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et les Bons Biberons. Toujours disposé à courir les aventures, après avoir visité dans sa jeunesse l'Afrique et l'Amérique, il prit part et sur terre et sur mer, à toutes les guerres par lesquelles la France de 1624 à 1649 parvint à conquérir la première place en Europe. Maniant, suivant son expression, la plume aussi bien que l'épée, il célébra les exploits maritimes du comte d'Harcourt, le Passage de Gibraltar et la reprise des îles de Lérins, ainsi que les prodiges guerriers accomplis en Italie par ce vaillant Cadet-à-la-Perle de la maison de Lorraine, qui le compta au nombre de ses plus fidèles, de ses plus braves et de ses plus dévoués compagnons. Aussi grâce à sa valeur et à ses qualités chevaleresques fut-il toujours recherché par les héros de son temps, les Schomberg, les Bassompierre, les Créqui, à la suite desquels, il était, au premier appel, disposé à marcher aut combat, espérant bien, la campagne finie, reprendre sa plume et chanter leurs succès.

Marc-Antoine de Gérard naquit à la fin de l'année 1594. (1) Cette date n'est pas douteuse, car il termine ainsi en 1649 les «Nobles Triolets ». (2)

Quand l'an qui court se fermera,
'ourirai mon douzième lustre.

J'ignore ce qu'on tramera

Quand l'an qui court se fermera ;
Mais je sais qu'à qui rimera,
Je pourrai passer pour illustre.
Quand l'an qui court se fermera,
J'ouvrirai mon douzième lustre.

C'est en Normandie, à Rouen, qu'il vit le jour ainsi que le cons

(1). Le 30 septembre d'après l'acte de baptême suivant, retrouvé par M. O. Le Vaillant de la Fieffe: « Du dernier de septembre 1594 a été baptisé le fils de Anthoine Girard et de Anne Hatif, présenté par Guillaume Lecœur et nommé Anthoine. » On remarquera que cet acte porte Anthoine Girard et non Marc-Antoine de Gérard; en outre, la cérémonie du Cette note et baptême ne s'accomplissait souvent que plusieurs jours après la naissance.

les suivantes sont extraites de l'ouvrage : « Les Verreries de la Normandie, les gentilshommes et artistes verriers normands », par O. Vaillant de la Fieffe, membre de la Société des Antiquaires de Normandie, Rouen, C. Lanetu, libraire de la Cour d'appel, 1873, in 8°.

(2 Troisième partie.

tatent les vers suivants, adressés en 1650 à la « Vistule » qu'il s'apprête à chanter : (1)

Je n'en fis pas tant pour les eaux précieuses
Qui, coupant des beaux lys les terres gracieuses,
Abreuvent la contrée où proche de leur cour,

J'augmentai ma famille et vis mon premier jour.

X

La demeure familiale, que le poète conserva du reste jusqu'à son dernier jour était située à Rouen près des rives de la Seine, comme nous l'apprend « la Seine extravagante » petit poème composé lors de l'inondation de 1658 :

Donc la Seine, en ses grands accès,
Est fâcheuse et hors d'eile-même;
Donc ses désordres, ses excès,
Font devenir le monde Flême.
J'en ai le cœur fort affligé,
Toutefois, je suis obligé
D'en excuser une partie :
Elle aime tant mon entretien,

Que de son lit elle est sortie
Pour me venir voir jusqu'au mien.

La voilà grosse de cent ponts

Qu'elle a tous réduits à non-être ;

La voilà, haute jusqu'aux monts,

Qui veut entrer par ma fenêtre.

Dans cette mème pièce, une strophe précise l'emplacement de cette résidence qui se trouvait dans un des faubourgs de la ville, en aval du cours de la Seine:

Une horrible confusion

Règne au faubourg où je demeure,

Et, comme ton invasion,

Elle s'augmente d'heure en heure.

Tu désespères tout ici,

Tout s'abandonne à ta merci,

(1) Dernier Recueil, La Vistule sollicitée.

(2)

(2). La propriété d'Anthoine Girard comprenait un assez vaste enclos; elle était située rue du Pré, et des acquisitions ultérieures l'étendirent jusqu'à la rue des Anglais. (Les Verreries, etc,).

Richesses, meubles, corps et membres ;
Et, chez nous-mêmes prisonniers,

Nos cuisines sont dans nos chambres

Et nos caves dans nos greniers.

La famille de Gérard était ancienne et d'une noblesse incontestée.(1) Le titre d'Ecuyer du Roi donné à Saint-Amant sur les Registres de l'Académie française en est une première preuve; de plus, dans l'Avertissement au Lecteur, qui précède en 1657, « La Généreuse » Epitre dédiée à son Altesse Madame la princesse Palatine, sœur unique de la Sérénissime Reine de Pologne et de Suède, il dit : « Je ne me suis pu résoudre jusqu'à présent à me « monsieuriser » moimême dans les titres de tous mes ouvrages; je te prie de croire que ce n'est point par une modestie affectée et quand on m'aura bien prouvé que j ai mal fait, je ne me « monsieuriserai » pas seulement, mais, pour réparer ma faute, je me messiriserai » et me « chevaliserai », à tour de bras, pour le moins avec plus de raison que la plupart de nos galants d'aujourd'hui en ont à prendre la qualité de comte ou de marquis. » Ces quelques mots étaient une réponse directe à certains passages du « Roman comique » de Scarron, et aux « Advis ou les Présents» de Mademoiselle de Gournay, précédés d'un « Discours sur ce livre », dans lequel une grande différence était longuement établie par la docte fille, pour la qualité de gentilhomme, entre les expressions de "sieur" et de " monsieur".

