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exécutés par celles de ces associations qui sont autorisées (art. 18).

827. Voyons maintenant quels sont les droits attribués à l'administration par le jugement d'expropriation, ou par la cession amiable qui dispense du jugement d'expropriation.

Les effets du jugement sont tout exceptionnels à deux points de vue en ce qui concerne le propriétaire, en ce qui concerne les personnes qui ont des droits réels ou autres sur l'immeuble.

A l'égard de l'ancien propriétaire, il cesse complètement de l'être. C'est l'État qui le devient et qui le restera, quand même le possesseur, qui a été mis en cause, ne serait pas le véritable propriétaire. L'article 18 de la loi du 3 mai 1841 porte, en effet, que les actions en résolution, en revendication et toutes autres actions réelles ne pourront arrêter l'expropriation, ni en empêcher l'effet.

Désormais, l'ancien propriétaire ne peut plus disposer de sa propriété, ni la grever d'hypothèques ou de servitudes.

Toutefois, par exception, il reste en possession jusqu'au payement de l'indemnité, et il jouit, par conséquent, des fruits jusqu'à cette époque.

828. La situation est également exceptionnelle à l'égard de tous ceux qui ont des droits sur l'immeuble.

Tous ces droits sont anéantis et transformés en une créance contre l'expropriant. Le législateur, éclairé par l'expérience, a voulu éviter les obstacles que les complications des intérêts privés auraient pu apporter aux travaux.

Ainsi les baux sont résiliés, et cela lors même que l'expropriant déclarerait qu'il entend maintenir les locataires

dans l'immeuble, jusqu'à l'expiration de leurs baux'. On a critiqué cette jurisprudence comme rigoureuse à l'égard de l'administration, mais elle nous paraît conforme aux principes et à l'équité; car, s'il en était autrement, les locataires industriels pourraient être obligés de rester dans un quartier en partie démoli, et de subir, sans indemnité, la perte de leur clientèle.

Les droits d'usufruit, d'usage, d'habitation, les servitudes disparaissent, sauf indemnité.

829. Les créanciers hypothécaires ne sont pas non plus dans la situation qui leur est faite d'ordinaire.

Quand une vente s'accomplit dans les conditions ordinaires, l'acquéreur n'est pas toujours définitivement propriétaire. Si le vendeur avait des créanciers hypothécaires, ceux-ci ont, aux termes de l'article 2185 du Code civil, le droit de soutenir que le prix de vente, qui doit servir à les payer, est insuffisant, et de réclamer une vente aux enchères publiques.

On ne pouvait pas, en matière d'expropriation, permettre à un autre acquéreur de se substituer à l'administration, qui a besoin de l'immeuble pour un travail d'utilité publique. Par le fait du jugement d'expropriation, tous les droits des tiers sur l'immeuble sont anéantis. Ils sont transportés sur le prix, et les créanciers ne peuvent pas réclamer la surenchère (art. 18, §3).

Seulement, l'État doit faire transcrire le jugement d'expropriation après l'avoir fait publier, afin de mettre les

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1 Arr. cassation, 16 avril 1862, 20 juin, 4 juillet, 9 août 1864,-2 août 1865 (Préfet de la Seine), 22 mars 1870 (ville de Paris), 23 novembre 1880 (ville de Rouen). Dalloz, 1862, I, p. 300, - 1864, I, p. 278, p. 443, p. 444, I, p. 257, — 1870, I, p. 297, - 1881, 258.

I,

p.

1865,

ayants droit en mesure de faire inscrire leurs hypothèques, qui leur donneront droit à une partie du prix (art. 16). Les hypothèques de toute origine, conventionnelles, judiciaires ou légales, doivent être inscrites dans le délai de quinze jours à dater de la transcription (art. 17). Si, passé ce délai, aucune inscription n'a été prise, l'État pourra se libérer entre les mains du propriétaire, sans craindre d'avoir à payer deux fois.

Ces règles, spéciales à l'expropriation, sont différentes de celles qu'a établies la loi du 23 mars 1855. Mais l'opinion de presque tous les auteurs est que cette loi n'a pas abrogé les règles spéciales posées par la loi du 3 mai 1841.

830. Aux termes de l'article 19, les mêmes règles sont applicables aux cessions amiables; à l'égard du propriétaire, des locataires, des créanciers hypothécaires, la cession amiable équivaut au jugement d'expropriation. Ainsi elle entraîne la résiliation des baux, et ouvre aux locataires le droit de réclamer une indemnité d'éviction'.

