Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VI

DES BÉNÉFICES INDIRECTS RÉSULTANT DE L'EXÉCUTION DE TRAVAUX PUBLICS

I. RÈGLES DU FOND

920. Du principe de l'indemnité de plus-value.

921. Question de savoir si les articles 50 à 32 de la loi de 1807 sont encore en vigueur.

922. Des cas dans lesquels cette règle a été appliquée.

923. Comment l'indemnité de plus-value est déclarée exigible.

II. RÈGLES DE COMPÉTENCE ET DE PROCÉDURE

924. Règlement de l'indemnité.

Formalités d'instruction.

925. Décision de la commission. Limite de ses pouvoirs.

926. Du recouvrement de l'indemnité de plus-value.

[blocks in formation]

920. A côté des travaux qui sont exécutés directement en vue de procurer un bénéfice, un avantage de protection ou d'amélioration à une propriété privée, il y en a d'autres qui, sans avoir ce but, ont ce résultat. Ainsi les travaux de voirie, faits au point de vue de la circulation publique, peuvent améliorer beaucoup la situation des propriétés riveraines. De même, des travaux d'endiguement, faits en vue de l'amélioration de la navigation, peuvent procurer aux propriétés riveraines plusieurs avantages, notamment celui de défendre leurs propriétés contre les corrosions. Ici il s'agit de travaux exécutés par l'administration et par elle seule.

L'administration peut-elle obliger les intéressés, qui profitent du travail, à contribuer à la dépense?

Nous avons vu que l'administration, quand elle cause un dommage à un propriétaire ou lui enlève une partie de sa propriété, peut faire entrer en ligne de compte, dans le calcul de l'indemnité qu'elle doit, la plus-value immédiate et spéciale que le travail apporte à la propriété. L'administration peut opposer cette plus-value à titre de compensation, en réponse à une demande d'indemnité, parce que la plusvalue diminue d'autant le préjudice causé.

Mais quand l'administration se trouve en face de propriétaires qui ne viennent rien lui réclamer, parce que les travaux ne leur ont causé aucun préjudice, peut-elle exercer contre eux une action, et exiger d'eux une contribution à raison du bénéfice indirect qu'ils recueillent ?

La question est bien plus délicate que dans le cas de bénéfices directs. Même quand le gouvernement exécute malgré les propriétaires des travaux de défense, de curage. de desséchement, on comprend qu'il puisse dire : J'ai fait vos affaires; il fallait exécuter ces travaux pour vous sauver d'un dommage; vous devez me rembourser. C'est à peu près l'application des règles posées dans les articles 1372 à 1375 du Code civil sur le quasi-contrat de gestion d'affaires.

Mais ici, à la demande de contribution qui leur est faite, les propriétaires peuvent répondre L'administration a fait le travail avec les deniers publics, parce qu'elle le jugeait utile au public, et non parce qu'il nous était particulièrement utile. Il se trouve que nous en profitons indirectement. Mais les dépenses d'intérêt général profitent toujours un peu plus à telle ou telle partie du territoire qu'à d'autres. Le perfectionnement des routes, la création des canaux, l'établissement des chemins de fer ont été plus utiles aux départements qui ont été les premiers sillonnés qu'au reste du

pays. On peut, en parcil cas, solliciter une contribution volontaire, mais non exiger une contribution forcée.

Toutefois le législateur a tranché la question en faveur de l'administration.

Il l'avait fait au dix-septième siècle. M. Pierre Clément l'a établi, dans un de ses savants ouvrages sur cette époque :

« Un point important et souvent controversé depuis fut réglé par un arrêt du Conseil du 31 décembre 1672. Quand d'obscures et étroites rues étaient élargies, les propriétaires des maisons qui profitaient de ces travaux onéreux à la ville devaient-ils contribuer à la dépense? Déjà résolue plusieurs fois affirmativement, la question restait néanmoins sujette à interprétation. L'arrêt du Conseil la tranche sans retour, en décidant que les propriétaires de quelques maisons de la rue des Arcis, situées en face des maisons démolies, supporteraient leur part de la dépense en proportion de l'avantage qu'ils en recevaient. Prise pour un cas particulier, cette décision fit règle; quelques années après (27 mai 1678), un nouvel arrêt enjoignit aux propriétaires de la rue NeuveSaint-Roch de payer, d'après un rôle arrêté par le roi, la somme de 57,515 livres à distribuer entre diverses personnes << tenues de retirer leurs bâtiments et héritages, et laisser la place nécessaire pour l'élargissement de ladite rue1».

