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constatons simplement qu'il n'y a rien de neuf dans les combinaisons admissibles pour lattices de poutres droites, et que les États-Unis sont arrivés généralement aujourd'hui à de bons types, après l'abandon des systèmes défectueux de poutres armées de Bolman et de Fink, qui, avec suppression facultative de la plate-bande inférieure, comportaient des poinçons verticaux et de nombreux tirants beaucoup trop rapprochés de l'horizontale.

Question de raidissement à part, une poutre droite de hauteur h, composée de deux membrures horizontales et

de barres à 45 degrés, pèse théoriquement 2a (+F)

par mètre courant, en un point où le moment fléchissant est u et l'effort tranchant=F, le coefficient a désignant le rapport du poids spécifique à la résistance admise par unité superficielle; et puisqu'il est d'usage de calculer les poùtres rivées en les traitant comme poutres articulées, il n'y a aucune raison pour que les unes pèsent davantage que les autres, à conditions égales de hauteur, de fatigue, de hardiesse, de raidissement et de scrupuleuse exactitude dans les calculs; ou bien la différence, s'il s'en trouve, devra être attribuée au tempérament de l'auteur de l'étude, non aux propriétés intrinsèques du système. Il reste cependant à discuter la question des jointures, ce que nous ferons plus loin.

L'intercalation de doubles diagonales entre des montants verticaux fonctionnant comme étais, n'a souvent d'autre but que d'introduire des contre-tirants, pour relayer les tirants ordinaires, sujets à se relâcher et se dérober en cas de renversement de signe de l'effort tranchant disposition justifiée dans un réseau à tiges grêles, c'est-à-dire faiblement chargé; mais il serait étrange d'aller citer une telle sujétion, nécessairement onéreuse en elle-même, comme un artifice d'économie transcendante.

Annexés à un treillis comme barres surabondantes, indépendamment de leur rôle de roidissement, les montants ne sont pas sans prendre quelque participation au travail ils tendent à partager les charges entre les nœuds d'en haut et d'en bas, à égaliser, dans chaque panneau, les efforts des barres d'inclinaisons inverses; mais, diminuant un effort, augmentant l'autre, ils ne procurent, en fin de compte, aucune économie théorique.

L'articulation des jointures, voilà du moins la chose qu'il vaut la peine de discuter. Elle est bien devenue, par l'universalité et la persistance de son adoption, une caractéristique américaine, bien qu'elle ait été employée antérieurement sur l'ancien continent: en 1851, au pont de Newark, sur la Trent; en 1853 à l'ancien viaduc de Crumlin. De là, les Anglais l'ont portée dans l'Inde entre 1858 et 1860 (Taptee, Nerbudda, etc.). Dérivée des chaînes de ponts suspendus, Brunel l'a introduite dans la corde d'armature des grandes travées de Saltash. M. Hawkshaw, dans le pont de Charing-Cross (Londres), a associé de gros goujons d'acier, d'un ajustage extrêmement précis, à des rivures rigides; enfin, dans les ponts allemands de l'ingénieur Pauli, l'articulation s'est encore essayée. Ces tentatives, toutefois, n'ont pu la faire prévaloir en Europe. Peut-être cela tient-il à ce qu'elle ne souffre pas la médiocrité dans l'exécution; il suffit qu'un seul boulon manque pour que tout l'ouvrage soit ruiné; le jeu vibratoire qu'avaient pris les poutres de Crumlin a conduit à la réfection de cet ouvrage avec des assemblages rivés.

Les partisants du système reconnaissent qu'il faut aux maillons des soins spéciaux de fabrication, et de préférence l'emploi d'acier doux. Les chevilles ont quelque tendance à tourner sur elles-mêmes, à se creuser en gorges, à s'user hâtivement, lorsqu'elles se sentent tirailler par certaines barres soumises à des renversements de sens d'effort.

A tort ou à raison, on a vu dans les ponts articulés un système branlant, peu propre à survivre au choc accidentel d'un wagon déraillé (chute du pont sur l'AppleRiver, vers Chicago, relatée dans les Annales des Ponts et Chaussées de 1888). Si d'un autre côté, à Charing-Cross, le calibrage a été fait avec des soins irréprochables, la grande rigidité des membrures horizontales de la poutre achevait de rendre bien superflue une faculté de pivotement dont l'utilité est, en elle-même, déjà douteuse. Tout compte fait, l'abandon des poutres à goujons est attribuable à ces deux causes: la dépense de forgeage des œils aux extrémités des barres; la considération que

