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s'empressa pas de rentrer dans la capitale, elle passa par Compiègne et par Amiens, sous prétexte de se trouver plus à portée du théâtre de la guerre avec l'Espagne qui avait refusé d'adhérer aux traités de Westphalie. La cour ne revint à Paris que le 18 août 1649, après avoir laissé aux esprits le temps de se calmer, et les Parisiens à l'esprit mobile, célébrèrent les fêtes ordinaires des entrées royales. On acclama le roi et la reine régente. Louis XIV, alors àgé de près de onze ans, il était né le 5 septembre 1638, se rendit à cheval du Palais-Royal à l'église des Jésuites dans le faubourg Saint-Antoine et traversa la ville au milieu des applaudissements dus à sa bonne grace. Le cardinal Mazarin, lui-même, fut l'objet de démonstrations sympathiques et éclatantes, il est vrai que ses adversaires soutinrent qu'elles avaient été payées.

Il faut maintenant se reporter un peu en arrière à la date du 9 février 1649. Quand la nouvelle de l'exécution de Charles I se répandit à Paris, elle éclata comme un véritable coup de foudre pour Saint-Amant, qui était profondément attaché au roi et à la reine d'Angleterre. Il appréciait le caractère de ce prince comme le fera plus tard, dans son Histoire de la maison des Stuarts, l'historien anglais David Hume : « Le caractère de Charles I était un caractère mêlé; mais ses vertus l'emportaient extrêmement sur ses vices, ou plus proprement dit sur ses imperfections. Sa dignité était sans orgueil, sa douceur sans faiblesse, sa bravoure sans témérité..... Si l'on veut considérer les extrêmes difficultés auxquelles il fut si souvent réduit, et comparer à ses embarras la sincérité de ses déclarations, on sera forcé de convenir que la probité et l'honneur doivent tenir rang entre ses plus brillantes vertus. Dans tous ses traités, on verra qu'aucun motif, ni les plus puissantes persuasions n'eurent jamais le pouvoir de lui faire accorder ce qu'il crut que sa conscience ne lui permettrait pas de maintenir ». En apprenant l'exécution du roi, le poète semble douter encore de la réalité de cet acte barbare, et il adresse à la Renommée un « Sonnet sur la mort du roi d'Angleterre » :

(1)

Que me viens-tu de dire, étrange Renommée ?
As-tu bien avec soin remarqué les objets ?

Un roi si bon, si doux, si juste en ses projets,
Voir son dernier espoir s'exhaler en fumée !

1) Troisième partic,

Un roi voir sous les fers sa grandeur opprimée !
Un roi se voir juger par ses propres sujets !
Par des hommes sans nom, vils, infâmes, abjets,
Qui sur leur tribunal, n'ont qu'une rage armée.

Un roi passer ainsi du trône à l'échafaud !

Faire un si dur chemin, un si tragique saut !
Ha! c'est un coup du sort que je ne puis comprendre.

Mon esprit interdit se confond en ce lieu,

Et toute la raison que l'on m'en saurait rendre
C'est qu'on ne peut sonder les abîmes de Dieu.

On a dit que les Stuarts ne savaient se montrer véritablement grands que dans l'infortune. C'est bien vrai pour Charles I. Ce prince garda sur l'échafaud un admirable sang-froid, ne regrettant de tous ses actes que la faiblesse dont il avait fait preuve lors du procès de son malheureux ministre Thomas Wentworth, comte de Strafford. «Que Dieu me préserve, dit-il, de me plaindre! L'injuste sentence dont j'ai permis l'exécution à l'égard de Strafford est punie maintenant par une autre sentence injuste ». « J'ai peine, s'écrie Bossuet dans l'Oraison funèbre de Henriette-Marie de France reine d'Angleterre, à contempler son grand coeur dans ces dernières épreuves. Mais certes il a montré qu'il n'est pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un roi qui sait se connaître; et ceux qui ont vu de quel front il a paru dans la salle de Westminster et dans la place de Whitehall peuvent juger aisément combien il était intrépide à la tête de ses armées, combien auguste et majestueux au milieu de son palais et de sa cour ». Lorsque Saint-Amant connut les détails de l'exécution de ce prince infortuné, détails que Madame de Motteville a rapportés dans ses mémoires, il composa pour Charles I un bien remarquable sonnet en forme d'épitaphe:

(1)

Voici, princes, voici l'étonnante victime,
Voici l'énorme affront fait à la royauté,
Voici dans le tombeau Charles décapité
Par une main qui tient tout sceptre illégitime.

(1) Troisième partie.

Tous les crimes du monde, assemblés en un crime,
N'ont rien de comparable à cette impiété,

Et tous les mots sanglants d'horreur, d'atrocité,
Sont des termes flatteurs quand il faut qu'on l'exprime.

Irritez-vous, mortels; liguez-vous, potentats,
Fondez sur cet état avec tous vos états,
Faites partout la paix pour lui faire la guerre.

Ne pardonnez à rien; il n'est point d'innocent,
Il n'est point de cœur juste en toute l'Angleterre :
On commet le péché lorsque l'on y consent.

