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CHAPITRE IV

Saint-Amant à Paris et en mer, 1624-1627.

L'année 1624 fut pénible pour Saint-Amant car dans les premiers mois, en mars, il perdit un de ses amis les plus chers, Molières d'Essertines, assassiné, à ce que rapporte Sorel, par les gens auxquels il avait accordé sa confiance, et, dans les derniers mois, le 18 novembre, son vieux père àgé de 73 ans qui était demeuré fidèle au calvinisme, puisque son acte d'inhumation figure sur le registre des protestants. (1) Saint-Amant, obsédé par la fin tragique de Molières d'Essertines, exprima l'état de tristesse de son âme dans le poème « Les Visions, » qu'on accueillit avec autant de faveur que «La Solitude. » Faret dans la Préface de 1629 écrit : « Quel courage assez hardi pourrait ouïr réciter ces Visions mélancoliques, dont le titre seul a je ne sais quoi d'effroyable, sans frémir d'horreur ! » Il faut remarquer l'expression « réciter, » qui prouve bien qu'avant 1629, Saint-Amant n'avait fait imprimer aucun recueil complet de ses poésies, et qu'il se contentait de les communiquer verbalement aux réunions littéraires si fréquentes alors. C'était, du reste, bien suffisant pour asseoir sa réputation, d'après les vers suivants de l'auteur des « Exercices de ce temps » attribués à Courval-Sonnet :

Ménard, Gombaut, Hardy, Malherbe, Saint-Amants
Tenus pour demi-dieux chez tous les courtisans,
Avec combien d'efforts d'une luisante flamme,
Elancez-vous en haut les mouvements de l'âme ?

(1) D'après l'acte cité par M. O. Le Vaillant de la Fieffe. (Les Verreries, etc.).

Au début des Visions (1) le poète se plaint de ses souffrances cruelles, et lorsqu'il appelle le sommeil pour faire trêve un instant à ses amères pensées :

Un grand chien maigre et noir, se traînant lentement,
Accompagné d'horreur et d'épouvantement,

S'en vient toutes les nuits hurler devant ma porte,
Redoublant ses abois d'une effroyable sorte.

Réveillé en sursaut, transi de frayeur, un horrible cauchemar continue de le poursuivre :

La lune, dont la face alors resplendissait,

De ses rayons aigus une vitre perçait,

Qui jetait dans ma chambre, en l'épaisseur de l'ombre,

L'éclat frais et serein d'une lumière sombre,

Que je trouvais affreuse, et qui me faisait voir

Je ne sais quels objets qui semblaient se mouvoir.

La clarté du matin, elle-même, ne parvient pas à dissiper son malaise et ses inquiétudes :

Cet astre qu'on réclame avec tant de désirs

Et de qui la venue annonce les plaisirs,

Ce grand flambeau du ciel, ne sort pas tant de l'onde
Pour redonner la grâce et les couleurs au monde,

Avec ses rayons d'or si beaux et si luisants,

Que pour me faire voir des objets déplaisants.

Sa lumière, inutile à mon âme affligée,

La laisse dans l'horreur où la nuit l'a plongée;

La crainte, le souci, la tristesse et la mort,

En quelque lieu que j'aille, accompagnent mon sort.

Lui, qui aime tant les fleurs, la verdure, la lumière, la chaleur, il reste insensible à toute espèce de séduction des sens, son cœur est glacé :

Ces grands jardins royaux, ces belles Tuileries,
Au lieu de divertir mes sombres rêveries,

(1) Première partie.

Ne font que les accroître et fournir aliment
A l'extrême fureur de mon cruel tourment.
Au plus fort de l'été je n'y sens que froidure,
Je n'y vois que cyprès, encore sans verdure,
Qu'arbres infortunés tout dégouttant de pleurs,

Que vieux houx tout flétris et qu'épines sans fleurs.

La situation lui parait si malheureuse que rien ne peut soulager sa douleur, pas même :

Les plaisants promenoirs de ces longues allées,

Où tant d'afflictions ont été consolées.

Et c'est en vain qu'il voudrait chercher l'oubli dans l'étude :

Si je prends quelque livre en mon inquiétude,

Et tâche à dissiper cette morne habitude,
Marot, en ses rondeaux, épîtres, virelais,
Le moqueur Lucian et le fou Rabelais,

Se métamorphosant par certains tours magiques,
Ne sont remplis pour moi que d'histoires tragiques.
Ovide en l'Art d'aimer m'épouvante d'abord.

