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CHAPITRE III

Du Code civil

HISTORIQUE ET MATIERES

Haïti constituée en nation indépendante, il était naturel que le pouvoir régnant s'occupât bientôt de promulguer des institutions judiciaires propres au pays.

Ainsi, le 7 juin 1806, dans une loi rendue par l'empereur Dessalines sur l'organisation des tribunaux, il fut dit, titre II, art. 10: « Les lois civiles seront revues et réformées, et il sera fait un code général de lois simples, claires et appropriées à la Constitution.

Comme aussi sous la République présidée par Pétion, une autre loi organique des tribunaux, en date du 24 août 1808, porta en son titre III, art. 5, que les tribunaux de première instance procéderont (jusqu'à ce qu'un Code civil ait paru) conformément aux lois et ordonnances relatives en usage dans ce pays, et en tout ce qui n'est pas contraire à la Constitution du 27 décembre 1806.

Le 20-24 février1812, Christophe remplit la promesse de la loi impériale, par la publication de son Code Henry, qui, jusqu'à sa chute en 1820, resta en vigueur dans la partie du pays qui formait son royaume. C'était un code unique, composé de lois diverses traitant des matières comprises dans les différents codes que nous possédons maintenant outre des dispositions sur les prises loi civile, loi de commerce, loi sur les prises, loi de procédure civile, loi de police correctionnelle et criminelle, loi de procédure criminelle, loi concernant la culture, loi militaire comprenant les règlements de

toutes natures sur l'organisation de l'armée, loi pénale militaire, y compris la forme de procéder devant les Conseils de guerre. (V. B. ARDOUIN, t. VIII, p. 471.)

Le Conseil privé du roi, composé de douze membres et présidé par l'archevêque Corneille Brelle, duc de l'Anse, lui adressait, le 30 janvier 1812, sur cette codification de lois, un rapport dans lequel on lit : « .... Il fallait au peuple haïtien un Code de lois simples, sages, qui consacrât d'une manière solennelle ses droits, ses devoirs, et qui fût analogue au climat, à ses mœurs, à ses besoins, et principalement adapté à un peuple agricole et guerrier...... » Déjà en 1807, des lois qui se trouvent plus ou moins retouchées au Code Henry, entre autres sur les enfants naturels (25 mars), la tutelle et l'émancipation (6 mai) avaient été transitoirement rendues au Cap Haïtien par le Conseil d'État d'alors.

De son côté, le Conseil départemental siégeant aux Cayes, pendant la scission du Sud, prenait, le 15 juin 1811, un arrêté qui mettait en vigueur, dans ce département, à partir du 1er août suivant, le Code Napoléon (1) et abrogeait les lois, ordonnances, coutumes et règlements sur les matières qui sont l'objet dudit Code. (L. PRADINE, Lois et Actes, note sous le numéro 438.) Les anciennes ordonnances, etc., abrogées par cet arrêté, reprirent force et vigueur à la pacification du Sud, en mars 1812; ce qui était, d'ailleurs, conforme à la Constitution de 1808.

Cependant, à quelque temps de la et pendant qu'on travaillait, au Grand-Goave, à la revision de la Constitution, le Président Pétion adressa (22 mars 1816) une circulaire aux Commissaires du Gouvernement près les tribunaux de l'ouest, faisant savoir que le Gouvernement avait décidé que, dans tous les cas douteux de jurisprudence non prévus par les lois en vigueur dans la République, et jusqu'à ce qu'un Code civil

(1) Promulgué en France de 1803 à 1804.

ait été particulièrement rédigé pour le pays, le Code Napoléon sera celui qu'on consultera pour servir de base aux décisions judiciaires. » (Lois et Actes, no 438.)

La Constitution, revisée sur ces entrefaites (2 juin 1817), édicta (art. 37) qu'il sera fait des codes de lois civiles, criminelles et pénales, de procédure et de commerce communs à toute la République.

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Et, en attendant, le Grand-Juge A. de Sabournin émit, l'année suivante, 31 août, - une dépêche aux membres du tribunal d'appel de Port-au-Prince, interprétative de celle du Président d'Haïti sur l'emploi du Code Napoléon. « Il paraît, dit-il, que l'esprit de la lettre de S. Ex. le Président d'Haïti est de se servir du Code Napoléon dans tous les cas où nos propres lois ne se sont pas clairement expliquées, de préférence aux anciennes ordonnances. Mon opinion est que cela doit faire règle générale, et que le Code doit suppléer à ce qu'on entend par lois anciennes en usage dans le pays. » (Ibid. n° 496.)

Ces dispositions, rapporte L. Pradine dans une note sous le n° 438, Lois et Actes, furent suivies jusqu'en 1825, époque de la confection des codes d'Haïti. Cependant le Président Boyer eut la velléité de les rapporter; il écrivit en conséquence, le 23 septembre 1822, une dépêche au Grand-Juge, où on lit ce qui suit :

Depuis quatre ans, je n'ai pas discontinué d'étendre ma <«< sollicitude sur les moyens de rendre, dans la République, <«<l'administration de la justice aussi simple qu'efficace...