On constate dans ces deux sonnets, la richesse des rimes, la simplicité des tours, la propriété de l'expression. La langue de SaintAmant s'est perfectionnée, plus de termes vieillis ou disparus, sa poésie est nette, précise, vigoureuse, sans traits de mauvais goût. Ces qualités sont d'autant plus dignes de remarque, qu'on ne les trouve guère dans les écrits, soit en prose, soit en vers, de la plupart des contemporains, même les plus renommés. A ne vouloir citer qu'un exemple, on peut rappeler que Saumaise écrivit une Apologie de Charles I, qui obtint le plus grand succès, et dont voici le début : « Anglais, qui vous renvoyez les tètes des rois comme des balles de paume, qui jouez à la boule avec des couronnes et qui vous servez des sceptres comme des marottes ».... Saumaise défendait une cause excellente, mais il la compromet par le ton ridiculement ampoulé qu'il donne à son style, quelle différence avec le ton si digne des deux sonnets de Saint-Amant.

CHAPITRE XXI

Saint-Amant en Flandre.

Son voyage en Pologne

1649-1650

Grâce aux troubles de la Fronde, l'archiduc Léopold d'Autriche s'était avancé jusqu'à l'Aisne, et il avait eu même un instant l'idée de marcher sur Paris. Les conférences de Ruel, entre la Cour et le Parlement, du dimanche 28 février 1649 au dimanche 14 mars, et de Saint-Germain-en-Laye du mardi 16 mars au Vendredi-Saint 2 avril, terininèrent la première période des troubles de Paris, et les Espagnols s'empressèrent de repasser la frontière. Mais l'archiduc mit le siège devant Ypres que les Français occupaient et un de ses lieutenants emporta d'assaut le 25 avril, Saint-Venant, la dernière place possédée par la France sur la Lys. Le 10 mai, la garnison de la ville d'Ypres, ne recevant pas de secours, se rendit. Mazarin, effrayé de ces progrès des Espagnols dans les Pays-Bas, résolut de reprendre activement l'offensive. Malheureusement le trésor était à sec et les passions qui poursuivaient le ministre italien, loin de se calmer devant l'impérieuse nécessité de combattre les Espagnols, lui imputaient à crime de continuer la guerre. On l'accusait de ne chercher à satisfaire que sa passion pour l'argent. Saint-Amant se fait l'écho de ce sentiment des Parisiens dans l'épigramme suivante sur « les divers prétextes >>:

(1)

Autrefois, au besoin urgent,

On levait des deniers afin d'armer sa terre ;

Mais, en ce règne, on fait la guerre

Afin de lever de l'argent.

(1) Dernier Recueil.

La cour parvint cependant avec des peines infinies à se procurer quelque argent, le cardinal s'empressa de rassembler trente-deux mille hommes et une centaine de canons qu'il dirigea vers les Flandres. Le commandement de l'armée réunie au-dessus de SaintQuentin, entre les sources de la Somme et celle de l'Escaut, fut confié au comte d'Harcourt, celui de tous les généraux qui avait le moins l'habitude de « parler du Mazarin avec le même mépris que les Frondeurs », dit Madame de Motteville dans ses mémoires. Le comte d'Harcourt emmena avec lui Saint-Amant, parfaitement rétabli de la maladie grave, qui l'avait frappé aux débuts de la Fronde, ainsi que l'attestent les vers déjà cités du sonnet à M. de BrùlonDéageant.

A peine d'Harcourt eut-il pris le commandement de l'armée, qu'il entra immédiatement en campagne et le 21 juin investit brusquement la place de Cambrai. Cette manoeuvre audacieuse excita un grand étonnement; aussi Anne d'Autriche, suivie du jeune roi, du cardinal et de la cour, s'avança-t-elle jusqu'à Amiens, espérant entrer triomphalement dans cette ville assiégée. Malheureusement, malgré la hâte déployée dans les travaux d'approche, il fallait le temps nécessaire pour exécuter les lignes de contrevallation; or, avant la fin de cette opération, l'archiduc Léopold, profitant d'un épais brouillard, parvint à jeter dans Cambrai, le 3 juillet, un renfort de quinze cents hommes résolus. Le coup de main était manqué, d'Harcourt, qui avait compté sur la faiblesse de la garnison, ne disposait pas des ressources nécessaires pour un siège régulier. Il leva son camp et la cour revint à Paris.

Le prince Lorrain se dédommagea de cet insuccès en faisant vivre son armée pendant le reste de la saison sur le pays ennemi, il saccagea le Hainaut, défit quelques détachements espagnols, s'empara même un moment de Condé-sur-l'Escaut et finit par prendre ses quartiers d'hiver sous les murs d'Arras. Cette campagne qui n'offrait que peu d'intérêt à Saint-Amant, lui causait beaucoup de fatigue, et au mois de novembre, il quitta le comte d'Harcourt pour mettre à exécution, se trouvant déjà sur la route, un projet qu'il avait formé depuis deux ou trois ans, celui de se rendre en Pologne, où il était sûr d'être bien accueilli. Le poète avait reçu en 1645, on le sait, grâce à l'abbé de Marolles, le titre de Gentilhomme ordinaire de Marie-Louise de Gonzague, devenue reine de Pologne par son mariage

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