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trer;
mais n'oublions pas qu'il s'agit
de traduction et passons à celle de
M. Le Brun :

« Vois cette rose naissante que colore un modeste incarnat, (le Tasse dit Modesta e verginella), à peine elle entr'ouvre sa prison; moins elle se montre, plus elle est belle mais déjà plus hardie elle étale les tresors de son sein; tout à coup elle languit; ce n'est plus cette fleur qu'environnent mille beautés, et que mille amans brûlaient d'offrir à leurs maitresses;

<< Ainsi un seul jour voit flétrir la fleur de notre vie : le printemps vient ranimer la nature; mais notre jeu nesse fuit pour ne revenir jamais. Cucillons la rose dès le matin, le soir elle sera fanée : cueillons la rose d'amour, aimons tandis que nous pou vons être aimés à notre tour,

« Il se tait, tous les oiseaux reprennent leur ramage: les tourterelles redoublent leurs baisers amoureux; tout brùle, tout s'enflamme, le chène et le laurier, les arbustes et les plantes, la terre même et les eaux, tout respire l'amour et ressent sa puissance. » (Dolcissimi d'Amor sensi e sospiri. )

Quoique dans un morceau de ce genre la poésie ait de grands avantages sur la prose, on ne peut nier que M. de Lormian, peut-etre supérieur en cet endroit, au Tasse lui-meme, pour le luxe des expressions et l'éclat des couleurs poétiques, n'en ait aussi beaucoup plus altéré la grâce naïve et la mollesse amoureuse que le prosateur. Que l'on poursuive le parallèle, on trouvera presque toujours d'un côté le poëte, et suivant l'expression de La Harpe, le vètement poétique, de l'autre, le peintre et la ressemblance: mais toute comparaison faite, et quoi que la critique y puisse reprendre, on se félicitera de posséder dans la même langue deux belles versions de l'épopée italienne.

OEuvr s d'André de Chenier. (1 vol. in-S. Paris. Août 1819.) Voilà un recueil dont on n'aurait dù parler que comme d'une heureuse découverte. André de Chénier, frère aîné de Marie-Joseph, ami des Muses et de la liberté qu'il a célébrée au commençe-

ment de la révolution par des accens
aussi mâlesque ceux de son frère, victi-
me de la tyrannie déinagogique, qu'il
abhorrait autant qu'il avait détesté le
despotisme, mort sur l'échafaud avec
le chantre des Mois, l'avant-veille du
jour qui délivra la France, (8 ther
midor, 24 juillet 1794.) avait laissé
des poésies connues de quelques amis
hommes de goût, qui lui firent une
grande célébrité. Son frère se prépa-
rait à les publier, lorsque la mort
vint le frapper lui-mème au milieu de
ses nobles travaux. M. Delatouche,
neveu de l'auteur d'Iphigénie en l'au
ride, fut chargé de l'honorable tâche
de recueillir ces richesses tombées
dans l'oubli. Nous regrettons de ne
pouvoir emprunter à sa plume élé-
gante les détails qu'il donne sur la
personne et les ouvrages d'André
de Chénier. Plus malheureux que
Gilbert et Malfilâtre, doné d'une ima-
gination brillante, nourri de l'étude
des anciens, André de Chénier n'a pu
laisser qu'une idée des talens que la
réflexion, la paix, et la maturité de
l'âge eussent mis au premier rang.
Dans son poëme de l'Invention, œu-
vre de sa jeunesse, il semble se jouer
des difficultés de notre langue qu'il
enrichit de beautés qui semblent
n'appartenir qu'aux anciennes ; mais
il y porte aussi quelquefois l'abus
des tropes, des inversions, des en-
jambemens et des ellipses, jusqu'à
la manière de Ronsard. Dans ses
Idylles, tableaux délicieux où il s'é-
lève au-dessus du ton et mème du gen➡
re de la pastorale, quelque haute
idée morale aggrandit presque tour-
jours son sujet; il est déjà plus pur et
plus correct. Dans ses Elegies, supé-
rieur à lui-même, il s'abandonne
quelquefois trop, comme Properce,
aux emportemens de la passion phy-
sique; mais quand il se laisse aller aux
inspirations d'un sentiment plus déli-
cat, il jette au milieu des transports
de l'amour, des teintes mélancoliques
d'un charme inexprimable: il avait
dans son cœur la source des beautés
du genre élégiaque; et peut-être que
s'il eût assez vécu pour laisser mûrir
son talent, Parny, le chantre d'E-
léonore, n'aurait point reçu le nom
de Tibulle français.

