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CHAPITRE XXV

Dernières années de Saint-Amant; sa mort.
1658-1659-1660-1661

Au printemps de l'année 1658, Saint-Amant se trouvait à Rouen et venait d'être, comme tous ses compatriotes, non seulement le témoin mais aussi un peu la victime d'une inondation exceptionnelle de la Seine. Le fleuve dans un terrible débordement renouvela en 1658, les ravages que les crues de 1649 et de 1651 avaient fait éprouver aux riverains et surtout aux Parisiens. La moitié du pont de la Tournelle avait été enlevée en 1651, mais l'inondation de 1658 fut encore la plus désastreuse de toutes. Les eaux envahirent la moitié de Paris et emportèrent la plus grande partie du Pont au Change et du pont Marie. Henri Sauval rapporte que : « Afin de porter plus de monde à faire des charités, on en imprima une fidèle et curieuse relation ». Le fléau n'avait pas frappé Rouen au même degré, de sorte que c'est sur un ton moitié badin, moitié sérieux, que Saint-Amant transmet à la postérité ce qu'il considère comme les extravagances du fleuve, et il écrit avec beaucoup d'entrain une pièce en couplets de dix vers, qu'il intitule « La Seine extravagante». Il entre brusquement en matière:

(1)

Donc la Seine, en ses grands accès,
Est fâcheuse et hors d'elle-même ;

Donc ses désordres, ses excès,

Font devenir le monde blême.

(1) Dernier Recueil.

J'en ai le cœur 'ort affligé ;
Toutefois je suis obligé
D'en excuser une partie :
Elle aime tant mon entretien
Que de son lit elle est sortie

Pour me venir voir jusqu'au mien.

La voilà grosse de cent ponts
Qu'elle a tous réduits à non-être ;
La voilà, haute jusqu'aux monts,
Qui veut entrer par ma fenêtre.
Nymphe, je ne veux plus de toi,
Cajoler n'est plus mon emploi ;
Tu n'es plus qu'une débordée,
Ton bruit ne m'est que trop connu,
Et ta présence mal guidée
S'abandonne au remier venu.

Le poète après avoir constaté l'indigne tenue de la Nymphe du fleuve, la gourmande sur un ton qui rappelle celui avec lequel il prenait vingt-cinq ans plus tôt, à Rome, le Tibre à partie :

Comment! un cours si furieux !

Je le pardonnerais au Rhône;
Mais il passe l'impérieux !
Il veut aller jusques au trône.
Tous ces fleuves occidentaux,
Si grands, si riches en métaux,
Te devront enfin leurs hommages
Et déjà dans ton fier bonheur,
Tu crois à force de dommages,
T'élever au suprême honneur.

Des maisons, des bourgs, des cités,
Des murs, des ponts, tes propres rives,
Font aujourd'hui les crudités

De tes débauches excessives.
Je laisse à part l'argent et l'or,
Le plomb, le fer, l'étain encor
Dont tu te sens la panse pleine;

J'omets que, pour te plus soûler,

Le bois serait dans ta bedaine
Si ta gorge eût pu l'avaler,

La conduite de ce fleuve qu'il aime tant, sur les rives duquel il est venu chercher au retour de Pologne, « Les Muses de la Seine », émeut si fort Saint-Amant qu'il va, dit-il, extravaguer lui aussi; le bois n'a pas voulu se laisser avaler par la Seine:

Mais il se sauve comme il peut,
Par les marais, en bon proverbe,
Pour le ravoir chacun s'émeut,
Comme on s'émeut après la gerbe.
La gerbe? Il n'en est pas le temps;
Je ne sais comme je l'entends,
Je m'extravague, je t'imite;
Disons donc qu'au prochain été,
Pour faire bouillir la marmite,
Tout bois sera du bois flotté.

On ne voit plus d'arbres debout
Dans toutes les plaines voisines :
Ta rage a déraciné tout,
Jusqu'à ces îles tes cousines,
Elles ne tiennent presqu'à rien.
Quiconque y marchait sur le sien

Peut bien chanter: Adieu mes rentes !

