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C'est dans ce voyage dont nous venons de parler, que Mr. de Maison-neuve fit connaissance avec Mdlle. Marguerite Bourgeois, et emmena avec lui cette fille admirable, qui sans autre ressource que son courage et sa confiance en Dieu, dans le temps que presque toute la France sembloit se dégoûter du Canada, ne craignit pas de traverser les mers pour venir se consacrer spécialement à la gloire de Dieu et au culte de Marie. En quoi elle réussit si parfaitement, par ses éminentes vertus et par ses travaux, aurtout en la célébre institution de la comme nauté des filles de la Congrégation Notre-Dame, toutes entièrement consacrées au culte de Marie et à l'instruction des personnes de leur sexe, que son nom est devenu cher et respectable à toute la Colonie, qui en retire encore tous les jours les plus précieux avantages. C'est ici le lieu de la faire councître.

LA VIE

DE LA

Sœur Bourgeois.

SECONDE PARTIE,

Où il est traité de son Origine et de sa
Vocation en Canada.

LA Ville de Troyes en Champagne, l'une des plas

considérables de cette belle Province, fut la patrie de cette fille admirable, dont il est ici question de tracer le portrait. Elle naquit le jour du Vendredi Saint, 15 Avril, 1620. Elle cut pour Père Abraham Bourgeois, honnête Marchand de cette ville; et pour Mère, Guilleniette Garnier son Epouse, Si ses parens n'étoient pas distingués par leur naissance, ni par de grandes richesses, il paroit qu'ils l'étoient par leur religion et par leur probité. On peut en juger par le soin que, dans la condition médiocre où ils vivoient, ils prirent de l'éducation de leur famille qui fut assez nombreuse. Car on trouve

qu'ils eurent cinq enfans, deux garçons et trois filles. Celle dont nous parlons, fut le troisième enfant de cette famille; il il y avoit eu avant elle un garçon et une fille, et il y en eut un pareil nombre après. Au Sacrement de Baptême, qu'elle reçut dans l'Eglise de St. Jean de Troyes, sa paroisse, elle fut nommée Marguerite. ne cair rien de ce qui s'est passé à son sujet, pendant les premières années de son enfance: mais ce qu'on sait, "c'est qu'elle fut rise de bonne heure aux écoles Chré

On

tiennes, et qu'elle y apprit à lire et à écrire, et peut-être quelque chose de plus: mais surtout les vrais principes de la piété Chrétienne.

Le Seigneur qui avoit sur elle des desseins d'une sin gulière Providence, lui inspira de bonne heure les sentimens d'une vie laborieuse, accompagnée d'un grand zèle et d'une grande mortification, signes prématurés de ce qu'elle devoit être un jour. A peine avoit-elle atteint l'âge de dix ans, qu'on la voyoit parmi les jeunes filles de son âge, comme une Maîtresse en Israël, les assembler dans des endroits séparés du tumulte du monde, pour s'y entretenir avec elles, selon la portée de leur âge, des devoirs de leur état et des maximes de la pieté, et pour leur inspi rer le goût du travail, en s'appliquant toutes ensemble aux travaux convenables aux talens et à la condition de chacune d'entr'elles. C'étoit comme une petite communauté d'âmes innocentes, parmi lesquelles, Dieu sans doute prenoit ses plus chères complaisances. Il y a lieu de penser que ce fut au milieu des exercices de ces premiè res fonctions de zèle, qu'elle se disposa à faire, et qu'elle fit en effet sa première Communion. Quand on commence parlà dans la pratique de la vertu, il y a lieu d'espérer qu'on ira loin.

Ce que la petite Marguerite avoit d'abord fait par les sentimens d'une pieuse inclination, elle se trouva bientôt dans le cas de le faire par les principes du devoir et de l'oLéissance; car sa mère étant morte à peu près dans ce même temps, son père qui se trouvoit chargé des embarras d'un ménage, et qui voyoit avec complaisance dans sa fille Marguerite un certain air de gravité et de pru dence, accompagné d'une grande piété, pensa qu'il pouvoit lui-même prudemment se décharger sur elle des soins du ménage, et principalement de l'éducation d'un frère et d'une sœur qui étoient encore enfans dans la maison, et qui, quelque jeune quelle fût elle-même, étoient encore beaucoup au dessous de son âge. Car nous n'avons point de connoissance, de ce qu'étoient devenus le frère et la sœur ainés de cette famille. Peut-être étoient-ils établis : mais nous savons qu'en 1653, lorsqu'elle voulut partic

pour le Canada, son père étoit mort, et que les deux. derniers enfans étoient encore mineurs, et que c'est en leur faveur qu'elle se dépouilla de toutes les prétentions qu'elle pouvoit avoir dans la maison paternelle.