Quant à l'antiquité de sa race, le poète, dans une élégie adressée à une Dame, en 1628, au moment de son départ de Paris pour le siège de la Rochelle, se glorifie qu'un de ses ancêtres ait battu les Anglais, pendant la guerre de Cent ans :

(2)

Et combien que la gloire à tout heure m'appelle
Pour aller de mon bras effrayer La Rochelle,
Ou repousser l'effort des orgueilleux Anglois
Que l'un de mes aïeux a vaincus autrefois.

(1). Nous avons accepté, ayant pris comme guide le texte de ses préfaces et de ses poésies, la version de Saint-Amant lui-même, qui se trouve contredite par les pièces publiées par M. O, Le Vaillant de la Fieffe, et cela parce qu'il nous a été impossible de les iaire concorder. Ainsi d'après des documents du tabellionnage de Rouen, le nom de famille du poète était Girard, il aurait eu deux sœurs, et deux frères, tandis que Saint-Amant affirme, comme on le verra plus loin, qu'il n'eût que deux frères.

(2) Première partic.

Il n'ose pas affirmer, d'une façon précise, que ses ascendants remontaient jusqu'au temps du fameux Gérard, né vers 1040, mort vers 1121, qui, à Jérusalem, après la première croisade fonda l'ordre militaire et religieux des frères hospitaliers de Saint-Jean, devenus si célèbres sous les noms de Chevaliers de Rhodes, puis de Malte, mais il a soin de laisser aux autres la conclusion à tirer d ́un rapprochement, que, dans son Epitre au comte d'Arpajon en 1649, parlant de la haine manifestée par les Tures envers sa famille, il indique en ces termes: «Comme s'il y avait quelque fatalité barbare secrètement affectée à la destruction de notre famille, peut-être parce qu'elle porte le nom de ce grand Gérard, qui fut le célèbre. instituteur de ce bel ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ordre si redoutable à ceux qui professent l'infidè'e secte de Maho- Une autre preuve décisive de sa noblesse, c'est père s'éleva à un grade élevé dans la flotte anglaise, grado que pouvaient seuls obtenir les gentishommes ou hommes de qualité, comme on disait alors.

met. »

que son

Les de Gérard étaient attachés au culte réformé et Saint-Amant fut élevé dans la religion protestante; ce qui le démontre d'une manière irréfutable, c'est, outre les services de son père dans la marine de la Grande Bretagne où un catholique aurait été mal vu, une affirmation de Tallemant des Réaux, dont il n'y a pas lieu en cette circonstance de se méfier, le fait que son extrait de baptême n'aurait été retrouvé sur aucun registre des paroisses de Rouen,(1) enfin que lui-même parle de sa conversion en termes clairs et précis, dans la première strophe de son poème « le Contemplateur, » écrit en 1625 à Belle-Isle et dédié à Messire Philippe Cospeau, Évêque de Nantes, qu'il remercie de l'avoir ramené au catholicisme par les vers suivants :

(2)

Vous par qui j'espère être exempt
De choir en l'éternelle flamme,
Apôtre du siècle présent,

(1). L'acte de baptême déjà cité de Saint-Amant, sons le nom d'Anthoine Girard a été retrouvé, en effet, sur les registres des protestants de la paroisse de Quevilly, près Rouen. Son père est qualifié dans les actes de baptême de ses enfants de Dyaere en cette église, et de Ancien en l'église, » dans son arte d'inhumation, (Les Verreries, etc.)

2) Première partie.

Cause du salut de mon âme,

Divin prélat, saint orateur,

Juste et souverain destructeur

Des infernales hérésies;

Grand esprit, de qui tout prend loi,

Et dont les paroles choisies

Sont autant d'articles de foi.

Il termine ce petit poème, sur lequel il y aura lieu de revenir à son heure, par ces trois strophes, qui, en traçant un tableau émouvant du Jugement dernier, témoignent bien de l'ardeur de la foi d'un nouveau converti :

L'unique oiseau meurt pour toujours,

La nature est exterminée,

Et le Temps, achevant son cours,

Met fin à toute destinée.

Ce vieillard ne peut plus voler,

Il se sent les ailes brûler

Avec une rigueur extrême;

Rien ne saurait le secourir,

Tout est détruit, et la Mort même

Se voit contrainte de mourir.

O Dieu ! qui me fais concevoir
Toutes ces futures merveilles,
Toi seul à qui, pour mon devoir,
J'offrirai le fruit de mes veilles,
Accorde-moi par ta bonté

La gloire de l'éternité,

Afin d'en couronner món àme;

Et fais qu'en ce terrible jour

Je ne brûle point d'autre flame
Que de celle de ton amour.

Et vous, dont les discours sont tels,
Accompagnés de bons exemples,
Que par leur fruit les vrais autels
Triomphent de tous les faux temples;
Vous, dis-je, à qui j'écris ces vers,

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