêque de Nantes, Messire Philippe de Cospean, avait manifesté ses regrets de ne pas voir Saint-Amant parmi les gentilshommes de sa suite. Lorsque le poète, après avoir suffisamment « en la Bretagne erré de vallon en montagne » comme il le dit dans la Vigne, » eut rejoint, au printemps de 1627, son protecteur dans son magnifique château de Belle-Isle-en-mer le duc lui fit connaître le bon souvenir du prélat. Profondément touché de l'intérêt que lui portait ce digne évêque, Saint-Amant s'empressa de lui dédier « Le Contemplateur » : (1)

Vous qui gardez d'un soin si doux
Le cher troupeau de votre maître,
Lui donnant, en dépit des loups,
Le pain sacré de grâce à paître ;
Vrai ministre d'état du ciel,
Coeur débonnaire, homme sans fiel,
Qui vivez comme font les anges,
Et méritez qu'en chaque lieu
On vous fasse part aux louanges
Que vous-même rendez à Dieu;

(1) Première partie.

Vous, dis-je, qui, daignant chérir
Les nobles travaux de ma muse,
Avez voulu vous enquérir

A quoi maintenant je m'amuse;
Je vous le veux dire en ces vers,
Où d'un art pompeux et divers
Je ferai briller mes pensées;

Et crois que les plus grands censeurs
Les verront si bien agencées,

Qu'ils en goûteront les douceurs.

Le Contemplateur peut être considéré comme une des bonnes pièces de Saint-Amant, soit comme inspiration, soit comme forme ; il n'y a pas une pensée à retrancher, et peu d'expressions à reprendre. Cette perfection relative si rare au commencement du XVIIème siècle, explique les éloges du bon Faret, qui, cependant se laisse emporter un peu loin dans la voie de l'admiration : « Ce divin Contemplateur, dit-il, qui ne peut être assez dignement loué que par celui même qu'il loue, je veux dire par ce grand et saint prélat à qui il est dédié, n'est-ce pas une sublime leçon de la plus parfaite sagesse et de la plus haute philosophie chrétienne et morale ? Lorsqu'il veut être sérieux, il semble qu'il n'ait jamais hanté que des philosophes, et, quand il veut relâcher son style dans la liberté d'une honnête raillerie, il n'est point d'humeur si stupide qu'il ne réveille, ni si sévère dont il ne dissipe le chagrin et à qui il n'inspire de subtils sentiments de joie. Son esprit parait sous toutes les formes, et c'est une chose admirable, et qui ne s'est peut-être jamais vue, qu'une mème personne ait pu en un éminent degré réussir également en deux façons d'écrire qui sont d'une nature si différente et qui semblent si opposées. » Cette dernière observation de Faret est parfaitement juste, on ne serait guère porté à attribuer à la même plume les vers du Contemplateur et ceux de la Vigne, du Fromage, des Cabarets ou du Palais de la Volupté. Cette diversité dans son œuvre prouve que le poète était aussi capable de s'adonner aux sujets sérieux que d'exceller dans les compositions les plus frivoles.

Saint-Amant se hâte d'informer Messire Cospean de son retour auprès de son cher duc de Retz :

Loin, dans une île qu'à bon droit
On honora du nom de Belle,
Où s'élève un fort qui tiendroit
Contre l'Anglais et le rebelle,
Je contente à plein mon désir
De voir mon Duc à mon plaisir,
Sans nul objet qui m'importune,
Et tâche à le garder d'ennui,
Sans songer à d'autre fortune

Qu'à l'honneur d'être auprès de lui.

