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CHAPITRE XXII

Saint-Amant à Varsovie et à Stockholm;

son retour en France.

1650-1651

A son arrivée à Varsovie, Saint-Amant pouvait offrir à son auguste protectrice, Marie-Louise de Gonzague, non seulement les << cahiers arrachés des mains des Espagnols » du « Moïse Sauvé », mais encore un beau petit poème, bien de circonstance, composé pendant son pénible voyage, malgré, dit-il lui-même, « l'àpre saison » qu'il avait dù supporter. Cette dernière pièce, terminée à Dantzig, d'où il en adressa une copie à son ami de Marolles, se composait de quatorze stances de neuf vers, dans lesquelles il célébrait avec l'accent d'un sincère et profond dévouement l'heureux augure de la grossesse de la Reine de Pologne et de Suède. Il lui donne ce dernier titre auquel les Wasa de Pologne ne se décidaient pas à renoncer, bien que depuis 1604, après la déposition de Sigismond III, la Suède ait eu ses souverains particuliers, Charles IV, mort en 1611, le grand Gustave-Adolphe de 1611 à 1632, et sa fille Christine qui régnait alors à Stockholm avec un éclat de nature à attirer les yeux des savants de toute l'Europe. Dans ses stances Saint-Amant rend un hommage bien légitime au nouveau roi Jean-Casimir, qui, à plusieurs reprises, notamment en 1645, s'était rendu en France, et avait conquis par ses qualités et son affabilité le cœur de la noblesse. Chose plus singulière, le poète exalte le principe de l'élection en matière de souve

raineté, il l'oppose au principe d'hérédité, et parle du mérite. personnel avec un esprit libre de préjugés, bien au-dessus des idées de son siècle. Les vers suivants remarquables et comme poésie et comme sentiments, font, (de loin, il est vrai, mais c'est encore un bien grand mérite que de les rappeler), songer à de beaux passages du Grand Corneille, son compatriote et son ami; le peuple de Pologne attend, et:

(1)

Il demande un fils qui du père
Ait les héroïques vertus,

Un fils qui des sentiers battus

Tienne la noble route, et sous qui tout prospère ;
Un fils, qui de la gloire ardemment amoureux,
Ensemble et magnanime et grave et généreux,
Du grand Casimir soit l'image;

Un fils illustre à qui tout fasse hommage,

Qui porte un jour le sceptre, et qui le rende heureux.

Ce n'est point ici qu'on hérite
Par le sang, qui forme une loi;
Pour y prétendre d'être roi,

Il faut l'être déjà par son propre mérite.

Cet honneur souverain, d'où naît le potentat,
Ne dore aucune tête en cet habile état

Que l'état ne l'en juge digne.

Son prince l'eut par ce moyen insigne ;
L'espérer autrement n'est qu'un vain attentat.

O que j'aime cette coutume!

Que cette libre élection

Du joug de la sujettion

Ote de pesanteur et chasse d'amertume!

Pour ne rien omettre, on doit rapporter que plus tard Saint-Amant ayant souffert des troubles, qui désoleront les états de Marie-Louise et prépareront la ruine de la malheureuse Pologne, changera de manière de voir. En 1658, faisant paraitre son « Dernier Recueil de

(1) Dernier Recueil. Stances sur la grossesse de la Sérénissime Reine de Pologne et de Suède.

diverses Poésies », il écrira ce qui suit, dans un « Avis au lecteur », qui précède les Stances ci-dessus: « J'y parle comme on doit parler dans les royaumes électifs, et comme on en parle presque dans tous les autres, où l'on n'en sent pas tous les inconvénients; mais depuis que je les ai remarqués, et que j'ai su de quelle manière on y procède, J'ai reconnu qu'après tout il en fallait revenir aux états où le seul et juste droit de succession fait tomber les sceptres entre les mains de ceux que la nature y appelle: car, bien qu'elle se détraque assez souvent, on ne la voit guère s'égarer et se démentir à tel point qu'elle ne soit aussi raisonnable que la raison même ; je dis la raison intéressée comme elle est, qui, sous espoir de quelque chose d'avantageux à ses prétentions particulières, se laissant gagner aux belles et trompeuses apparences, se trompe la plupart du temps elle-même en son propre choix, et trouve à la fin qu'elle a fort mal pris ses

mesures ».

Mais en 1650, au moment où il se rendait à Varsovie, le poète n'avait de présent à l'esprit, que cette libre élection qui avait permis à Jean-Casimir de monter sur le trône, et de conserver ainsi par un mariage approuvé de tous les Polonais, la couronne à sa belle-sœur Marie-Louise de Gonzague. Il semblait, du reste, que le Ciel luimême, bénissait cette union en donnant un héritier aux Wasa, et l'heureuse délivrance de la reine était attendue avec une bien vive impatience. Saint-Amant ne sera pas le dernier à s'en réjouir, sa muse s'inspirera d'un noble feu, il l'assure par les vers suivants :

Je ferai retentir au grand son de mes vers
Les monts de ce climat, où le roi des hivers
Etale aujourd'hui sa puissance.

