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CHAPITRE XVII

Saint-Amant à Paris.
1644-1645

Quelques jours passés à Paris suffirent à Saint-Amant pour chasser de son esprit le souvenir de ses mésaventures à Londres. Mais il ne lui fut pas possible de présenter « les offres de son très humble service » à un de ses plus hauts protecteurs, Monsieur, frère unique du Roi. L'absence du Prince contrariait fort le poète qui avait formé en Angleterre, le projet de lui communiquer ses cahiers du « Moïse Sauvé », dans l'espérance de l'intéresser à ce poème ou plutôt à son auteur, si Gaston en acceptait l'hommage.

La guerre de Trente ans se poursuivait sur toutes les frontières, même après la mort de Richelieu et celle de Louis XIII. Le cardinal Mazarin ne paraissait être que l'exécuteur testamentaire des dernières volontés du puissant ministre défunt. Pendant l'année 1644, on se battit encore en Flandre, en Espagne, en Italie; la Franche-Comté seule, complètement ravagée et ruinée, sollicita et obtint de la Cour de France l'avantage de la neutralité.

Mazarin, qui cherchait à plaire à Gaston d'Orléans, et qui, au fond, n'était pas fàché de l'éloigner de Paris, avait donné au duc le commandement de l'armée de Flandre. Il lui adjoignit en sous ordre les maréchaux de la Meilleraye et de Gassion, ainsi que Josias, comte de Rantzau, originaire du Holstein, fameux par son intrépide bra voure; il avait perdu un bras et une jambe au siège d'Arras en 1640,

et portait les cicatrices de soixante blessures reçues sur le champ de bataille, lorsqu'il mourut en 1650 d'un épuisement facile à comprendre. L'armée de Flandre entreprit au mois de mai le siège de Gravelines.

Ne voulant pas en allant rejoindre le duc prendre part à cette campagne, Saint-Amant se décida à lui adresser une belle épître héroï-comique (1), se réservant d'y glisser adroitement sa supplique. Le caractère faible et léger de Gaston d'Orléans n'excluait pas en lui la valeur et la générosité, brillantes qualités de sa race. Lorsqu'il se trouvait aux camps, il savait se montrer le digne fils du héros béarnais, aussi est-ce sans flatterie exagérée que le poète commence ainsi :

Tandis, Gaston, qu'un beau désir de gloire
Te porte aux coups, t'anime et te fait boire,
Chaud comme braise et parmi cent périls
D'un noir breuvage enclos dans des barils
Non de merrain, mais d'un métal qui tonne,
Qui fume, éclaire, siffle, crache et donne
Au plus hardi quelque atteinte d'effroi,
S'il n'a le cœur aussi ferme que toi;
Bref, cependant que de ta large bourse
Tu fais couler ainsi que d'une source
Un long ruisseau de qui les flots dorés
Charment la soif des drilles altérés,
Ton gros Virgile, ayant au poing le verre,
Fait mille vœux au démon de la guerre
Pour ton salut et ta prospérité.

Le titre de Virgile que se décerne Saint-Amant, habituellement plus modeste, a tout lieu de surprendre et l'on se sent porté à lui reprocher sa fatuité. Sur quoi appuie-t-il cette comparaison avec le cygne de Mantoue, a-t-il écrit des Géorgiques, composé une Enéide? Peut-il, tout au moins rapprocher quelques unes de ses pièces des Eglogues? Evidemment non. A quelle cause attribuer son audace?

(4) L'épître héroï-comique à Monseigneur le duc d'Orléans, lorsque Son Altesse était au Siège de Gravelines a paru séparément en plaquette in-40 en 1614. Elle est réunie à la Deuxième partie dans l'édition in-40 de 1651. (Note communiquée par M. F. Lachèvre, d'après ses éditions originales).

La suite de l'épitre l'apprendra tout à l'heure, en attendant, il raconte sous une forme badine l'histoire de l'art militaire, et gaîment il passe en revue tous les grands capitaines de l'antiquité, Achille, Alexandre, Pompée, César. Il leur reconnait un certain mérite, il est vrai, mais:

En ce temps-là, dame Mathématique

N'avait point mis dans le monde en pratique
Les derniers cours de sa dure leçon,

On se rossait mais sans trop de façon.

Que ferait maintenant Alcide, lui-même, frappé par une balle de mousquet? Il serait terrassé malgré toute sa force, et c'est ce que déplore le poète :

Soit à jamais aux flammes condamnée
L'inique main du second Salmonée,
Que l'Allemagne en nos siècles porta,
Et dont l'orgueil le tonnerre imita.

Auprès de l'investissement de Gravelines entrepris par le duc d'Orléans, que deviennent les sièges les plus célèbres de l'antiquité, même celui de Troie :

En ce temps-là, ces braves que je choque
Mettaient un siècle à prendre une bicoque :
Car, en effet, quoi qu'Homère en ait dit,

Ce mur sacré que Priam défendit,
Cet Ilion, ce grand sujet d'histoire,

Qui par le feu vit éteindre sa gloire,
Onc ne fut digne en son haut appareil
De déchausser le château de Corbeil.