Dans cette ile, le poète assis au sommet d'une roche nue, se laisse entrainer par la rêverie; ses regards se perdent sur l'immensité des flots qui lui rappellent le déluge au moment où, pour punir la méchanceté des hommes, Dieu brisa les barrières qui retenaient la mer; puis, voyant passer une colombe à tire d'aile, sa pensée se reporte sur celle qui revint à l'arche comme messagère du pardon divin. Il songe ensuite à la boussole, à cette attraction de l'aimant, de cette pierre dure au possible qui, suivant son expression, fait aux humains honte en l'art d'aimer, mais il s'arrête au souvenir de son protecteur:

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Alors Saint-Amant décrit la vie heureuse qu'il mène à Belle-Isle dans des stances assez réussies :

Quelquefois bien loin écarté,

Je puise, pour apprendre à vivre,
L'histoire ou la moralité

Dans quelque vénérable livre ;

Quelquefois, surpris de la nuit
En une plage ou pour tout fruit
J'ai ramassé mainte coquille,
Je reviens au château, rêvant,
Sous la faveur d'un ver qui brille
Ou plutôt d'un astre vivant.

O bon Dieu ! m'écriai-je alors,
Que ta puissance est nonpareille
D'avoir en un si petit corps
Fait une si grande merveille!
O feu qui, toujours allumé,
Brûles sans être consumé !
Belle escarboucle qui chemines,

Ton éclat me plaît beaucoup mieux
Que celui qu'on tire des mines,

Afin d'ensorceler les yeux !

Voilà les vers de Saint-Amant qui motivaient cette appréciation de Faret: « Cette chaleur que les anciens ont appelé génie, ne se communique qu'à fort peu d'esprits, et ne se fait principalement remarquer qu'aux descriptions, qui sont comme de riches tableaux où la nature est représentée d'où vient que l'on a nommé la poésie une peinture parlante. Et de fait, comme elle est le plus noble effort de l'imagination, on peut dire aussi que son plus noble chef-d'œuvre est celui de bien décrire. Il ne faut voir que les vers de M. de SaintAmant pour connaître qu'il a pris dans le ciel plus subtilement que Prométhée ce feu divin qui brille dans tous ses ouvrages. Néanmoins, cette ardeur d'esprit et cette impétuosité de génie qui surprennent nos entendements et qui entrainent tout le monde après elles ne sont jamais si déréglées qu'il n'en soit toujours le maitre. Son jugement et son imagination font un si juste tempérament et sont d'une si parfaite intelligence, que l'un n'entreprend rien sans le secours de l'autre. » Peut-être ne trouvera-t-on pas ces expressions d'un ami trop élogieuses, après les deux stances suivantes :

Tantôt, saisi de quelque horreur
D'être seul parmi les ténèbres,

Abusé d'une vaine erreur,

Je me feins mille objets funèbres;
Mon esprit en est suspendu,
Mon cœur en demeure éperdu,
Le sein me bat, le poil me dresse,
Mon corps est privé de soutien,
Et, dans la frayeur qui m'oppresse,
Je crois voir tout, pour ne voir rien.

Tantôt, délivré du tourment
De ces illusions nocturnes,
Je considère au firinament
L'aspect des flambeaux taciturnes ;
Et, voyant qu'en ces doux déserts
Les orgueilleux tyrans des airs
Ont apaisé leur insolence,
J'écoute, à demi transporté,

Le bruit des ailes du Silence,
Qui vole dans l'obscurité.

Ces derniers vers justifient les précédents éloges de Faret et même les phrases suivantes : « Notre ami peut se vanter d'avoir toutes les grandes qualités requises à un vrai poète. Ses inventions sont hardies et agréables; ses pensées sont hautes et claires; son élocution est nette et vigoureuse, et, jusques au son et à la cadence de ses vers, il se trouve une harmonie qui peut passer pour sœur légitime de celle de son luth. Lorsqu'il décrit, il imprime dans l'âme des images plus parfaites que ne font les objets mêmes, il fait toujours remarquer quelque nouveauté dans les choses qu'on a vues mille fois. » Souvent Saint-Amant assiste au lever du soleil, et voyant ressusciter, pour ainsi dire, l'astre qui distribue la chaleur et la vie à l'univers, sa pensée envisage la rédemption de « l'humaine race, » et après une allusion au Tableau du Jugement dernier de MichelAnge, ce fameux peintre romain,» il consacre des stances vigoureuses à la description de la catastrophe qui rejettera notre globe dans le néant. Il se laisse aller à ses rêveries, car il sait que rien à Belle-Isle ne lui manquera :

Trouvai-je au retour couvert mis,
J'entretiens mon Duc à la table,

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