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LA VIE

DE LA

SŒUR BOURGEOIS.

TROISIEME

PARTIE,

Où il est traité de l'établissement des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame,

A VILLE-MARIE.

IL y avoit quatre ans que la Sour Bourgeois étoit à Ville-Marie, occupée à la pratique de toutes les vertus et bonnes œuvres dont nous venons de parler, lorsque pressée par l'ardeur de son zèle, et réfléchissant un jour sur les moyens qu'elle pourroit employer pour procurer plus efficacement la gloire de Dieu, et pour faire honorer Marie d'un culte plus parfait, elle se sentit vivement inspirée de faire bâtir une chapelle en l'honneur de la mère de Dieu, dans laquelle elle se proposoit d'assembler de temps en temps les jeunes filles, après lesquelles elles couroit, pour ainsi dire, sans cesse, de maison en maison, pour les iustruire et leur inspirer le goût de la piété envers la très Sainte Vierge et leur en insinuer les pratiques. Docile au mouvement de la grâce, et bien instruice ellemême des règles de la dépendance chrétienne, elle n'eut rien de plus pressé que d'aller communiquer son dessein au Révérend Père Pijart, Jésuite, son Directeur, et l'uni-` que Prêtre qui desservoit alors la petite paroisse de Ville-Marie. La Seur n'avoit aucune ressource humaine pour commencer cet ouvrage : le Père pour l'éprouver, lui en représenta et lui en exagéra même toutes les dif ficultés mais témoin et surpris de son zèle et de sa fermeté, il ne douta pas que ce ne fut l'œuvre de Dieu, et il approuva son dessein. Il n'en fallut pas d'avantage à

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la Sœur pour la mettre en mouvement. Dès lors elle commença à se flatter du succès d'une entreprise qu'elle ne faisoit que pour la gloire de Dieu, et dans laquelle il lui paroissoit qu'elle avoit l'approbation de Dieu même, puisqu'elle pouvoit agir sous les auspices de l'obéissance. Dans cette confiance elle alla sur le champ trouver Mr. de Maison-neuve pour lui faire confidence de son projet et obtenir de lui un terrain propre à l'exécution. Elle n'eut pas de peine à obtenir de ce grand serviteur de Marie, tout ce qu'elle lui demandoit; c'étoit le prendre par l'endroit le plus sensible de son cœur, que de lui parler de dévotion envers la très Sainte Vierge. Il connoissoit la ferveur de la Sour; et il lui donna toute liberté de choieir l'endroit et telle étendue de terrain qu'elle jugeroit à propos. Elle se fixa à l'endroit où est aujourd'hui PEglise de Bon-secours, qui étoit environ à 400 pas de la ville, selen l'étendue de l'enceinte qu'elle avoit alors; et pour la quantité de terrain dont elle croyoit avoir besoin, elle se borna à un espace de 40 pieds de long sur 30 de large, qu'elle jugea suffisant pour remplir le projet qu'elle avoit alors. Ayant donc ainsi formé le plan de sa bâtisse, elle s'intrigue de toute part, et partout elle trouve des cœurs bien disposés à se prêter à la bonne œuvre. Les uns apportent du bois, les autres charrient de la pierre, ceux-ci travaillent de leur métier, ceux-là servent de ma noeuvres, plusieurs y contribuent de leur bourse et donuent de l'argent dans peu de jours les fondemens sout creusés et remplis, et déjà en état de recevoir un vaste bâtiment de charpente qu'on se proposoit d'élever pardessus, et auquel on travailloit sans relâche.

Tout sembloit réussir au parfait: mais la Sœur n'en étoit pas encore jusqu'où elle s'étoit flattée ; c'étoit l'œuvre de Dieu, il lui falloit des contradictions pour la rendre plus parfaite ; et elle dut être d'autant plus sensible aux épreuves que Dieu lui ménageoit à cette occasion, qu'elles lui arrivèrent d'une part à laquelle, ce semble, elle devoit le moins s'attendre.

Il n'y avoit point encore alors d'Evêque à Québec, et Mr. L'abbé de Quélus, premier Supérieur du Séminaire

de St. Sulpice à Montréal, arriva de France précisément cette même année, avec la qualité de Grand-Vicaire de Monseigneur l'Archevêque de Rouen, au nom duque toute la jurisdiction spirituelle du Canada avoit été exercée jusqu'alors, Mr. de Quélus n'avoit jamais eu occasion de connoître la Seur Bourgeois ; c'étoit le premier Sulpicien, et pour la première fois, qu'il arrivoit en Canada, avec trois autres Prêtres de la même compagnie, pour commencer à former un Séminaire à Ville-Marie. Surpris de voir une fille, dont l'humilité cachoit la vertu et les talens, et qui dans sa simplicité étoit à la tête d'une entreprise de Religion, pour laquelle elle n'avoit autorité que d'un particulier subalterne, et dont il ne con noisoit pas encore lui-même tous les avantages, il défendit de continuer l'ouvrage. Docile à la voix du Supérieur, elle en demeura là sans replique, quoiqu'elle prévît fort bien ce qui arriva en effet, que tous les bois qu'elle avoit ramassés à grands frais, et avec beaucoup de peine, et qui, pour la plus grande partie, étoient déjà prêts à être employés, demeureroient à pure perte, et tomberoient en pouriture. La prudence humaine auroit regardé cet événement comme un très grand malheur ; la Sœur Bourgeois elle-même, quelque obéissante qu'elle fût ne put s'empêcher d'en gémir en secret: mais entre les mains de Dieu qui sait tirer le bien du mal, il devint la source et l'ocassion d'un beaucoup plus grand bien. Car cet ouvrage non seulement, comme nous le verrons bientôt, en devint beaucoup plus parfaiten lui-même, puisque au lieu d'une Chapelle de bois que la Sœur se proposoit, on en eut une de pierre: mais encore on eut la communauté toute entière des Sœurs de la Congrégation dans le Canada, à laquelle il paroit que l'événement dont nous parlons donna l'ocasion prochaine et immédiatte.