André n'a point atteint à la diction

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large et sontenue de son frère dans l'épitre poetique, mais il lui est bien supérieur dans ses compositions lyriques, et surtout dans ses odes légères à la manière de Simonide, de Bion ou d'Horace. On citera toujours comme un chef-d'œuvre de grâce, de sentiment et d'harmonie, cette ode qu'il fit en prison sur un mot échappé à mademoiselle de Coigny : Je ne veux point mourir encore. Jamais sujet plus touchant que la jeune captive, n'inspira mieux la muse des douleurs, et pour nous servir ici d'une heureuse expression de M. Lemercier : « Admirons ce que l'inspiration d'un poëte a pu faire d'un seul mot naïf, qui avait retenti dans son cœur..... Ce je ne veux point mourir encore, recueilli par André Chénier, résonna si bien sur les cordes de sa lyre, qu'elles en ont perpétué la mémoire. »

Ainsi le poëte portait au milieu de ses compagnons d'infortune les plus nobles consolations, le charme des illusions inconnues à leurs persécuteurs. Quelques semaines après, et tandis que les bourreaux venaient chercher les victimes marquées pour chaque jour, André Chénier chantait

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peut-être aurions nous pu nous dispenser de parler de ses vers..... Ils sont aussi d'un autre siècle.

La Panhypocrisiade, ou Spectacle infernal du 16e siècle, comédie épique; par Népumocène Le Mercier, membre de l'Institut. (Un vol. in-8, Paris.-Mars.)

Cette étrange comédie, inspirée par quelques idees du Dante et de Milton, est un spectacle tour à tour heroique et burlesque, représenté en enfer devant les diables. C'est l'histoire et la chronique scandaleuse du 16e siècle en action. On y voit paraître des papes, des rois, des capitaines, des brigands, des goujats, des fantômes ou des ètres allégoriques; le style en est tour à tour noble et trivial, élégant et néologique, obscène et philosophique. Bizarre production d'un génie original ou tous les genres sont confondus, où l'on retrouve à chaque instant les étincelles d'un grand talent; mais non le goût, les leçons et les doctrines académiques de l'auteur.

Les Délateurs, ou Trois années du 19e siècle; par M. Emmanuel Dupaty. (In-8°, trois éditions, juil let-août.)

Ouvrage de verve inspiré par une vive indignation des excès de 1815. On peut en juger par quelques vers du portrait du Delateur:

De tout dernier venu partisan fanatique, De Brutus ou Tarquin zélateur lunatique, Qui d'un signe jamais n'a paré son chapeau Qu'après avoir du Louvre observé le dra

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guerre :

Nul forfait commandé n'est pour lui criminel; Il eût du même fer frappé Monck et Cromwel,

Charles même au besoin, etc.

Epitres et Elégies; par Charles Loyson. (Vol. in-12. Paris.-Juillet.) Pièces déjà publiées dans quelques feuilles littéraires dont elles sont le plus riche ornement; production d'une belle imagination réglée par le bon goût.

Les Trois Messéniennes " ou Elégies sur les malheurs de la France, 2e édition augmentée de deux élégies sur la vie et la mort de Jeanned'Arc; par M. Casimir Delavigne. (In-8°, août.)

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Sous le premier titre emprunté à l'auteur du Voyage d'Anacharsis, M. Delavigne avait publié trois élégies dythyrambiques en l'honneurdes guerriers français que la victoire a trahis. Ces essais remarquables par la verve, le mouvement et l'éclat d'une belle poésie avaient commencé la réputation de l'auteur, que les Élégies sur Jeanne-d'Arc, surtout la dernière, ont noblement soutenue; on ne peut lire les regrets du poëte sur Jeanned'Arc, sans verser des larmes avec lui.

Da Christavec ardeur Jeanne baisait l'image; Ses lougs cheveux épars flottaient au gré des

vents:

Ah! pleure, fille infortunée !
Ta jeunesse va se flétrir
Dans sa fleur trop tôt moissonnée !
Adieu, beau ciel, il faut mourir.

Aiusi qu'une source affaiblie,
Près du lieu même où naît son cours
Meurt en prodiguant ses secours
Au berger qui passe et l'oublie :
Ainsi, dans l'âge des amours,
Finit ta chaste destinée,
Et tu péris abandonnée

Par ceux dont tu sauvas les jours.

Tu ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs,

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Et ta chaumière et tes compagnes, Et tou père expirant sous le poids des douleurs.