Après cet éloge indirect des talents militaires de Gaston, le poète se laisse aller à exprimer de généreuses pensées qui étaient, d'ailleurs, tout à fait de circonstance :

Si tous les grands, à la vertu dociles,

Savaient au vrai combien leur sont faciles

Tous les moyens de se faire admirer,
Que d'avantages ils en pourraient tirer !
Il ne leur faut qu'un acte magnanime
Pour s'en promettre une histoire sublime;
Un brave mot dit avecques chaleur,

Un air, un signe, une ombre de valeur
Jusques au ciel fait resplendir leurs gestes,
Détourne d'eux cent orages funestes,

Et d'un renom vert, florissant et beau,
Pousse leur vie au-delà du tombeau ;

En tous endroits, pour peu d'efforts qu'ils fassent
Des autres feux les clartés ils effacent;
Pour peu de soin qu'ils aient de leur devoir,
Pour peu d'honneur qu'ils témoignent avoir,

Leur dignité, leur éclat, leur puissance,
Les nobles dons d'une haute naissance,
Leur font en terre aisément acquérir

Les rares biens que l'homme doit chérir.

Du siège de Gravelines, Gaston reviendra couvert de gloire; la cour et la ville applaudiront à ses succès, Saint-Amant en est sûr. Quant à lui, dans ses transports de joie, rien ne saurait le retenir :

Je ferai tout, je brûlerai mes livres.

S'ils ne suffisent pas pour entretenir assez longtemps le feu de joie qu'il se propose d'allumer, il est décidé à un bien plus grand

sacrifice :

Et les cahiers de mon Moïse même,
Qui d'Apollon briguent le diadème,
Courront fortune et se verront de loin
Si le denier me manque en ce besoin.

Voilà où Saint-Amant voulait en venir dans son épitre, à entretenir Gaston du poème du « Moïse Sauvé »; voilà le motif qui lui faisait se qualifier de Virgile. On se rappelle qu'il avait déjà dit dans l'Avant-Satire » en 1636, quelques mots du Moïse sur lequel il fondait ses espérances de gloire durable. Du reste, dès sa jeunesse

Saint-Amant avait pris la résolution de composer un poème de longue haleine, et publiant en 1629, le premier Recueil de ses œuvres, il écrivait dans son « Avertissement au Lecteur »: « J'ai commencé un poème héroïque en l'honneur de notre Grand Roi, que Dieu semble avoir suscité pour abimer en la gloire de ses hautes entreprises celle de tous les monarques de ce monde. Ce sera là que je tâcherai de comparer les exploits de ce prince incomparable aux travaux de Samson, et où j'emploierai autant de force d'esprit qu'il eut de vigueur en ses bras ». De 1629 à 1644, la vie que SaintAmant avait menée et la manière dont il s'était escrimé autant et plus de l'épée que de la plume auprès du comte d'Harcourt, ne lui avaient guère permis d'avancer les travaux de cet ouvrage. Il avait même renoncé à le mener à bonne fin, par suite d'une mésaventure dont sa négligence était seule coupable, ce qu'il avoue plus tard luimême, dans la Préface de son Dernier Recueil, en 1658: « Je dirai donc que le poème de Samson, lequel je m'étais avancé de promettre dans mes premières œuvres, et dont il y avait déjà quatre ou cinq cents vers de faits qui ont été perdus, ne se doit point attendre, et que le siècle présent non plus que la postérité n'en diront ni bien ni mal; car le déplaisir que j'eus de cette perte m'en fit laisser l'entreprise, et je n'y ai point songé depuis, ne m'en ressouvenant pas même d'un mot. Peut-être a-ce été autant pour mon bonheur que pour mon désavantage. » Ayant renoncé au poème de Samson, SaintAmant eut la malencontreuse idée d'aller choisir un autre sujet, capable de plaire à ses contemporains, mais qui malheureusement ne convenait ni à son caractère, ni à son talent, ni à son genre de vie. Il entreprit de chanter la délivrance des Hébreux captifs en Egypte, et il se proposa de les conduire, sous la direction de « Moïse Sauvé », de la terre des Pharaons à la Terre promise. Prenant un sujet si peu en rapport avec la tournure de son esprit, il en aggrava, de gaîté de cœur, les difficultés en le traitant sous forme d'Idylle, il a beau ajouter héroïque, ces deux mots jurent de se voir ainsi réunis. Les efforts du poète devaient donc être vains, et malgré quelques passages dignes d'ètre lus avec intérêt, son œuvre la plus longue et la plus travaillée était destinée à enterrer son nom pour la postérité.

Comment Saint-Amant mena-t-il à bonne fin une si lourde entreprise? C'est d'autant plus extraordinaire que par moments il se rendait compte lui-même qu'il se trompait. Pour en être bien convaincu,

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