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quant à la durée du montage, dont l'abrégement diminue les risques à courir pour les échafaudages, de la part du vent et des crues, les procédés de pose en porte-à-faux, par juxtaposition de panneaux tout faits, diminuent considérablement la proportion des rivures à exécuter sur le tas. C'est ainsi qu'au viaduc de Cervena, sur la Moldau, cette proportion s'est abaissée à 15 p. 100, en regard de 55 p. 100 avec la pose sur échafaud. Tout ce que nous voulons dire, c'est que, dans l'état actuel des choses, une poutre rivée se calculant, du consentement général, comme une poutre articulée, il n'y a pas de cause intrinsèque d'économie de poids en faveur de cette dernière, pour peu du moins que les portées et les charges aient de l'importance.

Car, en effet, si l'on voulait parler d'ouvrages grêles, présentant par exemple de nombreuses attaches à rivet unique, il est indubitable que le trou de ce rivet entame gravement la section d'une barre laminée, tandis que des cils fondus ou forgés présentent le renflement que réclame l'égale résistance; mais dans les puissantes pièces constitutives d'un grand ouvrage, pour peu que les perforations soient convenablement réparties, le déficit de section nette qu'elles occasionnent s'atténue et disparaît sensiblement. Pour une attache à quinze rivets, par exemple, plaçons-en d'abord un seul en avant-garde, puis deux, puis quatre, et enfin huit à la dernière rangée vers l'extrémité de la pièce : cette dernière tranche, nonobstant ses huit trous très rapprochés, ne court pas plus de risque de rupture que la section menée par le trou unique antérieur, parce qu'elle est protégée par les sept rivets placés au-devant d'elle et dont le cisaillement doit accompagner sa propre déchirure pour que l'assemblage soit emporté.

Si d'ailleurs, au lieu d'être une simple lame, la pièce était un composé de tôles et de cornières déjà troué sur

toute sa longueur, l'attache se fera sans aggraver en rien l'affaiblissement constitutif déjà consenti.

Reconnaissons que cette perforation sur la longueur des pièces est évitée dans les membrures en forme de chaînes, dont les maillons multiples et parallèles n'ont entre eux d'autres liaisons que celles mêmes des articulations. La chaîne emploiera bien réellement un minimum de métal subsidiaire, à la condition que les barres aient autant de longueur que possible; car enfin le goujon, le renflement de l'œil constituent des articles de dépense à ne pas multiplier plus que de raison, ainsi qu'on s'y trouverait induit dans une poutre de dimensions modestes où les nœuds se rapprocheraient trop les uns des autres. Si dans nos systèmes rivés se rencontrent des tenseurs de grande section, faits de pièces assemblées sur leur longueur, ce n'est pas toujours sans de bons motifs : dans un croisillon, par exemple, la diagonale tendue prête sa rigidité, inutile à elle-même, à la contre-fiche qu'elle appuie en son milieu.

Ajoutons, relativement aux pièces comprimées, douées d'un surcroît de force en vue de la résistance à la déviation, que la perforation des extrémités est moins dommageable encore que pour les tirants, puisque c'est le milieu qui tend à faiblir. Le renflement en profil de bielle serait la forme la plus légère, mais nous ne la voyons. guère appliquée dans les ponts, même américains; on la rencontrait plutôt dans les ouvrages en fonte.

Les très grandes charpentes métalliques pourront la remettre en vogue. Elle apparaît en longues pièces évidées dans la structure des tympans de l'arche étudiée par la Société de construction des Batignolles pour la traversée du Viaur, par la ligne de Carmaux à Rodez (Génie civil, XV, Pl. 33). Elle se rencontre encore dans les palées articulées du viaduc de la Lyse, en Norvège, ainsi que dans la carcasse, critiquable comme aspect,

d'une gigantesque travée à consoles récemment érigée à Sukkur, en Inde, et décrite par M. Frederick Ewart Roberston à l'Institution des Ingénieurs civils anglais. Les contre-fiches renflées se placent ainsi en concurrence avec les colonnes tubulaires appliquées au Forth. Cellesci, à parois pleines, sont bien appropriées tout ensemble à la résistance par compression et aux facilités requises pour hisser de proche en proche, le long de leurs flancs, les plate-formes volantes à la faveur desquelles elles se construisent dans les airs, en poussant leur jet comme une plante. En revanche, leur point faible, ce sont les sutures aux noeuds du réseau, entraînant à des complications d'exécution et de transmission correcte des efforts.

Comme jointures, les barres comprimées se contenteraient de butées mutuelles, aussi bien dans les systèmes. rivés que dans les articulés, si l'on ne jugeait plus pratique, en même temps que plus sûr contre les ébranlements, de substituer à un ajustage de précision un assemblage à couvre-joints.