La Naissance de la Mode, poëme; par M. Maurice Séguier. (Paris. Octobre.)

tails gracieux. Qu'on n'accuse plus Fiction mythologique pleine de déla légèreté du sexe; qu'on ne demande plus les titres de la souveraine qui commande dans nos salons. M. Séguier les a trouvés dans l'Olympe... La Mode est fille de Protée et de Vénus.

Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer,
Les bourreaux en suspens, la flamme déjà
prête.
Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête,
Et se prit à pleurer.

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THEATRES.

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

Ce theatre, le premier dans l'ordre des affiches et dans l'opinion des étrangers, n'a pas justifié cette année ses prétentions par ses succès. La reprise de Tarare, donnée le 3 février 1819, avec quelques retranchemens dans le poëme, n'a produit ni effet, ni argent. La première représentation d'Olympie, jouée le 23 décembre, promettait beaucoup plus et n'a guère tenu davantage. La tragédie de Voltaire en a fourni le sujet; elle nous dispense d'en reproduire les détails; les auteurs du nouveau poëme n'ont fait qu'en abréger le dialogue, en resserrer l'action et en précipiter le dénoùment, auquel ils ont ajouté le spectacle d'un apothéose au temple de Mémoire où Alexandre vient recevoir sa femme et sa fille qui doivent partager son immortalité.

On sait avec quelle complaisance Voltaire caressait les enfans de sa vieillesse poétique. Il ne parlait qu'avec admiration de la pompe que comporte le sujet d'Olympic. Ce mérite la recommandait aux poëtes lyriques; mais la magnificence du spectacle n'a pas suffi pour attirer les spectateurs. L'action, trop resserrée pour être clairement développée, a fatigué leur attention; l'horrible situation où sont places les personnages principaux, a plutôt repoussé qu'excité l'intérêt. Enfin la musique, annoncée comme le chef-d'œuvre de M. Spontini, composée dans le nouveau systeme où l'expression dramatique est sacrifice aux effets d'orchestre, le chant à l'harmonie, a paru fort inférieure en tout à celle de la Vestale et de FernandCortès, dont elle reproduisait quelques motifs sans en rappeler la simplicité mélodieuse qui, en musique comme en poésie, est le véritable cachet du génie.

France du joug de l'étranger, y était Sous la puissance du génie malfaisant de la parodie, un poëte anglais (M. Southey), en faisait le principal personnage d'une épopée; un poëte allemand (le célèbre Schiller), tui élevait sur le théâtre germanique un trophé inmortel. Dans sa nation seule Jeanne était alors comme deshéritée de sa gloire; à la fin les Français ont rougi de leur ingratitude, et plusieurs poëtes ont en méme temps entrepris de venger sa mémoire.

Au premier coup d'œil, la bergère de Domremi parait un personnage éminemment dramatique. Ses mœurs agrestes et ses inspirations divines, ses adieux à son hamean, son arrivée à la cour de Charles VII, sa valeur dans les combats, sa résignation au supplice, l'éclat de ses victoires et l'excès de son infortune tout ce qu'elle est, tout ce qui l'entoure semble éminemment théâtral; mais à mesure qu'on examine le sujet, on n'y trouve plus que des difficultés.

Schiller l'envisageant dans toute la liberté de l'école romantique, a largement usé de ses ressources. Il conduit l'héroïne depuis son départ de Domremi jusqu'à sa mort. Il réunit les circonstances les plus intéressantes de sa vie. Ses adieux à son hameau, sont un des plus beaux morceaux de la poésie moderne. Présentée à Charles VII, elle réveille en son cœur le sentiment de la dignité royale ; à l'armée elle relève le courage des soldats. Tant qu'elle marche au but de sa mission elle porte le sceau de la protection divine; dès qu'il est accompli, elle retombe sous la condition” commune: puis elle périt dans une bataille, fiction historique d'après laquelle Schiller a renoncé de lui-même à ce qui nous paraît l'intérêt dominant du sujet.

