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veaux rapports pouvaient être très-utiles aux deux nations, s'ils étaient réciproquement débarrassés d'entraves et encouragés ; qu'il voyait avec plaisir que j'étais disposé à me dévouer entièrement aux desirs des deux Cours; qu'il le priait en conséquence d'honorer mes remarques et mes représentations de son attention et de son intérêt.

Cet ambassadeur me fit porteur en même temps d'une dépêche pour M. le marquis de Vérac, ministre plénipotentiaire du Roi près l'Impératrice. Il avait été prévenu des intentions de la Cour à mon égard. Mes instructions portaient que je soumettrais mes démarches à ses lumières et à ses conseils, que j'intéresserais son appui et son crédit à leur succès.

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Précis sur la Crimée, nommée Tauride après la conquête de cette presqu'île les Russes.

par

JE

E partis de Constantinople le 13 avril 1781. Au bout de dix jours de navigation, le bâtiment aborda à Kerch, port de Crimée, situé dans le détroit de Taman.

La Crimée, nommée par les Grecs Chersonèse Taurique, la plus importante des conquêtes des Ottomans dans la Mer-Noire, a été habitée et envahie par différens peuples. Les Cimmériens, issus des Thraces, en furent chassés par les Scythes, et ceux-ci par les Grecs. Le grand Mithridate, les Alains, les Goths, les Huns, les Hongrois, les Bulgares, les Khatzares, les Petchenegues, les Komankos, ont successivement occupé et gouverné cette presqu'île. Enfin, les Tartares Mongoles s'en emparèrent en 1237. Les Turcs conquirent Caffa en 1476, et en chassèrent les Génois. Ils laissèrent jouir les Tartares d'une in

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dépendance absolue jusqu'en 1584. Le traité de Kaïnardgy la leur avait rendue; mais leur khan, Chahin Gueray, ayant cédé à la Russie ses droits et ses possessions, et la Porte ayant consenti à la cession de la Crimée en 1784 (1), l'Impératrice l'a incorporée à son empire, en a formé un gouvernement, et lui a rendu son ancien nom de Tauride.

Cette presqu'île renfermait autrefois plusieurs fameuses places de commerce. De ce nombre étaient Kersone, mieux connue sous le nom de Cherson; Sougdaja, nominée par les Turcs Soudak; Solgate, nommée par les mêmes Eski-Krin; Théodosi, qu'ils appellent Ingkjirman; Théodosie, dont le nom turc est Caffa; et Sevastopol, nommée Aktiar

en turc.

A mon arrivée dans cette ville, j'eus l'honneur de me présenter chez M. l'envoyé de Russie, qui résidait près du Khan, et de lui remettre une lettre de M. de Stachiew. Elle m'obtint le meilleur accueil de la part de cet envoyé, qui jouissait à Caffa de la plus haute considération.

Les Russes s'étaient emparés de cette ville en 1771; ils la rendirent à la paix de 1774.

(1) Le 28 décembre 1783.

A cette époque Chahin Gueray, khan des Tartares, alors régnant, y transféra sa résidence, qu'il faisait auparavant à Backscheserai, à l'exemple de ses prédécesseurs.

ses

Caffa, cette ancienne ville jadis si florissante, n'offrait plus à la vue que des débris et des ruines; ses remparts, ses tours, édifices et la plupart de ses maisons étaient dans le plus triste état de délabrement. Les brisans de la mer, que les sables charriés par le Don embarrassent de gravier dans ces parages, avaient comblé une partie de son port; le cominerce n'y avait aucune activité; la misère était générale.

On reprochait au Khan beaucoup de vexations et de cruautés envers la partie des Tartares qui paraissait mécontente de son gouvernement. Persuadé qu'il était détesté de ses sujets, ce prince en devint plus dur envers eux. Il s'aliéna particulièrement leurs cœurs et leur estime par les innovations qu'il avait cherché à introduire dans son pays sur différens objets, à l'imitation de ce quil avait vu se pratiquer à Pétersbourg pendant le voyage qu'il y fit pour saluer l'Impératrice. On lui supposait le dessein de réformer sa nation, et la résolution d'en vaincre les préjugés populaires par son propre exemple.

Chahin

Chahin Gueray avait un cuisinier européen sa table était servie comme les nôtres; nul mets n'en était exclus; ses gens portaient une livrée. Il montait très-rarement à cheval, et, contre la coutume des Orientaux, presque toujours il se promenait et se montrait en public dans une voiture coupée. Il se cachait la barbe avec un mouchoir de soie noire, noué derrière le cou. Il était vêtu de drap de même couleur.

Il avait créé un corps de deux cents cosaques, sous les ordres d'un officier anglais. Leur uniforme, fait dans le genre tartare, était noir et rouge.

Il avait décrié dans ses États les monnaies du Grand-Seigneur, et il faisait de fréquens changemens dans les siennes.

Il avait voulu empêcher ses sujets de vendre leurs denrées aux étrangers, et il cherchait à s'emparer de tout le commerce, et à attirer tout l'argent du pays dans ses coffres.

On connaît la triste fin de ce prince. Réduit à céder tous ses États à l'Impératrice en 1784, il passa en Russie, et y vécut sans éclat dans une province jusqu'en 1786. Il obtint alors l'agrément de la Cour pour se rendre en Turquie. La Porte le lui avait permis; mais aussitôt qu'il y fut entré, il s'aperçut

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