Et quand d'un prince on verra la naissance,
Je ferai résonner tous ceux de l'univers.

Malgré l'âpre saison » pendant laquelle il écrit, malgré son âge relativemeut avancé, le poète est emporté par la chaleur de son imagination et de son ardeur poétique, rien ne lui paraît impossible. Tous les peuples du Nord seront soumis par Jean-Casimir, il voit déjà les Turcs chassés de l'Europe et la tète de son auguste protectrice parée de la couronne des Césars de Byzance. Il se promet de célébrer tous ces glorieux événements :

Les hordes nombreuses qui roulent

Avec leurs foyers et leurs toits,
Trembleront à ma forte voix

Jusqu'où du long Volga les derniers flots s'écoulent;

Le fier usurpateur du sceptre maternel
Pâlira dans Byzance ainsi qu'un criminel
Qui prévoit l'heure des supplices:

Il le rendra malgré tous ses complices,
Et j'espère chanter cet acte solennel.

Ces vers ne pouvaient que satisfaire l'orgueil de la fière MarieLouise. La reine de Pologne tirait vanité de l'illustre origine de la maison de Mantoue, qui descendait par les femmes des Paléologues, derniers empereurs de l'Orient grec. Cette famille illustre parvint à à l'empire en 1261, avec Michel VIII, et de 1260 à 1453, elle régna à Constantinople. L'empereur Andronic II monté sur le trône vers la fin du XIIIème siècle en 1282 et qui mourut en 1328, épousa en 1306, la petite fille et unique héritière de Guillaume VII, marquis de Montferrat, celui qui avait facilité à Charles d'Anjou, frère du bon roi Saint-Louis, la conquête du royaume de Naples. Le marquisat de Montferrat resta dans la famille des Paléologues jusqu'en 1533, époque où il passa par héritage au duc de Mantoue Frédéric II, époux de la nièce du dernier Paléologue, Jean-Georges, mort sans postérité.

On aurait tort de considérer les vers de Saint-Amant comme une basse flatterie, ce qui n'était certes pas dans son caractère dévoué et reconnaissant, mais non vil et plat. Les juger ainsi avec les idées modernes, serait commettre un bien grave anachronisme, il faut, au contraire, par la pensée se rendre compte de l'importanee attachée au XVIIème siècle, à l'antiquité de la race. Alors on s'expliquera d'autant plus facilement la vanité de la noblesse, que Bossuet, luimême, dans l'Oraison funèbre de la princesse palatine, sœur de la reine de Pologne, met en évidence l'éclat de son origine en ces termes: il appelle Anne de Gonzague « une princesse dont le mérite passe la naissance, encore que sortie d'un père et de tant d'aïeux souverains, elle ait réuni en elle, avec le sang de Gonzague et de Clèves, celui des Paléologues, celui de Lorraine et celui de France par tant de côtés ». Et le grand évêque de Meaux ajoute: « Quand Dieu joint à ces avantages une égale réputation, et qu'il choisit une

personne d'un si grand éclat pour être l'objet de son éternelle miséricorde, il ne se propose rien moins que d'instruire tout l'univers ». Voilà quels étaient sur la naissance les sentiments du XVIIème siècle.

Saint-Amant dont la qualité de gentilhomme n'avait jamais été mise en doute, dont la réputation de bon poète était aussi bien établie que celle de franc buveur ou d'élégant biberon, comme aurait dit Vion d'Alibray, reçut à Varsovie, non seulement du roi et de la reine un gracieux accueil, mais il devint l'objet des plus chaleureuses avances de la noblesse polonaise. La Pologne lui paraît un séjour de délices et il ne croit pas avoir acheté trop cher par les fatigues, les privations, l'emprisonnement même, le bonheur dont il jouit. Pour être bien convaincu de son extrème satisfaction, il suffit de l'entendre s'écrier:

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Cependant un autre poète français, Philippe Desportes, avait paru avant Saint-Amant en Pologne, et leurs jugements sur ce pays sont guère d'accord. Ces appréciations opposées peuvent s'expliquer par une différence d'abord de caractère et ensuite de situation. Lorsque le 28 septembre 1573, Henri de Valois, élu roi de Pologne, quitta la France emmenant avec lui son poète. Desportes, ce ne fut qu'avec regret qu'ils entreprirent ce voyage, et certainement des proscrits n'abandonnèrent jamais plus péniblement le sol natal. La vue de la Pologne, en hiver, avec ses grandes plaines désertes, blan

(1) Dernier recueil. La Polonaise.

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