Le législateur de 1807 a repris et consacré cette règle; mais il y a apporté des restrictions importantes. Il a établi que l'administration ne pourrait réclamer d'indemnité de plus-value qu'autant que l'augmentation acquise aux propriétés serait notable, et, de plus, que l'administration ne

1 La Police sous Louis XIV, p. 144. - Voir aussi une lettre de Colbert à l'intendant de Tours en date du 2 octobre 1679 (Collection des lettres, etc., t. IV, p. 134).

pourrait réclamer que la moitié de la plus-value. En outre, il a subordonné la réclamation de la plus-value à l'accomplissement de formalités qui constituent des garanties sérieuses une enquête préalable et une décision du chef de l'État, sur l'avis du Conseil d'État.

C'est dans les articles 50, 31 et 52 de la loi du 16 septembre 1807 que se trouvent posées ces règles. On a déjà vu que la loi de 1807 règle principalement les bénéfices directs et indirects résultant de l'exécution des travaux publics. Les articles 28 à 32 de cette loi sont relatifs aux bénéfices indirects.

D'après les articles 28 et 29, ce n'était pas seulement aux particuliers, c'était aux départements, arrondissements, communes, que des contributions pouvaient être réclamées pour des travaux exécutés par l'État, qui leur profitaient spécialement; mais ces deux articles ne reçoivent plus d'application.

921. On a plusieurs fois soulevé la question de savoir si les articles 30, 31 et 32 ne devaient pas être considérés comme abrogés implicitement par les lois sur l'expropriation.

Mais dans la discussion de ces lois, en 1833 et 1841, les commissaires du gouvernement avaient, au contraire, affirmé que ces dispositions de la loi de 1807 recevaient toujours leur application. Aussi le Conseil d'État, soit par des avis de doctrine, notamment l'avis du 26 avril 1843, soit par des décisions rendues au contentieux, a établi que ces articles étaient restés en vigueur1.

922. Mais il faut avouer que ce n'est que dans des cas assez rares qu'on en fait usage. On n'en pourrait guère citer

1 Arr. Cons. 23 novembre 1847 (Binet),

14 juin 1851 (Perrot et autres).

qu'une vingtaine d'applications. La plupart ont été faites au profit de villes qui faisaient de grands travaux de voirie : les villes de Paris, Lyon, Grenoble, Toulouse. Ainsi une ordonnance du 31 mars 1845 avait déclaré les articles 50 à 32 de la loi de 1807 applicables aux propriétés riveraines de la rue de Rambuteau, à Paris. Mais, lors des améliorations qui ont été apportées à la voirie urbaine de Paris, de Lyon, de Marseille, sous le second Empire, améliorations bien plus importantes que les anciennes, les villes n'ont pas usé de la faculté donnée par la loi de 1807.

L'État en a très-rarement usé. En 1855, pour un quai qu'il exécutait de concert avec la ville de Lyon, sur la rive droite de la Saône, il a été décidé que l'article 30 serait appliqué à son profit et au profit de la ville de Lyon, aux propriétés qui auraient acquis une plus-value par suite de l'exécution des travaux du quai'.

par

L'exemple le plus saillant d'une plus-value réclamée l'État, c'est la mesure qui a été prise à l'occasion des travaux de la basse Seine, par les décrets du 15 janvier 1855 et du 15 juillet 1854.

L'État, en endiguant la Seine, pour faciliter la navigation entre le Havre et Rouen, a non seulement protégé les propriétés riveraines contre les corrosions auxquelles ces propriétés étaient exposées, par suite du mascaret qui remonte dans le fleuve; mais il a de plus fait sortir du lit du fleuve des terrains d'une étendue considérable. Entre Quillebeuf et Tancarville, le lit de la Seine, qui avait auparavant 6 kilomètres, n'a plus que 3 ou 400 mètres. On aurait pu soutenir que ces terrains n'étaient pas des alluvions proprement

1 Décrets des 10 février et 4 juillet 1855.

« PreviousContinue »