Nous ne dirons rien des vertus qu'elle pratiqua dans Femploi dissipant et laborieux dont elle étoit chargée.Ce ne seroit que par elle-même qu'on en auroit pu apprendre quelque chose, et son humilité ne lui a pas permis de s'expliquer sur ce point. Tout ce qu'on a pu savoir, et dont elle a souvent exagéré le récit dans l'amertume de sou âme, c'est que plus d'une fois, au milieu de la dissipati en de l'état où elle vivoit alors, elle avoit senti quelque complaisance, peut-être involontaire, en des ajustemens, qui sans être au-dessus de sa condition, ni capables, par le moindre soupçon d'immodestie, de ternir en aucune manière la pureté de son cœur, pouvoient piquer un peu sa vanité. Si ce fut une faute de sa part, elle eut soin de s'en punir bien sévèrement dans la suite; car on peut dire qu'elle porta la modestie et la simplicité dans ses ajustemens, comme à une espèce d'excès: mais quelque légères qu'on puisse supposer ces vanités, c'en étoit trop pour une âme sur qui le Seigneur avoit des des seins particuliers de grâce et de miséricorde, et qu'il vouloit toute à lui, et comme c'est par Marie qu'il communi-. que toujours ses grâces les plus choisies, ce fut de cette voie qu'il se servit pour attacher plus parfaitement et irrévocablement Mdlle. Bourgeois à son service.

Il y a apparence qu'elle avoit déjà depuis long-temps une grande dévotion envers cette mère de miséricorde. La grâce qu'elle en reçut, et dont nous allons parler, n'étoit pas sans doute un coup d'essai, et la circonstance dans la quelle elle la reçut, semble prouver qu'elle étoit déjà enrôlée dans ses confrèries, et surtout dans celle du St. Rosaire.

Fidèle sans doute à solemniser les fêtes de Marie, en l'année 1640, étant âgée de 20 ans, le premier Dimanche d'Octobre, jour consacré pour honorer la fête du St. Rosaire, qui dans tous les couvens de l'Ordre de St. Dominique instituteur de cette dévotion, se célè D

bre avec une pompe et une ferveur toute particulière, elle se trouva à cette solemnité pour assister à la procession que ces Religieux ont coutume de faire autour de leur cloître.

Il est alors permis au peuple d'entrer à la suite de la procession mais par une disposition particulière de la Providence, la foule se trouva si grande ce jour-la, que la procession fut obligée de prendre une autre route et de passer par des rues plus larges. Elle passa devant le portail de l'Eglise de Notre-Dame, qui est la Cathédrale de Troyes. Il y avoit sur ce portail une statue de Fierre de la très Sainte Vierge: Ce n'étoit pas la première fois que Mdlle. Bourgeois avoit vu cette image: mais en cette occasion, elle lui parut d'un éclat et d'une beauté tout extraordinaire; tes yeux en furent comme éblouis, et son cœur pénétré. Une faveur si extraordinaire ne tomba pas sur un esprit inattentif, ni sur un cœur infiděle. Elle fit des réflexions sérieuses sur cet evenement; elle comprit sans peine, et que Dieu demandoit d'elle quelque chose de plus que ce qu'elle avoit pratiqué jusqu'alors, et que Marie seroit désormais sa force et son appui.Pleine de ces idées, elle mit sur le champ la main à l'œuvre, et ne reconnaissant rien en elle-même de plus condam nable que ses légères vanités et un penchant naturel s'attirer l'estime des creatures, elle se dépouilla pour toujours de cette double foiblesse, en ne voulant plus porter à l'avenir qu'un habit des plus communs dans sa matière et dans sa forme, et d'une couleur brune cu noire, sans soie, ni autres ornemens inutiles, et en se vouant aux humiliations aux quelles nous la verrons bientôt exposée, sous le nom de Sœur Bourgeois, qui sera le seul que nous lui donnerons dans la suite.

a

Dans le dessein où elle étoit de se donner entièrement à Dieu, sous les auspices de la très Sainte Vierge, elle pensa d'abord à se faire Religieuse dans quelque. communauté spécialement consacrée à la Mère de Dieu. Il y avoit à Troyes un couvent de Carmélites de la reforme de Ste. Thérèse. Tout le monde sait que cet ordre fait une très spécial profession d'honorer Marie, sous le tre de Notre-Dame du Mont-Carmel, et que c'est com

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