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dites, appartenant de droit aux riverains, en vertu de l'article 556 du Code civil, que ces alluvions artificielles qui sortaient du fleuve, par suite des travaux de l'État, appartenaient à l'État. Mais la jurisprudence de la Cour de cassation ne distinguait pas à cette époque, comme elle le fait aujourd'hui, entre les alluvions artificielles et les alluvions naturelles; d'autre part, dans ses caprices, le fleuve avait tantôt pris et tantôt délaissé une partie de ces terrains. L'État n'a pas cru pouvoir soutenir son droit de propriété, et vendre aux riverains les terrains qu'il avait conquis; il a seulement exigé des propriétaires auxquels il procurait un accroissement d'étendue de leurs propriétés une indemnité de plusvalue.

D'après les notices publiées par le ministère des Travaux publics à l'occasion des Expositions universelles de 1867 el de 1878, la surface des dépôts de sable vaseux qui se sont effectués entre les digues et les anciennes rives, de la Meilleraye à Berville, et qui se sont rapidement transformés en prairies, est d'environ 8,400 hectares. Le prix des prairies ainsi créées est, en moyenne, de 4,000 francs l'hectare; leur valeur totale serait donc de plus de 35 millions. En 1878, les propriétaires avaient déjà payé des indemnités de plusvalue montant à 1,381,626 francs. On calculait que, lorsque la totalité des alluvions serait remise aux riverains, l'État recevrait une somme d'environ 5 millions.

923. Voyons maintenant comment l'administration doit procéder pour imposer aux propriétaires l'obligation de payer une indemnité de plus-value.

Aux termes de l'article 32 de la loi de 1807, l'obligation des propriétaires est déclarée par un décret du chef de l'État, rendue en Conseil d'État, après enquête.

Mais à quel moment peut intervenir cette décision? Doitelle intervenir avant le commencement ou après l'achèvement des travaux? Peut-elle intervenir après?

En fait, elle est intervenue plusieurs fois après, et jamais le Conseil d'État, statuant au contentieux, n'a annulé, pour excès de pouvoirs, la décision du chef de l'État'. Mais la question ne lui a non plus jamais été posée expressé

ment.

On pourrait soutenir que la loi exige implicitement que le décret intervienne avant les travaux. Les derniers mots de l'article 46 de la loi de 1807 fourniraient une base assez solide à cette opinion. Il est certain qu'il y a quelque chose de très rigoureux à faire une pareille réclamation après l'exécution des travaux, quand les propriétaires ont pu croire que l'augmentation de valeur leur profiterait sans bourse délier, et que des ventes ou des partages de succession ont pu se faire.

D'ailleurs, s'il n'est pas nécessaire que la déclaration intervienne avant le commencement ou avant l'achèvement des travaux, on peut se demander combien de temps durerait l'action de l'administration, et si elle ne serait éteinte que par la prescription de trente ans, ce qui n'est pas admissible.

924. L'indemnité est réglée, aux termes de l'article 50, par une commission spéciale, organisée dans les conditions. fixées par les articles 42 à 47 de la loi de 1807. C'est le seul cas pour lequel les commissions spéciales constituées par la loi du 16 septembre 1807, à titre de juridiction, subsistent; la loi du 21 juin 1865, qui les a supprimées,

1 Voy. notamment l'arrêt du 15 mai 1856 (de l'Épine) et la note étendue publiée à l'occasion de cette décision dans le Recueil des arrêts du Conseil de M. Lebon.

ne s'applique en effet qu'aux bénéfices directs. Ce point a été parfois contesté; il ne nous paraît cependant pas douteux. La jurisprudence du Conseil d'État est très formelle à cet égard'.

Nous avons exposé l'organisation de ces commissions en traitant des juridictions administratives; il est inutile d'y revenir2.

La commission est chargée de désigner les propriétaires intéressés qui profitent du travail, de déterminer la plusvalue obtenue, et de fixer en conséquence la quote-part à payer par chaque propriétaire.

Ordinairement, les décrets qui autorisent la réclamation des indemnités de plus-value fixent, quand cela est possible, à la suite d'une instruction préalable, le périmètre des propriétés intéressées. Dans tous les cas, ils fixent la portion de la plus-value qui pourra être réclamée.

