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issue d'une honnête famille de Langres, où elle avoit passé sa jeunesse dans les pratiques d'une piété distinguée. Elle ignoroit absolument, ou aumoins ne sçavoit que très confusément, les mouvemens qui se faisoient en France pour l'établissement du Canada. Elle se sentit vivement pres sée de venir y passer le reste de ses jours, dans quelque endroit consacré à la très sainte Vierge, selon les ouvertures que lui fourniroit la Providence. Elle proposa ses vues à son confesseur, qui ne sachant pas lui-même qu'on projettoit un établissement à Montréal, la traita de visionaire mais comme il vit qu'elle persistoit dans son dessein, il prit le parti de l'adresser à Paris à des personnes plus éclairées que lui. Ceux à qui elle fut adressée n'eurent pas de peine à reconnoître quelque chose de merveilleux dans cette vocation. On l'introduisit à l'Hô tel de Bullion, et elle fut présentée à Mde. la Duchesse. Cette Dame qui étoit déjà entrée pour beaucoup dans l'établissement de Montréal, goûta fort la Demoiselle, elle en fit pendant quelque temps comme sa confidente; elle admiroit également en elle, les ressorts de la Providence, et la vertu et le courage de la fille. Elle l'invita à être deplus en plus fidèle à sa vocation; et comme le temps pressoit pour les embarquemens; après lui avoir donné une bourse de vingt inille livres pour l'employer à ses besoins, elle lui fit promettre, que dans la suite elle s'addresseroit à elle, pour l'exécution des bonnes œuvres qu'elle pourroit entreprendre; et en la congédiant, elle la fit partir pour la Rochelle, à l'adresse de Mr. de la Dauversière. Ce Mr. pour éprouver le zèle et le courage de la postulante, lui représenta la difficulté de l'entreprise pour une fille seule; et en lui parlant du projet de l'établissement de Montréal, il lui dit: que selon toutes les apparences, l'on ne bâtiroit pas Ville-Marie, qu'il n'y eût bien du sang répandu; qu'on auroit à combattre bien des nations Sauvages; et qu'elle seroit dans le cas de servir seule d'Hospitalière aux blessés et aux malades: mais comme il vit que ce discours ne servoit qu'à augmenter. son zèle, et sa ferveur, il bénit la Providence, et l'admit pour l'embarquement. Il ne craignit pas même de l'ad

mettre au nombre des Associés; et ce fut en effet dans la suite une fille de confiance, et l'instrument dout Dien se servit pour l'établissement de l'Hôtel-Dieu St. Joseph à Ville-Marie.

Tous les événemens dont nous venons de parler ayant retardé l'embarquement, on ne put partir de la Rochelle que vers la fin du mois de Juin, et ce ne fut que vers la fin de Septembre qu'on arriva à Québec. La saison étoit trop avancée pour entreprendre de monter tout de suite à Montréal, où il faudroit hiverner dans un endroit où il n'y avoit point encore d'habitation ni de fort, et où l'on seroit exposé à découvert aux caprices et aux incursions des Sauvages. On prit le parti de rester l'hiver à Québec. Mr. le Chevalier de Montmagni, qui en étoit Gouverneur, reçut ce renfort de colonie avec de grands empressemens; mais il avoit ses desseins particuliers, qui auroient été très avantageux à l'établissement de Québec, et tout à fait contraires à celui de Montréal. Il pensoit, que dans une colonie aussi foible que l'étoit alors le Canada, il n'étoit pas à propos d'en diviser les forces; et qu'ainsi, au lieu de penser à établir Montréal, dont il jugeoit le succès impossible, vu la proximité des Sauvages et leurs continuelles incursions contre les François, il conviendroit beaucoup mieux qu'on se fixât à l'islé d'Orléaus, encore déserte, et où l'on se roit plus à portée de se réunir en cas d'attaque. Cependant Mr. de Montmagni, en bon politique, ne se pressa pas de déclarer son projet; il attendit jusqu'après le départ des vaisseaux, qui devoient repasser en Europe: mais à peine étoient-ils tous partis, qu'il convoqua une assemblée générale, pour y manifester son projet. n'eut pas de peine à le faire goûter par sa garnison et par les habitans de Québec, qui y étoient tous également intéressés mais la fermeté de Mr. de Maison-neuve refiveraa toute ceste intrigue. Appellé dans l'assemblée, il déclara hautement qu'il étoit surpris qu'on mît en délibération une affaire qui le regardoit principalement, et dont on lui avoit fait mystère jusqu'alors; qu'il n'étoit pas question de l'isle d'Orléans; qu'il étoit venu pour jetter C