«Tout le monde sait les peines que je me suis données pour «< procurer à la Nation un code de lois adapté à ses mœurs, à «ses usages et à portée d'être entendu et conçu de tous « ceux auxquels il est destiné à servir de boussole dans leurs << transactions privées et publiques; mais ce travail devant <«< embrasser une si vaste étendue d'idées, par rapport aux « ramifications dont se composent tous les cas qu'il faut « essayer de prévoir, il ne peut être que le fruit du temps et de <«la méditation. J'espérais qu'à la présente session de la Légis

«lature, toutes les lois civiles auraient été confectionnées, « mais voyant, à mon grand regret, l'impossibilité que cela « soit ainsi, je suis dans la nécessité de chercher un remède

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temporaire pour arrêter les progrès du mal qui s'opère dans « nos tribunaux de justice, au détriment de nos concitoyens, « à cause de l'effet des lois étrangères, qui ne peuvent être « plus longtemps ni les guides des juges, ni les foyers de « discordes et de calamités publiques.

« Je veux parler, Grand-Juge, du Code Napoléon, qui, en « vertu de la lettre de mon prédécesseur aux Commissaires « du Gouvernement près les tribunaux du département de «<l'Ouest, en date du 22 mars 1816, a été admis pour suppléer <«< dans tous les cas où les lois de la République ne se seraient « pas encore prononcées.

« D'après tout ce que l'expérience a fait sentir d'inconvé«nients à ce que les articles trop compliqués du Code Napo«<léon continuent dans beaucoup de circonstances à servir de règle aux tribunaux, il devient important aux intérêts des <«< citoyens, aussi bien qu'à ceux du commerce en général, « que ce code soit retiré de l'usage que lesdits tribunaux ont « été autorisés dans le temps à en faire. En conséquence, je « vous autorise à notifier à tous les commissaires du Gouver«<nement et autres officiers de l'ordre judiciaire, faisant fonc«<tions du ministère public, que la lettre de mon prédécesseur, « en date du 22 mars 1816, aux commissaires du Gouverne«<ment près les tribunaux de l'Ouest, est rapportée et demeure « nulle, comme si elle n'était jamais advenue; que, d'après «< cela, on ne devra plus se servir davantage du Code Napo«<léon dans aucun tribunal, ni dans aucun cas; qu'en atten« dant la promulgation du code haïtien, les tribunaux se « régleront sur les lois de la République, sur l'usage qui «< prévalait avant le 22 mars 1816, et que, dans le cas où « aucun ancien règlement ni même l'usage ne laisserait de « traces pour guider lesdits tribunaux, ils prononceront d'après l'équité, ou prescriront aux parties contendantes. <«<l'arbitrage, et même leur donneront d'office des arbitres, «< afin d'abréger les ressorts de la chicane, rendre la justice

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« prompte et peu dispendieuse à tous ceux qui seront forcés « d'y recourir.

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Que ma présente lettre soit enregistrée dans les « greffes, etc. »

Cette idée était vraiment dominante chez nos devanciers : qu'il fallait simplifier les dispositions des codes civil et de procédure, considérées comme trop compliquées pour le pays. Mais le président Boyer, qui se l'exagérait tant encore, revint bientôt de cette erreur commune, comme nous le verrons plus loin, et reconnut enfin la sagesse de ces dispositions du code qu'il voulait alors proscrire de nos tribunaux.

Une autre observation à faire sur la dépêche du 23 septembre 1822, c'est qu'une simple dépêche du Président ne suffisait pas, en principe, pour autoriser les juges à prescrire aux parties litigantes l'arbitrage, même d'office. Ce n'est que par un acte législatif que le juge pourrait être autorisé à déléguer ainsi, et même en dépit des parties, son pouvoir de juridiction.

L'art. 4, titre Ier de la Loi organique du 15 mai 1819 et les art. 178 et 179 de la Constitution de 1816, sous l'empire desquels on se trouvait alors, reconnaissaient bien aux parties la faculté de faire juger leurs différends par arbitres de leur choix plutôt que par justice; mais ils n'autorisaient nullement les tribunaux saisis d'une cause à en renvoyer le jugement à des arbitres nommés d'office, c'est-à-dire, à l'occasion, même contre le gré des parties.

Au contraire, l'art. 7 de cette même Loi organique de 1819 disait déjà que «les juges ne peuvent se refuser de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, sous peine de déni de justice ». - Disposition que nous avons maintenant à l'article 9 du Code civil.

Les arbitres sont des juges d'exception investis, par les parties, du pouvoir de juger une certaine contestation, ou chargés par la loi de terminer des différends d'une nature déterminée..... Dans le doute, leur compétence doit être res

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