Un auteur français asservi à l'impitoyable règle des trois unités, était force de se décider entre les époques de la vie de Jeanne, M. Davrigni a choisi celle du jugement odieux de Rouen ; le goût applaudit à son choix. Il ne reste qu'à voir s'il en a bien dé

PREMIER THEATRE FRANÇAIS. Jeanne-d'Arc à Rouen, tragédie en cing actes et en vers; par M. Davri-veloppé les données. gay. (Première représentation, 4 mai 1819.) Tandis que

l'héroïne qui délivra la

On ne voit figurer dans la pièce que cinq ou six caractères. Jeanne, déjà toubée au pouvoir des Anglais,

et sur le point d'être livrée à un tribunal ecclésiastique comme coupable de maléfices; le duc de Bedford, soidisant régent de France, prince fai ble, irrésolu, qui ne sait que faire de sa captive à laquelle la duchesse sa femme s'intéresse; l'illustre bâtard Dunois qui vient pour la délivrer; le brave Talbot qui prend aussi sa défense; le comte de Beauvais (personnage substitué à l'évèque Cauchon), qui a juré sa ruine; son frère, le sćnéchal de Normandie, qui voudrait la sauver; et le comte de Warwick, qui ne peut oublier la honte d'avoir été vaincu par une femme..... La seule exposition de ces caracteres donne une idée complète de la pièce..... Ce n'est au fait qu'un jugement criminel en cinq actes. Le premier se passe en conversations entre le comte de Beau

vais et son frère, entre la duchesse de Bedford et son mari; il se termine par une espèce de conseil où il est décidé qu'elle sera livrée au tribunal ecclésiastique; le second est rempli par une audience où Dunois, envoyé au duc de Bedford pour négocier la liberté de Jeanne, consent à livrer mille prisonniers pour lui servir de rançon, et dix chevaliers qui serviront d'otages pour garantie que Jeanned'Arc ne porterait plus les armes contre les Anglais, convention à la quelle l'héroïque vierge déclare ensuite dans l'entrevue qu'elle a avec Dunois, qu'elle ne souscrira jamais... Un interrogatoire que Bedford lui fait subir occupe presque tout le troisième acte; mais cette belle scène contient toute son histoire; elle y raconte comment elle reçut l'inspiration céleste, comment elle parut à la cour de Valois, comment le ciel protégea ses armes, comment sa mission remplie, soumise à la condition commune, elle tomba sous Compiegne au pouvoir des Anglais. Bedford, d'abord attendri, lui propose un asile en Angleterre si elle veut faire l'aveu de son erreur (c'est-à-dire, se déclarer coupable de sorcellerie). Resignée à son sort, incapable d'une lâcheté, elle lui annonce par des accens prophétiques d'une inspiration nouvelle, qu'il paraîtra lui-mème avant cinq ans devant le juge suprême. Alors Bedford la fait conduire devant le tribunal;

on peut déjà dîre au supplice. Encore une fois cet acte n'offre qu'une scène ; mais il en est rempli. On pourrait dire qu'elle est toute la pièce.

Dunois vient ensuite, à la manière des anciens chevaliers, demander le jugement de Dieu, c'est-à-dire proposer de prouver en champ clos l'inBedford a d'abord jeté les yeux pour nocence de Jeanne. Talbot, sur qui répondre à ce défi, s'en excuse. 'Une sédition vient tout à propos pour sauver l'embarras du cartel; et pendant cette sédition, suscitée pour la délivrance de l'héroïne, un ordre du duc de Bedford la livre au conseil qui l'envoie au supplice.

On ne conçoit pas qu'un sujet aussi simple puisse occuper pendant cinq actes. Il rappelle celui des Templiers où il y avait pourtant une conception dramatique dans le rôle du jeune Marigni qui en a fait le succès.

Ici l'héroïne est nécessairement condamnée à l'inaction; la lutte se passe autour d'elle sans qu'elle y puisse prendre part: tout le ressort dramatique est dans la volonté du duc de Bedford, dont les irrésolutions seules suspendent le sanglant sacrifice. Jeanne n'a d'autres ennemis qu'un guerrier obscur et qu'un vil renégat, tous deux sans influence réelle. Si on ne savait pas qu'elle doit périr, on croirait que Bedford, touché d'abord d'une grande infortune, et cédant aux instances de la duchesse et aux conseils du généreux Talbot, va la rendre aux Français. Pour donner au drame le mouvement qui lui manque, il aurait fallu placer Bedford sous l'empire d'une grande passion, comme le fanatisme, et qu'au lieu de deux ennemis impuissans, l'auteur eût osé mettre sur la scène un personnage dont l'autorité pût commander ce crime au nom de la religion, et faire flechir sous de prétendus oracles du sanctuaire les résolutions les plus généreuses. Alors les incertitudes de Bedford, de qui tout dépend, auraient été légitimement motivées, et le plus vif intérêt sortait de la lutte des grandes passions. Mais au lieu de les fortifier, l'auteur a nième affaibli les données historiques du sujet : quelles qu'en soient les raisons, il

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