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J'étais sorti seul pour rêver,

Tâchant à part moi d'élever

Quelque ouvrage à votre louange,

Quand sous cet arbre heureux, où mes pas s'adressaient,
Touché d'une douceur étrange,

Je vis paraître en rond des nymphes qui dansaient.

Lors, m'approchant de ces beautés,
Ou plutôt de ces déités,

Je fus tout yeux et tout oreilles ;
J'admirai leur maintien, leur taille et leur façon ;
Mais dessus toutes ces merveilles,

Je demeurai charmé d'entendre leur chanson.

Ces nymphes louaient la beauté, la grâce de la reine et les heureuses qualités du roi. La nature entière semblait, au dire du poète, être suspendue à leurs lèvres :

Ce démon tranquille et secret,

Qui cheminant d'un pas discret

Assoupit toute violence,

De leurs divins accords était si bien séduit
Qu'il faisait voir que le silence

Peut en quelque façon être amoureux du bruit.

Les cigales et les grillons,

Traversant en paix les sillons,

Près d'elles tâchaient de se rendre,
Et les plus rudes vents, de merveille comblés,

Dans le plaisir de les entendre,

Soufflaient moins qu'il ne faut pour agiter les blés.

D'où viennent ces transports de tout ce qui voit, sent, respire et même des objets inanimés?

C'était pour complaire au désir

D'ouïr réciter à loisir

Vos perfections admirables,

Apprenant qu'en l'état qui vous fait révérer

On vous dirait incomparables,

N'était que l'un à l'autre on vous peut comparer.

Cette dernière et aimable pointe venait en droite ligne de l'hôtel de Rambouillet, elle ne pouvait qu'enthousiasmer les nombreux admirateurs insulaires de la Grande-Bretagne, qui ne faisaient pas défaut à la célèbre Arthénice et aux précieuses de son entourage. Le poete termine ainsi son dithyrambe :

O clair ornement de nos jours!
Couple sacré, le vrai recours

De toutes les vertus ensemble,

Veuille l'esprit fatal qui régit les humains

D'un sceptre sous qui l'enfer tremble,
Laisser cent ans le vôtre en vos royales mains!

Veuille continuer le ciel

A vous faire goûter le miel

Des heureux présents de Lucine!
Et puissent ces doux fruits de vos affections
Montrer comme de leur racine

Il ne peut provenir que d'illustres scions.

Et maintenant, après avoir apprécié cette ode, on peut se demander si Saint-Amant ne s'est pas montré trop flatteur dans ses éloges. Comme réponse, il suffit d'écouter Bossuet et cependant l'hyperbole doit être bien plus permise en poésie qu'en prose: « Issue de cette race, du sang de Saint-Louis et de Charlemagne, fille de Henri-leGrand et de tant de rois, son grand cœur a surpassé sa naissance. Toute autre place qu'un trône eût été indigne d'elle. Elle eut une magnificence royale; et l'on eût dit qu'elle perdait ce qu'elle ne donnait pas. Ses autres vertus n'ont pas été moins admirables. Douce, familière, agréable autant que ferme et vigoureuse, elle savait persuader et convaincre aussi bien que commander, et faire valoir la raison non moins que l'autorité. » Ce n'est pas la parole scule de Bossuet qui couvre Saint-Amant, le poète avait bien le droit d'adresser à la reine les hommages les plus élogieux, sans paraitre un plat courtisan, puisque tous les écrivains de l'Angleterre lui en donnaient l'exemple.

Charles I et Henriette touchés du sort infortuné de Bassompierre, que Saint-Amant avait su leur représenter sous le plus sombre

aspect, promirent d'intervenir en faveur du malheureux prisonnier. La reine surtout, se rappelant la crainte que lui inspirait dans son enfance les hautes tours de la Bastille, assura que coûte que coûte, elle ferait ouvrir les portes de cette horrible prison à ce brave maréchal auquel elle devait en partie son bonheur conjugal. Se fiant à ces promesses royales, Saint-Amant se hâta de prendre congé de la cour de Londres. Il avait de sérieux motifs pour presser son départ, n'ayant pas été beaucoup plus sage en Angleterre qu'en France, il rapportait de son voyage « une jambe en mauvais état » et :

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De retour à Paris au mois de juin 1631, le récit de son ambassade officieuse ranima un instant l'espoir du maréchal, de son secrétaire Malleville et de tous leurs amis. Malheureusement l'intervention des Sérénissimes Majestés de la Grande-Bretagne n'eut aucun succès. Le cardinal de Richelieu se rendait compte qu'il avait agi bien légèrement en emprisonnant Bassompierre, mais il craignait le ressentiment du captif une fois rendu à la liberté, et surtout que celui-ci ne parvint à trouver et à saisir l'occasion de lui nuire. De sorte que sur ce fondement plutôt que pour une faute commise, dit le marquis de Fontenay-Mareuil, le cardinal retint le maréchal en prison et n'osa depuis ni s'en dédire ni l'en tirer, quelques puissantes sollicitations qui lui en fussent faites. »

(1) Suite de la première partie. Le Poète crotté.

