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ferme empiéter sur l'immensité des eaux, l'un s'accroissant des pertes qu'il occasionne, et l'autre par les gains qu'elle fait ; quand j'ai vu de tels échanges d'états, et ces états mêmes se réduire à rien; ces ruines m'ont enseigné à réfléchir : « qu'il viendra un temps qui enlèvera aussi mon amour!» Et cette pensée est comme une mort, qui n'a pas d'autre choix à faire que de pleurer de ce qu'elle possède ce qu'elle craint de perdre.

SONNET LXV.

Puisque ni l'airain, ni la pierre, ni la terre, ni la mer immense, ne peuvent résister à la domination de la triste mort; comment, au milieu de ce cette rage de destruction, la beauté pourrait-elle faire valoir ses droits, elle dont l'action n'a pas plus de force que celle d'une fleur?

And the firm soil win of the watery main,
Increasing store with loss, and loss with store;
When I have seen such interchange of state,
Or state itself confounded do decay;
Ruin hath taught me thus to ruminate -:
That time will come, and take my love away!
This thought is as a death, which cannot choose
But weep to have that which it fears to lose.

SONNET LXV.

Since brass, nor stone, nor earth, nor boundless sea,
But sad mortality o'er-sways their power,
How with this rage shall beauty hold a plea,
Whose action is no stronger than a flower ?
O, how shall summer's honey breath hold out

O! comment le souffle doux de l'été durera-t-il malgré les coups destructifs du temps, lorsque les rocs les plus impénétrables ne sont point assez solides, lorsque les portes d'acier ne sont pas assez fortes pour y résister? O! réflexion terrible! où-donc, hélas ! le plus beau joyau du temps restera-t-il caché hors du sein du temps? Quelle forte main pourra retenir son aile (pied) agile? ou qui pourra empêcher la destruction de la Beauté? Hélas! personne; à moins que ce miracle ne puisse arriver par le moyen de mon encre noire qui fera briller éternellement mon amour.

SONNET LXXI.

Quand je serai mort, ne pleurez pas sur moi plus longtemps que vous n'entendrez le son triste et lugubre de la cloche qui annoncera que je suis échappé de ce

Against the wreckful siege of battering days,
When rocks impregnable are not so stout,
Nor gates of steel so strong, but time decays?
O fearful meditation! Where, alack!

Shall time's best Jewel from time's chest lie hid ?

Or what strong hand can hold his swift foot back?

Or who his spoil of beauty can forbid ?

O none, unless this miracle have might,

That in black ink my love may still shine bright!

SONNET LXXI.

No longer mourn for me when I am dead,
Than you shall hear the surly sullen bell
Give warning to the world that I am fled

monde vil, pour habiter avec les vers les plus vils. Et même, si vous lisez ces lignes, oubliez la main qui les a écrites; car je vous aime tant que je voudrais être effacé de vos douces pensées, si je devais croire qu'en vous occupant de moi, cela pût vous affliger. Oh! je vous le dis, si vous jetez un regard sur ces vers, quand je ne serai plus qu'un avec l'argile, ne répétez pas même mon pauvre nom; laissez au contraire votre amour s'éteindre avec ma vie, de peur que le sage monde ne scrute votre chagrin, et ne se moque de vous et de moi, quand je ne serai plus.

SONNET LXXIII.

Tu peux voir en moi ce temps de l'année, où les feuilles jaunies, plus ou moins rares, pendent de ces rameaux-con

From this vile world, with vilest worms to dwell :
Nay, if you read this line, remember not

The hand that writ it; for I love you so,

That I in your sweet thoughts would be forgot,
If thinking on me then should make you woe.
O if (I say) you look upon his verse,
When I perhaps compounded am with clay,
Do not so much as my poor name rehearse;
But let your love even with my life decay :
Lest the wise world should look into your moan,
And mock you with me after I am gone.

SONNET LXXIII.

That time of year thou may'st in me behold
When-yellow leaves, or none, or few, do hang

tre lesquels vient battre le froid; ombrages déjà nus et ruinés, à l'abri desquels, dernièrement, les oiseaux chantaient encore. En moi, tu vois le crépuscule qui, après le coucher du soleil, s'éteint à l'occident et que la noire nuit enlève peu à peu. La nuit; cette seconde mort qui plonge tout dans l'éternel repos! En moi, tu vois l'ardeur d'un feu qui repose maintenant sur les cendres de la jeunesse, comme sur le lit de mort où elle doit expirer, consumée par cela même qui la nourrissait. Tout cela que tu vois, c'est ce qui donne à ton amour plus de force pour aimer ardemment ce qu'il te faudra laisser avant peu !

SONNET LXXIV.

Mais ne te chagrine pas : quand cet arrêt cruel et sans

Upon those boughs which shake against the cold,
Bare ruin'd choirs, where late the sweet birds sang.
In me thou seest the twilight of such day

As after sun-set fadeth in the west;

Which by and by black night doth take away,
Death's second self, that seals up all in rest.
In me thou seest the glowing of such fire,
That on the ashes of his youth doth lie;
As the death-bed whereon it must expire,
Consum'd with that which it was nourish'd by.

This thou perceiv'st, which makes thy love more strong
To love that well which thou must leave ere long :

SONNET LXXIV.

But be contented; when that fell arrest

bail, m'aura emporté, ma vie conservera encore quelqu'intérêt qui se fixera dans ton souvenir. Lorsque tu reverras ces lignes, tu reverras la partie de moi-même qui t'est vraiment consacrée. La terre n'aura que la terre, ce qui lui revient de droit; mais mon esprit, la meilleure partie de moi-même, est à toi. Ainsi, une fois mon corps inanimé, tu n'auras perdu que la lie de la vie, la proie des vers, la lâche conquête du poignard d'un misérable; un objet trop vil enfin pour que tu t'en souviennes. Ce qui a de la valeur dans ce corps, est ce qu'il renferme : et cela reste avec toi.

Without all bail shall carry me away,
My life hath in this line some interest,
Which for memorial still with thee shall stay.
When thou reviewest this, thou dost review
The very part was consecrate to thee.

The earth can have, but earth, which is his duc :
My spirit is thine, the better part of me;
So then thou hast but lost the dregs of life,
The prey of worms, my body being dead;
The coward conquest of a wretch's knife,
Too base of thee to be remembered.

The worth of that, is that which it contains,
And that is this, and this with thee remains.

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