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les fondemens d'une nouvelle ville, qui devoit être cos sacrée à la Mère de Dieu, dans l'isle de Montréal ; qu'il étoit bien éloigné de vouloir prendre le change qu'en luí proposoit; et que, dût-il y perdre la vie, il exécuteroit sa commission. Il n'étoit pas possille de résister à la force de ce discours, et sans conclure autre chose, l'assemblée se sépara.

Mr. de Maison-neuve se contenta alors d'envoyer quelques défricheurs à Montréal, pour y abattre quelques arbres pendant l'hiver, et y préparer une place de débarquement pour le printemps suivant: pour lui, avec le reste de son monde, il passa assez tranquillement l'hiver à Québec, sous des tentes, occupé des préparatifs qu'il avoit à faire pour ne point perdre de temps, dès que la belle saison sercit arrivée. En effet, cès le conmencement de Mai, lorsque la rivière fut libre pour la navigation, toute la troupe se mit en campagne. Mr. de Montmagni voulut bien être de la partie; les Fères Simont et Ponect, Jésuites, Missjonnaites à Quebec, furent aussi invités par Mr. de Maison-neuve, pour venir faire la bénédiction du lieu destiné pour la ville, et pour l'Eglise qu'on se proposoit de bâtir, et servir ensuite de Missionnaires et de Culés à tous ces nouveaux habitans. Comme il n'y avoit point encore de chemin, ai presque aucun établissement dans tout le cours de la rivière de Québec à Montréal, le trajet fut long et difficile. Ce ne fut que le 17 du mois de Mai qu'on arriva à l'embouchure de la petile rivière, qui étoit le lieu marqué pour l'établissement. L'on débarqua sur la Pointe, qui dans la suite a été nommée, l'OINTE A CALIERES, du nom de Mr. de Calières, troisième Gouverneur de Montréal, qui dans son temps, y it construire un fort dont il fit sa demeure. dressa promptement une tente, sous laquelle on célébra la Messe pour la première fois, et on y laissa le St. Sacrement, qui depuis ce moment, a toujours été conservé sans interruption à Ville-Marie. Mr. de Maison-neuve assigna à chaque famille sur le terrein défriché au tour de la tente du St. Saciement, une place pour élever chacun la sienne, en attendant qu'en poussant les défricbemens, chacun pût à son gré, se bátur des maisons plus

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commodes, Pour lui, il fit bâtir bientôt après, la maison qui a été long temps connue sous le nom d'ancien Séminaire, à la basse-ville, et qui appartient aujourd'hui à Mr. le Comte Dupré. I assigna à Mdlle. Mance, pour bâtir l'Hôpital qu'elle projettoit, le terrein où on le voit encore aujourd'hui, et des deniers qu'elle avoit reçus de Mde. de Bullion, elle fit bâtir une maison assez vasteTM pour répondre à son dessein; et auprès de cette maison, les nouveaux habitans bâtirent une Eglise, qui servit longtemps de Chapelle aux malades, et de Paroisse à la Ville. Comme tous ces bâtimens ne furent d'abord que de bois, qu'on avoit sur les lieux en abondance, ils furent bientôt achevés; et le 15 du mois d'Août de cette même année, 1642, fête de l'Assomption de Marie, le très St. Sacrement, de la tente où il avoit reposé jusqu'alors, fut solemnellement transporté dans l'Eglise, qui avoit été préparée. Cette première fête de la très Ste. Vierge se célébra avec une splendeur et un concours au quel on ne devoit pas s'attendre, la curiosité y ayant attiré un grand nombre de Sauvages de tous les environs, qui moins accoutu més alors à nos solemnités qu'ils ne le sont aujourd'hui, et plus édifiés de la modestie et de la religion de ces premiers François, étoient dans une admiration qu'il n'est pas aisé d'exprimer.