Toutefois, les créanciers hypothécaires, bien qu'ils n'aient pas le droit de surenchérir, ont le droit de demander que l'indemnité soit fixée par le jury, au lieu de l'être à l'amiable (art. 17, § 3). Cette garantie de leurs droits se justifie d'elle-même.

D'autre part, l'administration est autorisée à ne pas faire procéder aux formalités de la purge des hypothèques, quand le prix ne dépasse pas 500 francs. Les droits des créanciers ne sont pas atteints par cette mesure. Au contraire, l'administration court le risque de payer deux fois; mais

↑ Arr. cassation, 2 août 1865 (préfet de la Seine), — 28 mai 1867 (Guillemet). — Dalloz, 1861, I, p. 257, 1867, 1, p. 215.

on a pensé qu'il n'y avait pas d'inconvénient grave à ce qu'elle courût le risque de payer deux fois une somme de 500 francs.

381. Enfin un autre droit qui appartient à l'administration, c'est celui d'entrer en possession de l'immeuble après avoir payé l'indemnité, ou après l'avoir consignée, s'il y a des difficultés, dans les conditions que nous avons déjà indiquées.

832. Voyons maintenant les droits du propriétaire et des autres intéressés qui se trouvent en face de l'administration.

Le propriétaire est le premier. Mais comment l'administration saura-t-elle qui est le propriétaire ? Elle s'adresse au propriétaire apparent.

D'après l'article 5 de la loi de 1841, c'est contre celui qui est inscrit en qualité de propriétaire sur la matrice cadastrale et qui a la possession, que l'expropriation doit être poursuivie, et c'est aussi avec lui que l'indemnité doit être fixée. En pareille matière, l'administration ne pouvait être tenue de rechercher les véritables propriétaires; cette rerecherche aurait entraîné des lenteurs, soulevé des difficultés interminables, et donné lieu à des questions de responsabilité dangereuses. L'administration procède donc contre le propriétaire apparent; la publicité de ses actes est assez grande pour que le véritable propriétaire soit en demeure de se faire connaître'. Mais elle doit tenir compte des réclamations de ceux qui se prétendraient propriétaires ou copro

1 Arr. cassation, 18 janvier 1854 (canal de Pierrelatte), — 4 juillet 1860 (Hainguerlot), 16 août 1865 (Dorieux), — 10 février 1869 (Sève), — 10 mai 1875 (Flipo et autres), 4 août 1880 (Nepveu).

Sirey, 1865, I, p. 460.

p. 479.

Dalloz, 1854, I, p. 315,
Dalloz, 1869, I, p. 175,

- 1860, I, p. 441. 1877, I, p. 31, — 1881, I,

priétaires, et qui justifieraient leur prétention en temps utile'. Celui qui ne réclame pas en temps utile est déchu de tout droit à indemnité2.

833. Après le propriétaire, il y a d'autres intéressés. Les fermiers et les locataires sont les premiers que désigne la loi. Il faut que le locataire justifie d'un bail. Cela est incontestable; mais, pendant longtemps, une vive controverse s'est élevée sur le point de savoir si l'administration pouvait devoir quelque chose au locataire qui ne justifie pas d'un bail ayant date certaine par l'enregistrement. La Cour de cassation, en 1847, avait décidé que le bail verbal ne pouvait être opposé à l'administration3. Cette solution rigoureuse, adoptée par la cour de Paris, était repoussée par plusieurs cours, et combattue énergiquement par les auteurs. La Cour de cassation est revenue sur cette doctrine'. D'après la jurisprudence actuelle, le locataire peut réclamer une indemnité, s'il justifie d'un bail verbal passé de bonne foi et sans fraude.

834. Aux locataires et fermiers la loi ajoute ceux qui ont des droits d'usufruit, d'habitation ou d'usage, ceux qui peuvent réclamer des servitudes sur l'immeuble.

Ajoutons ceux qui peuvent le revendiquer comme étant les véritables propriétaires, enfin les créanciers hypo

thécaires.

Tous ces intéressés peuvent se trouver en face de l'administration, les premiers pour obtenir personnellement une indemnité, à raison de la privation de leurs droits, — les

1 Arr. 13 décembre 1865 (Lohyer).
Arr. cassation, 10 janvier 1883
3 Arr. 2 février 1847 (Labbé). ·

Dalloz, 1865, V, p. 186.

(Gallo).

Dalloz, 1884, I, p. 460.
Dalloz, 1847, I, p. 73.

4 Arr. 17 avril 1861 (chemin de fer du Dauphiné), 23 novembre 1880 (ville de Rouen). Dalloz, 1861, I, p. 145, - 1881, I, p. 258.

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