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Il ne paroit pas en effet qu'avant ce temps-là, la Sœur Bourgeois eut pensé à former une communauté si impor tante: mais se voyant alors fustrée de l'espérance qu'elle avoit eue, que par le moyen de sa Chapelle, elle pourroit suffire à l'instruction nécessaire aux jeunes personnes deson Boxe dans une ville qui n'étoit pas encore extrêmement

peuplée ; et sentant qu'il lui étoit impossible d'en soutenir l'ouvrage toute seule; elle pensa à s'associer des compagnes de bonne volonté, pour partager le travail avec elle. Pleine de cette idée et n'en trouvant pas sur les lieux, dans un pays naissant et où il n'y avoit point eu jusqu'alors d'instruction assez solide pour former de bonnes maîtresses, elle prit le parti d'en aller chercher dans l'ancienne France. Elle connoissoit dans la ville de Troyes, sa patrie, plusieurs filles vertueuses, du nombre de celles que Mr. Jandret, son ancien Directeur, avoit entrepris autrefois d'assembler en communauté pour un institut à peu près semblable à celui dont elle se proposoit vraisemblablement de faire revivre le projet, qui n'avoit pas réussi la première fois, par ce que le Seigneur avoit des desseins plus étendus pour sa gloire, et qu'il avoit destiné la Sœur Bourgeois pour les exécuter, et pour être la mère et la première pierre de cet établissement: aussi ne ́se reposa-t-elle sur personne que sur elle-même, pour aller inviter ses anciennes compagnes à venir prendre partà la moisson abondante qui s'ouvroit sous ses pas dans le Ca*nada.

On vit bien que cette démarche, qui selon les règles d'une prudence ordinaire, auroit pu être regardée comme téméraire, lui étoit inspirée de Dieu. Quelle apparence en effet pour une fille seule, sans bien et sans crédit, d'entreprendre de traverser et repasser les mers, pour aller engager plusieurs autres personnes d'un sexe timide à imiter cette sage folie, et à renoncer à toutes choses, pour venir se sacrifier dans un pays étranger, qui dans leur idée, et même souvent alors dans la réalité, dévoroit ses habitans par les guerres continuelles qu'on y avoit avec les Sauvages, dont plusieurs habitans de l'isle même de Montréal, et jusque dans leurs propres maisons, devenoient souvent la victime? mais la Sœur Bourgeois pleine de l'esprit saint qui l'anime,n'écoute que son zèle.Tels avoient été les Apôtres et les hommes Apostoliques qui dans la suite ont marché sur leurs traces. Elle part avec un pressentiment qu'elle réussira; et même peut-être avec une vue distincte et prophétique de tout ce qui lui arrivera. C'est ainsi au moins qu'on peut le conjecturer par

l'assurance positive qu'elle donna,avant son départ, à une personne en qui elle avoit beaucoup de confiance, que son voyage ne seroit que pour un an; ce qui arriva si exactement à la lettre qu'étant partie de Montréal au mois de Septembre 1658, elle y revint en effet l'année suivante avec des compagnes, jour pour jour au même temps qu'elle en étoit partie.

S'il avoit fallu à la Soeur Bourgeois du zèle et du courage pour entreprendre le voyage de France, il n'en fallu pas moine à celles qui se déterminèrent à la suivre en Canada. De quelle surprise en effet ne doit-on pas être saisi, lorsqu'on voit des filles, qui auroient pu vivre tranquilles dans les exercices de la piété chrétienne au centre de leurs familles, s'arracher courageusement à leurs proches et à leur patrie, pour s'attacher à une fille qui n'a rien que sa confiance en Dieu, et qui ne promet pour l'avenir que des humiliations, des peines et des travaux, à celles qui se mettront à sa suite? Telles furent les compagnes que la Soar Bourgeois s'associa en France, pour les conduire à Ville-Marie; dignes coopératrices du grand ouvrage que l'illustre fondatrice avoit entrepris, et qui annonçoient par avance tout le succès qu'on devoit en attendre pour la sanctification de plusieurs: car lorsqu'on commence par des démarches d'un tel éclat, que ne doit-on pas espérer du degré de perfection auquel on aura le bonheur de conduire l'ouvrage ? Il y en eut quatre principalement dont la Soeur Bourgeois fit la con. quête dans ce premier voyage; (nous la verrons encore dans la suite courir à de nouvelles recrues avec un semblable succès) Les noms de ces premières héroïnes chrétiennes méritent d'être transmis à la postérité: ce furent les Demoiselles Crolo, Raisin, Anne Hyoux, et Châtel; car on ne les appelloit pas encore du nom de Sœurs, qui ne leur fut donné que quelques années après, lorsqu'elles furent autorisées par lettres patentes à former une munauté; ce qui arriva en 1671.

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Laissons iti parler la Sœur Bourgeois dans les mémoires qu'elle nous a laissés. En 1658, dit-elle, cinq ans après ma première arrivée à Montréal, je me sentis pressée de

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