Après tout, dit-on, le fait est là, les États-Unis nous montrent des ouvrages plus économiques que ceux d'Europe. Nous répondons que les démonstrations de cette nature pèchent souvent par la base, en ce qu'elles mettent en concurrence certains exemplaires récents, triés sur le volet, avec le tas, avec la masse de ce qui a paru ailleurs depuis quarante ans. D'un côté, toutes les faveurs nulle gêne de hauteur, réduction à deux du nombre des poutres, meilleur métal, toute la science, toute la hardiesse actuellement acquises; de l'autre, une moyenne obscure, où entrent combien de sujétions particulières, de tâtonnements primitifs, de luxe voulu ou d'antiques scrupules de surcroît de prudence! (*) Dans une

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(*) Faire cossu plutôt que bon marché est une pratique familière aux Ingénieurs anglais, comme offrant des gages majeurs de sécurité et de durée. A

question aussi complexe, tant de facteurs interviennent, de nature à noyer l'influence propre des variantes ou des types, qu'en fait de comparaisons sommaires on ne saurait être trop circonspect. L'époque à elle seule, est un juge: de tout ingénieur du jour on attend mieux que la moyenne de l'art des trois ou quatre dernières décades; et Robert Stéphenson ne fut point un médiocre constructeur, quoique le premier ingénieur venu pût refaire, aujourd'hui, le pont Britannia avec beaucoup moins de métal. Les merveilles exotiques citées ne présentent, bien souvent, rien d'extraordinaire si l'on veut les comparer équitablement à ce que comportent nos procédés vulgaires strictement appliqués. Qu'il nous soit permis de nous expliquer par un exemple.

Prenons, page 477, mars 1889 des Annales des Ponts et Chaussées, le poids que M. l'ingénieur Le Rond attribue, d'après M. l'inspecteur général Croizette-Desnoyers, à un pont de 63m,30 de portée: 5.270 kilogrammes par mètre, pour double voie. Or, dans notre Étude comparative des divers systèmes de ponts en fer, éditée en 1866 par M. Eug. Lacroix, nous avons établi, avec dessins et métrés à l'appui, les poids pratiquement réalisables avec les systèmes usuels, en tenant compte des couvre-joints, des renforts de raidissement des pièces comprimées, et en ajoutant encore une somme à valoir de 10 p. 100. Le tableau XIIo de cet ouvrage donne pour ponts-rails à double voie, à deux poutres droites à croisillons sans montants, en cas de hauteur disponible illimitée, les poids de 3.590 et 4.230 kilogrammes pour les portées respectives de 60 et 70 mètres; d'où, par interpolation,

une critique sur la lourdeur d'un pont sur le Chittravati, en Inde, comparativement aux ouvrages américains, M. Hayter répond que les règlements en vigueur en Angleterre et en Inde sont beaucoup plus exigeants qu'aux ÉtatsUnis; et il plaide, de plus, en faveur d'une surépaisseur de métal pour parer à l'oxydation.

3.800 kilogrammes par mètre pour la portée de 63,30. Voilà donc étudié, il y a vingt-trois ans, un type à rivure ou type français présentant 28 p. 100 de réduction sur le poids énoncé aujourd'hui comme terme de comparaison avec les systèmes américains. C'est faire la part trop belle à ces derniers.

Résumons nous. En ce qui concerne les poutres droites, il est chimérique de prétendre trouver d'autres moyens que les suivants d'en réduire le poids: - adoption d'une bonne hauteur; - inclinaison convenable du lattice, et suppression, autant que faire se peut, de toute tige verticale; -variation des sections conformément à la règle d'égale résistance; - couvre-joints groupés et ramassés; enfin, préférence donnée à l'âme pleine, tant que la poutre est assez petite pour que les surépaisseurs, les jointures et le raidissement de cette âme n'arrivent pas à en doubler le poids théorique; car un treillis strict pèse le double de l'âme pleine théorique (2aF par mètre courant, contre aF, avec les notations employées précédemment).

En dehors de ces règles et réserves faites de la question des articulations, nous ne croyons à aucune recette américaine pour forger des types de poutre de hauteur constante, doués d'une économie intrinsèque quelconque.

Dans une poutre reposant sur des appuis à réactions verticales, il est oiseux de chercher à faire prédominer les organes tenseurs sur les organes comprimés; à très peu près, le métal sera fatalement employé moitié en tension, moitié en compression.

En ce qui concerne la meilleure hauteur à donner à une poutre, la théorie pure conduirait à prendre cette hauteur la plus grande possible, puisque l'âme théorique s'amincit et n'augmente pas de poids à mesure qu'elle s'élève, tandis que les plates-bandes diminuent; aussi faut-il faire intervenir, dans cette recherche, la considé

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