Pendant que Mr. de Maison-neuve étoit ainsi occupé à régler avec succès les affaires de sa nouvelle peuplade, il reçut le renfort d'une nouvelle recrue, qui n'étoit pas si nombreuse que la première, mais qui étoit composée de personnes également bien choisies. Elle étoit commandée par Mr. Louis d'Ailleboût de Musseau,homme d'une piété éminente, et l'un des Associés à la Compagnie de Montréal. Avec ce nouveau secours, Mr. de Maisonreuve entreprit de donner une enceinte à sa nouvelle ville, et de l'entourrer de grands pieux en manière de fort, pour se mettre à l'abri des incursions subites que l'on avoit à craindre de la part des Sauvages. Il ne pré. tendit pas cependant lui donner alors toute l'étendue qu'elle a aujourd'hui ; ce n'étoit qu'un carré long, à pren. dre depuis le terrein qu'occupe aujourd'hui le Séminaire

jusqu'à celui qu'occupoit l'ancien Collège inclusivement, qui devoit être fortifié par de petits bastions de distance en distance et dans les quatre coins.

Mr. de Montmagni informé de ce projet, ou plutôt des travaux qu'on avoit déjà faits, pensa qu'il étoit de son devoir d'y mettre opposition; mais Mr. de Maisonneuve ne se rebuta pas. Pour se mettre en règle, il prit le parti de repasser en Europe cette même année par le retour des vaisseaux, et de laisser pendant son absence, le commandement de la place à Mr. D'ailleboût, avec la qualité de Lieutenant-Gouverneur, dont il s'acquitta à la satisfaction de tous les habitans. En arrivant à Paris,

Mr. de Maison-neuve rendit compte au Roi et à la Com pagnie, de la situation de toutes choses. On y fut surpris de ses succès, et on approuva sa conduite; et le Roi informé des obstacles qu'il avoit éprouvés plus d'une fois de la part de Mr. de Montmagni, lui donna à l'adresse de ce Gouverneur, la lettre dont-suit la teneur. "Mr. de Mont"magni, ayant été particulièrement informé par ceux "de la Société de Montréal en la Nouvelle France, que "leur dessein est de s'établir en la dite isle, pour tra "vailler à la conversion des Sauvages, je leur ai très "volontiers accordé, sur la très humble supplication qu'ils "n'en ont faite, la permission d'achever à leurs dépens, "un petit fort qu'ils ont commencé dans la dite isle; de "le munir d'artillerie et d'autres choses nécessaires, "tant pour leur sureté, que pour éviter la furie des Sau

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vages; c'est pourquoi j'ai bien voulu vous écrire cette "lettre pour vous dire, que je désire que vous assistiez "et favorisiez en tout ce que vous pourrez, le Sieur de "Maison-neuve, que nous avons nommé au Gouverne"ment et conduite d'un si bon dessein; en sorte qu'il ne "leur soit apporté aucun trouble ni empêchement. 21 "Février, 1643, signé, Louis."

Munis de cette lettre, Mr. de Maison-neuve et Mr. de la Dauversière travaillèrent de concert à Paris, à préparer un troisième armement et une nouvelle recrue; ce qu'ils exécutèrent avec le même succès que les précédentes. Elle étoit nombreuse et bien choisie. Mr. de Maison-neuve s'embarqua à la tête; la navigation fut

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