Page images
PDF
EPUB

Forth venant après celui de Brooklyn. Il est vrai que, de ces deux ouvrages, le premier ne fait travailler l'acier qu'à 12 kilogrammes, alors que les câbles du second ont été comptés atteindre une limite pratique de résistance à tension de 33 kilogrammes par millimètre carré. De ce chef seulement, c'est-à-dire de la grande ténacité des fils d'acier ou de fer, pourrait-on encore entrevoir, dans l'avenir, quelques constructions de tabliers suspendus: affaire de passerelles élancées plutôt que d'ouvrages à lourd trafic. Singulière histoire que celle de ce type: tantôt en discrédit pour son insécurité, tantôt défiant tous les autres par l'immensité des gouffres franchis!

On parle d'un nouveau projet, à travée de 872 mètres, pour passer l'Hudson entre New-York et New-Jersey.

Si, dans une formule de poids de poutre, on considère les valeurs variables du moment fléchissant et de l'effort tranchant, pour en inférer la meilleure hauteur aux divers points, cette hauteur sera elle-même variable, et ainsi apparaît un type susceptible d'économie comparativement à la poutre de hauteur constante. Pour une travée isolée, ce sera le bowstring, si brillamment inauguré par Brunel à Saltash. S'il s'agit de travées multiples et solidaires, la complication inhérente aux variations de la hauteur semble mal justifiée par le bénéfice à en attendre; cependant, déjà, Robert Stephenson a fait varier entre 7 mètres et 9m,13 la hauteur des tubes de Britannia.

Des poutres à hauteur variable ne perdent pas nécessairement pour cela la faculté de se mettre en place par roulement ou lançage: il suffira de laisser rectiligne la semelle inférieure, et de ne pas trop réduire les sections minimales.

Dans les bowstrings de Saltash, de Hambourg, de Mayence, l'arc et la corde étant tous deux courbes, il était nécessaire d'y suspendre un longeron droit, correspondant au tablier horizontal du pont. Aussi préfère-t-on rendre rec

tiligne, pour lui permettre de jouer le rôle de bordure, soit l'arc, soit plus habituellement la corde: ainsi prend naissance la poutre cintrée, dont il existe d'assez nombreuses applications en Europe, particulièrement en Hollande. Ajoutons que l'arc tubulaire unique de Saltash ne pouvait se prêter à cette simplification, parce que, accaparant toute la largeur du pont, il devait forcément relever ses retombées au-dessus du passage libre ménagé aux locomotives.

Dans les fermes en ventre de poisson, le lattice joue un rôle beaucoup moindre que dans la poutre droite; la membrure curviligne fournit une composante d'effort vertical propre à résister, dans une mesure plus on moins grande aux efforts tranchants. Sous le chargement uniforme de la portée entière, une poutre parabolique terminée en pointe à ses extrémités ne réclame, pour tout tympan, que de simples aiguilles de suspension du tablier. Sous charge variable, les diagonales d'armature des tympans interviennent, mais ne subissent que de faibles efforts. Si elles existent toutes deux dans chaque panneau et ont une force suffisante, il n'est pas indispensable de les raidir, attendu qu'il y en aura toujours une sollicitée par tension et apte à désintéresser l'autre, qui se dérobe aux compressions. Ainsi, laissant à part les questions d'épaulement latéral de la ferme sur les entretoises ou pièces de pont, on peut concevoir le tympan d'un bowstring comme entièrement constitué par de minces tiges de tension.

La formule de poids moyen, par mètre, d'une poutre cintrée de portée et de hauteur centrale h, portant p permanent et p' mobile (par mètre) est:

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

n étant le nombre de panneaux (ou intervalles de mon

tants), supposé assez grand; u = coefficient 1,3 environ appliqué à l'arc et à la corde, et wcoefficient 1,5 à 2 appliqué aux montants verticaux pour les raidir.

Pour comparer équitablement un bowstring à une poutre droite, il faut lui attribuer une hauteur centrale supérieure à la hauteur constante de la poutre.

Passons aux ponts à travées multiples. Il est clair que si ces travées sont indépendantes, il n'y a rien de particulier à en dire; la solidarité seule constitue ici un type susceptible d'économie spéciale. Nulle part elle n'a été en faveur plus qu'en France, où la théorie en a été inaugurée par Clapeyron, Belanger et Bresse.

