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CHAPITRE XV

Saint-Amant en Normandie, en Italie et à Paris. 1641-1643.

Saint-Amant tenait à rentrer à Rouen au mois de février 1641, il était sûr qu'après les exploits des Français en Italie auxquels il avait pris part, l'accueil le plus chaleureux l'attendait en Normandie. Il savait que le comte de Briosne à la table duquel il avait déjà chanté le cidre, serait heureux d'entendre le glorieux récit des victoires du comte d'Harcourt, aussi ménagea-t-il à cet ami une surprise, et sous une forme badire bien qu'essentiellement poétique, il passa en revue dans les Pourvus bachiques » tous les événements accomplis en l'année 1640. Cette pièce est aussi curieuse par l'intérêt historique qu'elle présenie, que par la verve de bon aloi qui ne cesse d'y régner:

(1)

Qu'au seul nom du brave d'Harcourt

L'Espagnol de peur se récrie;

Qu'il pousse ou retienne tout court

Les vains pas de sa monarchie;

Qu'il gémisse à tête fléchie,

Ma coupe en rira de bon cœur,

Pourvu qu'elle soit enrichie

De la précieuse liqueur.

A tout seigneur, tout honneur, disait-on alors, aussi Saint-Amant

1) Deuxième partie. Les Pourvus bachiques, caprice.

devait-il commencer par la glorification de l'héroïque Cadet-à-laPerle et passer ensuite à ses récentes victoires d'Italie :

Que nos coqs, sur l'aigle acharnés,

Excitent les chants de nos cygnes;

Que nos princes déterminés

Aient fait rage au combat des Lignes ;

Que de mes vers leurs noms soient dignes,

Je trouverai cela fort beau,

Pourvu que Dieu garde nos vignes

De la grêle du renouveau.

Le combat des Lignes n'était autre que les engagements célèbres et racontés déjà, qui avaient mis Turin au pouvoir du comte d'Harcourt. La prise d'Arras était le digne pendant de celle de Turin, aussi le poète se hâte d'en parler:

Que du faux oracle d'Arras

Madrid à la Flandre se plaigne;
Que devant nos diables de rats

Ses matous quittent son enseigne ;
Que même nos souris on craigne,

J'en écrirai le bel effet,

Pourvu que ma plume se teigne

Dans l'encre rouge d'un buffet.

Sur les portes d'Arras les Espagnols avaient gravé ces deux vers que le succès ne justifia pas :

Quand les Français prendront Arras

Les souris mangeront les chats.

Après la prise de la place, il était question d'effacer cette inscription, lorsqu'un loustic fit remarquer qu'il suffirait d'enlever une lettre, la lettre « p» pour pouvoir la conserver et lire :

Quand les Français rendront Arras

Les souris mangeront les chats.

C'est ce que rappelle Saint-Amant. Il arrive ensuite au soulèvement

des Catalans, qui, leurs privilèges étant violés, égorgèrent leur vice-roi :

Que de l'empire du lion

Se démembre la Catalogne ;
Que sa chaude rébellion
Taille à Guzman de la besogne ;
Que tout le monde s'entrecogne,
Je croirai que tout vive en paix,
Pourvu que je vive en ivrogne,

Et que Mars dorme où je repais.

La Catalogne avait été réunie à la France à la demande de ses habitants, transmise à Louis XIII par l'intermédiaire du comte d'Epenan gouverneur de Leucate. En même temps qu'elle se révoltait, le Portugal s'affranchissait de la domination espagnole :

Qu'en Portugal un nouveau Jean
Tronque le sceptre de Philippe ;
Que la Seine dompte en un an
Le Rhin, le Neckar et la Lippe;
Que le lys morgue la tulipe,
J'en sifflerai la gloire aux cieux,
Pourvu que je trempe ma lippe

Dans ce jus qui rit à mes yeux.

Les Portugais après l'échec des Espagnols en France et l'annexion de la Catalogne, chassèrent leur vice-reine et sa suite, sans aucune effusion de sang, et proclamèrent roi, le 8 décembre 1640, Jean IV, duc de Bragance.

Saint-Amant se garde d'oublier les exploits des braves Suédois, utiles et fidèles alliés de la France:

Que Bannier, bien ou mal muni,
Expose tout à l'aventure;
Qu'à ce coup Piccolomini

Soit défait à plate couture;
Qu'il demeure en bonne posture,

Il ne m'importe nullement,
Pourvu qu'il plaise à la nature

Que je boive éternellement.