La commission doit s'éclairer au moyen d'une expertise. Les experts sont nommés conformément à l'article 8 de la loi du 16 septembre 1807. Ils doivent préalablement prêter

serment.

L'omission de l'expertise et du serment des experts entraînerait la nullité de la décision de la commission spéciale.

Si l'on suivait à la lettre la loi du 16 septembre 1807, il faudrait deux expertises; une avant le commencement des travaux, l'autre après l'achèvement. C'est le rapprochement de ces deux expertises qui établirait la plus-value. C'est ce

1 Nous citerons notamment les arrêts du 1er juin 1870 (Morin), (Levaillant).

2 Voir tome Ir, no 349, p. 634.
3 Arr. Cons. 13 août 1852 (Cany),

15 mai 1856 (de l'Épine).

7 juillet 1876

qui se passe en matière de desséchement des marais, d'après les articles 13 et 18; et l'article 30 renvoie aux formes déjà établies.

Toutefois le Conseil d'État a admis que les formalités très compliquées qui sont nécessaires pour les travaux de dessé chement des marais, n'étaient pas indispensables pour des travaux d'une nature différente, et que la double estimation des propriétés, prévue par la loi, pouvait être postérieure à l'exécution des travaux, pourvu que l'état matériel des choses permît de bien apprécier quelle était la situation antérieure à cette exécution1.

925. La décision de la commission fixe le chiffre de l'indemnité de plus-value, qui ne peut dépasser la moitié des avantages acquis et qui peut être inférieure, si le décret qui a ordonné l'application des articles 30 à 32 de la loi de 1807 en a décidé ainsi. Puis il est dressé un rôle des indemnités de plus-value qui est arrêté par le préfet.

La commission n'est compétente que pour fixer l'indemnité. Elle excéderait ses pouvoirs en statuant sur la portée des engagements pris par l'administration ou par les propriétaires avant l'exécution des travaux2.

La décision de la commission peut être attaquée devant le Conseil d'État.

926. Mais il n'est pas procédé au recouvrement comme en matière de contributions directes. La loi ne l'a pas dit et, de plus, les différents modes de libération qu'elle offre aux propriétaires sont incompatibles avec ce mode de recouvre

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1 Arr. Cons. 1er juin 1836 (de Valence), — 17 février 1855 (Perrot et consorts), 13 mai 1856 (de l'Épine).

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* Arr. Cons. 20 avril 1854 (Morel et Bertin), 26 décembre 1856 (Bertin et Morel).

ment. En effet, aux termes de l'article 36, « les indemnités pour payement de plus-values sont acquittées, au choix des débiteurs, en argent ou en rentes constituées à quatre pour cent net, ou en délaissement d'une partie de la propriété, si elle est divisible; ils peuvent aussi délaisser en entier les fonds, terrains ou bâtiments dont la plus-value donne lieu à l'indemnité; et ce, sur l'estimation réglée d'après la valeur qu'avait l'objet avant l'exécution des travaux desquels la plusvalue aura résulté. »

L'administration a un privilège sur toute la plus-value, en vertu des articles 21 et 31 de la loi de 1807, à la charge de faire transcrire au bureau des hypothèques le décret qui oblige les propriétaires à payer une indemnité de plusvalue.

D'après l'avis du Conseil d'État du 26 avril 1845, c'est au propriétaire à choisir le mode de libération; la commission ne pourrait lui en imposer un. Mais c'est à elle qu'il appartient de statuer sur les difficultés relatives au mode de libération, par exemple sur la question de savoir si, dans le cas où le propriétaire a déclaré vouloir constituer une rente à quatre pour cent net, l'administration a le droit d'exiger que cette rente soit constituée par acte authentique'.

Si le propriétaire refusait de payer la plus-value, l'administration agirait contre lui, d'après l'avis de 1845, comme pour le recouvrement d'une créance ordinaire; mais, bien entendu, comme pour le recouvrement d'une créance résultant de l'exécution de travaux publics. En conséquence, le préfet délivrerait un mandat exécutoire dont le percepteur des contributions directes poursuivrait le recouvrement con

1 Arr. Cons. 1er juin 1870 (Morin).

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