Et, si tu fais ce que tu dis,

Nous verrons des îles errantes

Comme la Grèce en vit jadis.

Qu'est devenu Paris dans cette tourmente? Puisque Rouen va voir passer des îles flottantes, ne seront-elles pas une partie de la capitale emportée par la fureur des eaux mugissantes?

Or, puisque nous voilà si haut,
Raconte-moi d'autres nouvelles.
Qu'est devenu, dans cet assaut,
Le beau lieu si cher à nos belles ?
On m'a mandé qu'avec grand bruit

Tu t'y promènes jour et nuit,
Dont toute la ville est troublée.

Certes, j'en suis mal satisfait,

Et c'est être bien endiablée

D'aller au Cours du temps qu'il fait.

Mélant au plaisant une réflexion sérieuse, le poète reproche au fleuve d'avoir donné à tous ses affluents un mauvais exemple qu'ils se sont empressés d'imiter. De même que les petits en ce monde sont trop portés à singer les grands en ce qu'ils font de mal plutôt qu'en ce qu'ils font de bien, de même les moindres rivières ont voulu avoir elles aussi leur inondation :

O! combien l'exemple des grands
Est d'importance en cette vie !
Tu le fais voir, tu nous l'apprends
D'une manière trop suivie.
A peine les moindres ruisseaux
Ont-ils vu l'orgueil de tes eaux,
Qu'ils se sont érigés en rustres :
L'Eure emporte Ivry même à val,
Et, sans respect des noms illustres,
L'Andelle entraîne Charleval.

Il n'est pas jusques au Robec
Qui ne veuille trancher du fleuve,
Quoique parfois le moindre bec
A peine en son onde s'abreuve.
Il bouillonne, il fait l'insolent
Plus que lorsque un feu violent
L'irrite en la chaudière à teindre,
Et que de rage d'être enclos

Il écume et tâche d'éteindre

Le bois qui flambe sous ses flots.

Ce dernier couplet est amusant et réussi, il a tout à fait le tour qui convient à la poésie badine. Le Robec était la rivière des Gobelins de Rouen, ce ruisseau traversait la ville et ses maigres eaux ervaient aux teinturiers pour leur industrie. Le poète revient au

fleuve et lui reproche vertement les désastres commis, car les folies de tous ces ruisselets ne sont rien à côté de celles de la Seine :

Les nefs qu'au milieu de ton cours

Tes glaces avaient détenues,

En vain aux ancres ont recours :

C'en est fait si tu continues.
Les cables les mieux cordonnés
Qui les attachent par le nez
Tremblent et cèdent à l'outrage;
lis ne te sont que des cheveux.
Le port redoute le naufrage,
Et le Ciel est lassé de vœux.

Les heux qui sur notre ample quai,
Se sont vidés pour le carême
N'en dansent pas d'un air trop gai
Et courent risque tout de même.
Paris ne sait qu'en devenir:
Rouen ne lui saurait fournir
De ces biens que la mer envoie,
Et les saumons et les harengs,
Avec quelque espèce de joie,

Sont retournés chez leurs parents.

Ces poissons secs qui éprouvent la fantaisie d'aller revoir leurs parents ont d'un assez comique effet. Quel résultat inattendu de la débâcle des glaces! Aussi Saint-Amant, après avoir signalé l'état de désarroi de la ville et des faubourgs, regrette-t-il l'hiver dont la basse température immobilisait les flots de la Seine:

Une horrible confusion

Règne au faubourg où je demeure,

Et, comme ton invasion,

Elle s'augmente d'heure en heure.

Tu désespéres tout ici,

Tout s'abandonne å ta merci,

Richesses, meubles, corps et membres,
Et, chez nous-mêmes, prisonniers,
Nos cuisines sont dans nos chambres

E: nos caves dans nos greniers.

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