Le charme de la musique est impuissant à le calmer, son luth reste muet sous ses doigts, il a toujours présent à l'esprit l'horrible assassinat de son ami Molières d'Essertines:

Puis, quand il me souvient de l'horrible aventure
Qui mit tout mon bonheur dedans la sépulture,

En y mettant Lysis, et qu'il m'est défendu

De chercher seulement le bien que j'ai perdu,

Je m'abandonne aux pleurs, je trouble tout de plaintes,
Un mortel désespoir me donne mille atteintes,
Et, parmi les tourments qui m'ôtent le repos,
Songeant à ses écrits, je dis à tout propos :

O belle Polyxène ! amante infortunée !
Tu dois bien regretter ta courte destinée,
Puisqu'une telle fin t'interdit d'espérer

Celle des longs travaux qui te font soupirer!

La Polyxène de Molières d'Essertines, un des nombreux romans

parus à la suite de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, était une imitation de l'histoire de Daphnide. Le privilège de cet ouvrage dédié à la princesse de Conti, porte la date de 1622, et semble le donner comme complet en ses quatre livres, mais c'est évidemment une erreur, car Saint-Amant ajoute:

O précieux enfant d'une si rare plume!

Beau livre! grand trésor, mais trop petit volume!
Ouvrage que la mort empêcha de finir.

Le sentiment général croyait si bien que l'ouvrage était resté inachevé, que plus tard, en 1632, il parut en deux volumes: « La Polyxène du sieur de Molières, avec la suite et la conclusion, » par un sieur de Pomerays. La douleur que lui cause la mort de son ami et le regret de la perte de tant de belles œuvres qu'il aurait certainement composées, font que Saint-Amant voudrait tirer vengeance de cet horrible forfait :

Et, m'inspirant au cœur ce que pour allégeance
Lui pourra suggérer une horrible vengeance
Contre cet assassin rempli de trahison

Qui termina ses jours en leur verte saison,

Me mettra dans les mains les plus pesantes chaînes,
Les feux les plus ardents et les plus longues gênes,
Pour en punir ce monstre, et faire un châtiment
Que l'on puisse égaler à mon ressentiment.

Malheureusement cet assassin devait être bien puissant et SaintAmant sent augmenter sa douleur en voyant « qu'il lui est défendu » de chercher à le châtier. Les amis du poète essayaient de le distraire de ses noires pensées, et parmi eux surtout Pierre Deslandes-Payen, Conseiller à la Cour du Parlement de Paris, magistrat d'un caractère intègre et indépendant qui joua sous la Fronde parlementaire un rôle assez en vue. Deslandes possédait non loin de Paris, à Ruel, une belle maison de campagne, où il recevait souvent ses amis et dont Bois-Robert a laissé une description plus exacte sans doute que poétique, ainsi qu'on va en juger :

Je crois si je voulais décrire
Toutes ces choses que j'admire
Dedans un séjour si parfait,
Que ce ne serait jamais fait.
Cette recherche curieuse

Veut une plume glorieuse,

O qu'elle appartient justement
A ton cher ami Saint-A nant,....
Mais sa triste muse arrêtée

Au souvenir de ses malheurs,

Aujourd'hui n'aime que les pleurs.

Bois-Robert continue longuement sur ce ton et insiste tout particulièrement dans sa description, sur les sources nombreuses et abondantes qui rafraichissaient ce magnifique domaine. Saint-Amant composa, dans cette belle maison de campagne de Deslandes, une de ses pièces les plus parfaites, « la Pluie » ; (1)

Enfin, la haute Providence

Qui gouverne à son gré le temps,
Travaillant à notre abondance,
Rendra les laboureurs contents.
Sus, que tout le monde s'enfuie !
Je vois de loin venir la pluie,
Le ciel est noir de bout en bout,
Et ses influences bénignes

Vont tant verser d'eau sur les vignes,
Que nous n'en boirons plus du tout.

L'ardeur grillait toutes les herbes,
Et tel les voyait consumer
Qui n'eût pas cru tirer des gerbes
Assez de grain pour en semer;
Bref, la terre en cette contrée,
D'une béante soif outrée,

N'avait souffert rien de pareil
Depuis qu'une audace trop vaine

Porta le beau fils de Climène

Sur le brillant char du Soleil.

(1) Première partic.

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