la rigidité des liaisons constitue, en somme, un renforcement bien plus qu'un désavantage. Sans doute, dans une poutre basse, pliant beaucoup, il tendrait à se produire des contorsions locales. Sans doute, il n'est pas rigoureux de calculer comme articulée une charpente qui ne l'est pas réellement, et les efforts anormaux qu'engendrent les liaisons encastrées n'ont pas échappé à l'attention des ingénieurs (mémoires de MM. de Givré et Périssé à la Société des Ingénieurs civils, et de M. Considère dans les Annales des Ponts et Chaussées de 1887). Ce genre de déformation pourrait donner quelque inquiétude dans un pont en arc à montants simples, c'està-dire dépourvu de diagonales dans les tympans : c'est la raison pour laquelle M. Résal a cru devoir mettre des articulations au pont de Nantes (Annales des Ponts et Chaussées, 1882); mais aussi faut-il dire que ce type de tympans désarmés ne paraît convenir généralement qu'à des ponts-dentelles soumis à de faibles surcharges, tel que l'arc très svelte de 114 mètres jeté sur la Schwartzwasser (canton de Berne) par la maison Ott et Probst (fig. 3). Le pont de Saint-Louis, sur le Mississipi, confirme cette opinion, puisqu'il a fallu consolider son tablier, sur lequel les rails éprouvaient une

tendance à cheminer dans le sens du mouvement des trains.

En fait d'autres voûtes de grande envergure, où la hauteur propre des arcs leur a fait dédaigner l'assistance des remplissages supérieurs, citons encore les ponts de Coblentz, de Porto et du Garabit. M. Barbet adopte aussi des montants simples dans les études de types pour grands ponts d'acier qu'il a données en 1886 aux Annales des Ponts et Chaussées. Dans un mémoire sur les arches en métal et en bois, publié par l'institution des Ingénieurs civils anglais (vol. 31, session 1870-1871, Inst. C. E.), nous avons nous-même donné un exemple de calcul de projet de pont en arc avec des formules de Bresse, c'est-à-dire en attribuant à l'arc seul la résistance aux flexions, et nous avons exposé également le mode de résistance avec intervention des tympans. Or, de la discussion publiée à la suite de ce mémoire on peut inférer que, dans l'opinion des ingénieurs anglais, il convient de compter en général sur les tympans pour épauler l'arc lors des chargements partiels.

Les ponts de la Schwartzwasser et de Saint-Louis, déjà cités, présentent encore un trait commun: l'encastrement de l'arc, celui-ci étant dédoublé en deux membrures écartées que relie une triangulation, et qui viennent s'appuyer en des points distincts contre les maçonneries. A Saint-Louis, l'intention d'encastrer se trouve accusée par des amarrages; mais il n'est pas moins nécessaire au pont suisse, sous peine de graves désordres, de maintenir, quelles que soient les dilatations et les flexions, le contact de chacune des deux membrures de l'arc sur son appui individuel. Il y a là, à défaut d'ancrage à la culée, une question d'état initial et de limitation d'amplitude des mouvements possibles, condition arbitraire et délicate, à laquelle échappent les arches à rotules. Nous reviendrons plus loin sur ces considérations.

Si des arcs nous repassons au cas de poutres droites, supposées de hauteur suffisante pour ne plier que très peu sous les charges, l'inconvénient des effets anormaux s'efface, et il reste à l'actif des assemblages rigides, le meilleur maintien des contre-fiches contre le risque de flambage, douées qu'elles sont de la supériorité que présentent des piliers à têtes encastrées sur ceux à têtes pivotantes. Au surplus, les Américains l'ont parfaitement senti; et dans leurs types récents ils assemblent rigidement les poteaux avec la membrure supérieure de compression. Ils renoncent même totalement aux articulations dans les petits ouvrages, que leur faible poids expose à un ferraillement redoutable sous le passage des convois.

En résumé, les avantages de la rigidité peuvent bien compenser ceux du mode américain, qui sont les suivants précision du rôle assigné à chaque organe, plus grande certitude des calculs, faculté de se prêter à un montage très rapide. Ce dernier point prenait une importance spéciale chez une nation jeune, à l'activité dévorante, et poussant fiévreusement ses chantiers de travaux publics, nonobstant la pénurie d'ouvriers exercés. Ajoutons-y cette considération que, dans un mode constructif fortement empreint de l'idée de la suspension, les organes tenseurs cherchent à prévaloir sur les organes de compression, et qu'une attention particulière est vouée au maintien de la direction axiale des forces, sans exclure l'emploi de barres larges et rigides. Enfin, nous nous abstenons d'entreprendre un débat sur ce que peuvent permettre aujourd'hui les perfectionnements de la métallurgie et de l'outillage mécanique, en vue de réaliser à bas prix des formes complexes, s'éloignant de la grosse chaudronnerie et se rapprochant de la construction des machines. A l'objection des malfaçons de chantier, l'emploi de riveuses hydrauliques portatives a répondu; et

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