CHAPITRE IX

Saint-Amant à Paris 1631-1633

Tandis que Saint-Amant se trouvait en Angleterre de graves événements se produisaient à la cour de France. En se retirant dans son apanage après l'éclat du 30 janvier 1631, Gaston d'Orléans avait déclaré que si le roi et le cardinal osaient le poursuivre, il saurait se défendre. Son attitude ne tarda pas à devenir complètement factieuse; il levait des soldats, amassait des munitions, nouait des intelligences avec le duc de Guise, gouverneur de Provence, le duc d'Elbeuf, gouverneur de la Picardie et le duc de Bellegarde, gouverneur de Bourgogne. Ce qui irrita le plus Louis XIII, que le cardinal instruit par ses émissaires secrets, tenait au courant jour par jour pour ainsi dire, des menées de son frère, ce fut que Gaston se compromit jusqu'à négocier une alliance avec l'Espagne et l'infante Claire-Eugénie à Bruxelles. Afin de couper court à toutes ces menées, le roi envoya le cardinal de La Valette à Orléans offrir au jeune prince l'oubli du passé, l'assurance d'un accueil fraternel et la permission de se remarier comme bon lui semblerait, sous la seule condition de reparaître à la Cour.

Le faible Gaston n'était qu'un jouet entre les mains de ses favoris Puy-Laurens et Le Coigneux. Ces conseillers qui craignaient beaucoup plus pour eux que pour le prince la colère du monarque et celle du cardinal, feignirent de redouter un piège dans les avances de Louis XIII, et parvinrent à lui persuader que son frère voulait l'attirer à Paris pour l'enfermer à la Bastille ou à Vincennes. Sur le

refus de Gaston, le roi et le cardinal marchèrent sur Orléans; se voyant sur le point d'être cerné dans sa ville, le jeune due s'enfuit à la tête de quelques cavaliers et pénétra en Bourgogne. Malgré les assurances données par le duc de Bellegarde, pas une ville ne voulut recevoir le prince fugitif et toutes ouvrirent leurs portes au roi et au ministre qui s'avançaient lentement. Bref, tandis que Louis XIII et Richelieu entraient triomphalement à Dijon, Gaston se vit contraint de fuir en Franche-Comté, où il reçut un accueil si froid qu'il ne tarda pas à passer en Lorraine. Le 31 mars, le roi en personne fit enregistrer au parlement de Dijon une déclaration de crime de Lèse-Majesté coutre tous les partisans de Gaston, le comte de Moret, son frère naturel, les ducs d'Elbeuf, de Bellegarde, de Roannez et particulièrement Le Coigneux et Puy-Laurens. Le duc de Guise à cette nouvelle, passa en Italie où il devait mourir en 1640 sans avoir revu la France.

Instruit, par son fidèle ami Bois-Robert, dès son retour à Paris de tout ce qui venait de se produire, Saint-Amant comprit que c'était là jeux de princes et que lui n'avait rien à y gagner pas même la Bastille ou Vincennes comme les grands seigneurs, Bassompierre et autres, tout au plus quelque cul-de-basse-fosse. Il resta prudemment sur ses gardes, et agit avec autant plus de raison que le 18 juillet 1631, Marie de Médicis ayant quitté le château de Compiègne pour passer le 19 la frontière, Louis XIII porta le 13 août au Parlement de Paris contre les conseillers de la Reine-Mère et ceux qui l'avaient suivie dans sa fuite, une déclaration semblable à celle qu'avait enregistrée le parlement de Dijon. Toutes co respondances avec Marie de Médicis ou Gaston d'Orléans étaient défendues sous peine de crime de Lèse-Majesté.

Saint-Amant se tint pour averti, du reste, il avait mieux à faire que de tremper dans toutes ces intrigues. S'il s'était rendu en Angleterre, c'était pour obéir à un devoir de gratitude envers Bassompierre, il y avait gagné de s'estropier à moitié et n'avait pu s'y livrer à la bonne chère. Aussi dès son arrivée en France, il songea avant tout à se dédommager du séjour à Londres, où les fruits succulents étaient rares et il chanta le « Melon » (1) en véritable gourmet:

1) Suite de la Première partie.

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