Jean Bannier fut le plus illustre des élèves de Gustave-Adolphe et celui qui soutint le mieux après lui la gloire des armées suédoises. Il vainquit deux fois les Saxons, battit les Impériaux et mourut prématurément le 10 mai 1641, à peine àgé de quarante ans. « Son activité, dit un de ses contemporains, le rendait présent partout où était l'ennemi; il ne sépara jamais la prudence de la valeur, il semblait lire dans l'avenir et prévoir les événements, tant il sut bien combiner ses projets et disposer ses campagnes. » Bannier avait secoué toute dépendance des cours de Suède ou de France pour ses opérations militaires, et il aurait préféré abandonner le commandement plutôt que de s'obliger à exécuter les ordres qu'on lui donnait. « Pourquoi croyez-vous, disait-il un jour à un général francais, que Gallas et Piccolomini n'ont jamais pu rien faire contre moi? C'est qu'ils n'osaient rien entreprendre sans le consentement des ministres de l'Empereur. »>

Après avoir célébré les succès de la France, Saint-Amant s'occupe de l'étranger et signale le commencement de la lutte de Charles I et de ses sujets. Mais le poète, dont l'attachement était réel pour le roi et la reine d'Angleterre, ne se serait pas exprimé d'une façon aussi légère, s'il avait pu prévoir que la tête de Charles Stuart était l'enjeu de la partie qui allait commencer :

Qu'avec le fouet des Covenants,
L'Ecosse étrille l'Angleterre ;
Qu'on fasse porter aux manants
L'espadon ou le cimeterre ;
Que l'on arme toute la terre,
Je serai toujours assez fort,
Pourvu qu'on m'équipe d'un verre

Plein de muscat jusques au bord.

Charles I, voyant toutes ses demandes rejetées par le parlement, avait conclu en 1630, la paix avec la France et l'Espagne, pour essayer de gouverner sans et contre le pays. N'admettant pas de résistance, ce prince se jeta dans une foule de mesures violentes et vexatoires. Il vendit le monopole de la plupart des denrées, appliqua des amendes inouïes comme châtiment des plus futiles délits, fit soutenir les impôts illégaux par des juges serviles et des tribunaux d'exception, enfin persécuta violemment les non-conformistes. En

1640, l'indignation publique éclata à l'occasion du procès de Hampden, gentilhomme qui aima mieux se laisser traîner en prison plutôt que de payer une taxe illégale de vingt shellings. Sur ces entrefaites, Charles I, ayant voulu établir en Ecosse la liturgie d'Angleterre, les Ecossais presbytériens se soulevèrent et jurèrent un Covenant pour défendre la religion, les lois et les libertés de leur pays. Richelieu, ne prévoyant certainement pas jusqu'où devait aller la révolution dans la Grande-Bretagne, appuya les Ecossais, qui reçurent de lui des armes et de l'argent. Les soldats anglais refusèrent de combattre contre leurs frères, et Charles I, acculé à une situation inextricable, convoqua un cinquième Parlement, dit le Long Parlement, à la discrétion duquel il ne tarda pas à être réduit.

Après le conflit entre l'Angleterre et son roi, le poète mentionne la lutte des Européens aux colonies, que les aventuriers ensanglantaient trop souvent :

Que le soudard de Fernambouc
Se rende maître de la Baie ;
Qu'il la ravage mieux qu'un bouc
Ne fait les branches d'une haie ;
Que partout l'on chante dandaie,
Je ne m'en étonnerai point,

Pourvu que dans une humeur gaie
Je me rembourre le pourpoint.

La capitainerie de Fernambouc ou Pernambouc, capitale Olinde ou Pernambouc, comprenait la côte du Brésil du cap San-Roque à l'embouchure du Rio San-Francisco, et au sud se trouvait la capitainerie de la Baye, capitale Bahia ou San-Salvador, arrosée par le Rio-Réale. Des rixes constantes s'élevaient entre les aventuriers des deux capitaineries, plus avides de pillage que désireux de coloniser les immenses territoires dont ils avaient nominalement pris possession.

Le tour des musulmans vient après celui des aventuriers :

Que les cohortes du Sofi
Aillent reprendre Babylone;
Qu'il envoie au Turc un défi

Comme la Gazette nous prône;

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