Dans un pont à trois travées, la meilleure proportion

1 consiste à faire la portée centrale supérieure de environ à

4

la longueur d'une portée de rive. En ce cas, le moment fléchissant moyen a pour valeur 0,019pL2 +0,031 p’L2, où L désigne la demi-longueur totale et p, p' les charges morte et mobile par mètre courant, la dernière étant appliquée par travées entières. Si l'on adoptait, au contraire, des travées indépendantes, il conviendrait de les rendre égales, en sorte que la longueur de chacune d'elles

2

serait L; et, comme alors le moment moyen s'élève à

p+p'L2, on voit que la continuité offre une économie

27

2

de 49 p. 100 en ce qui concerne la charge morte et de 16 p. 100 en ce qui concerne la charge mobile. Cela, toutefois, ne se rapporte qu'aux semelles des poutres, non à la paroi verticale, soumise aux efforts tranchants, lesquels n'ont rien à gagner à la solidarisation des travées.

Mais on objecte les perturbations que peuvent apporter des inégalités dans le tassement des divers appuis. C'est pour ce motif que les Hollandais, sur leurs terrains

vaseux, ont repoussé le principe de la solidarisation, et adopté des files de bowstrings présentant au droit des piles le minimum de hauteur, tandis qu'au contraire, une poutre continue devrait atteindre en ces points le maxi

mum.

Même avec des fondations sur le roc, les Ingénieurs anglais semblent conserver des préventions contre les poutres continues. Ils ont construit récemment, en Australie et en Inde, les ponts de Hawkesbury, de Bénarès et du Chittravati avec des travées indépendantes; et M. Hayter allègue que, si la continuité peut convenir à des poutres pleines, il n'en est pas de même pour certains types de treillis. Ce grief, toutefois, semble peu péremptoire, ainsi que celui des alternances de sens du minime effort des membrures dans la région des points d'inflexion.

Les Américains, pas davantage, n'ont pratiqué la continuité complète; par contre, partisans des systèmes articulés, ils ont accueilli avec faveur la continuité mitigée, nous voulons dire le système des ponts à intersections, ponts-cantilevers, ponts à encorbellements, ponts à consoles ou ponts-grues. On voit que les noms ne manquent pas; peut être celui à ponts à consoles suffirait-il, sans recourir à une désignation anglaise; quant au terme pontgrue, il avait déjà été employé pour un certain type de volée tournante, à la vérité peu usuel.

L'application du système cantilever, qui avait déjà germé ailleurs, se justifie, au reste, davantage par les considérations pratiques du montage que par celles de l'économie du métal. Cela ressort à l'évidence de l'historique même.

Depuis des siècles, les constructeurs japonais, pour jeter des tabliers de bois sur des ravins profonds, avaient imaginé d'encastrer dans les culées des pièces se superposant en saillies successives, et de relier ensuite

[ocr errors]

par une poutre centrale les deux becs de consoles ainsi formés.

Certaines arches des ponts ont joué temporairement le rôle de consoles lors de leur érection en porte-à-faux; c'est ainsi que le Creusot, en 1866, établit celle de 70 mètres de la rivière El-Cinca, en Espagne. Les deux demiarcs de fonte étaient retenus par un amarrage des longerons et des tympans aux culées. Lorsque, à Saint-Louis, pour traverser le Mississipi, il fallut jeter trois arches métalliques sur des vides de 153 et 158 mètres, on s'échafauda sur les piles au moyen de grands bâtis de charpente affectant la forme de tympans triangulaires surhaussés. Or, si l'on compare l'aspect général de cette carcasse de bois et d'acier (fig. 4 et voir Annales des Ponts et Chaussées de 1877) à la figure du pont du Forth, il saute aux yeux que ce dernier (fig. 5) n'est guère autre chose que l'échafaudage temporaire du Mississipi érigé à la dignité d'ouvrage définitif.

Les ponts tournants pratiquent le porte-à-faux dans leur évolution, et devaient d'autant mieux le suggérer à des ouvrages fixes, que quelques-uns d'entre eux s'en tiennent au même mode de stabilité, une fois fermés. Tel le grand pont de Brest, dont les deux gigantesques consoles forment une travée de 117,50 articulée en son centre, et que maintiennent des travées-culasses latérales de 28,60, lestées et cramponnées aux culées par des mâchoires mobiles.

L'idée d'arcs travaillant en consoles hantait l'esprit de quelques ingénieurs anglais avant les grandes applications aujourd'hui existantes. On en voit la trace à plus d'une reprise dans les discussions de l'Institution of civil Engineers. Ainsi, au volume 26, page 300 (session de 1866-1867), nous lisons, sous le nom de M. Edward W. Young: « The bridge he advocated might be described as

[ocr errors]
« PreviousContinue »