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CONCLUSION.

EN lisant cette vie, on n'a pu s'empêcher d'admirer ce que la Soeur Bourgeois a entrepris et exécuté. Une jeune fille, du fonds de la Champagne, forme le projet, étonnant alors, d'aller en Canada, parce qu'il s'y trouve une ville' qui porte le nom de Marie, et dans la vue d'apprendre la Religion aux personnes de son sexe, de les former à la vertu, de leur donner les connoissances propres à leur état. Mais que d'obstacles doivent s'offrir à ses regards? Entreprendre un voyage de plusieurs mille lieues, traverser des mers immenses et alors peu connues, aller habiter presqu'au milieu des forêts, s'exposer aux fureurs de Sauvages cruels, qui menacent sans cesse les foibles remparts de VilleMarie! Et quels moyens a-t-elle pour vaincre ces obstacles insurmontables? A-t-elle du crédit ? Elle n'est appuyée de personne. A-t-elle de la naissance ? C'est une fille obscure dans la ville qui lui a donné le jour. A-t-elle de la fortune? Elle est dépourvue de tout bien: le peu qu'elle a, elle le donne avant de partir. Les idées humaines ne voyent que témérité dans cette entreprise; si elle réussit, ce ne sera pas à l'homme qu'elle devra le succès, et il sera pourtant au-delà de toute espérance.

Le Ciel avoit donné à la jeune Marguerite cette force d'âme nécessaire aux grands desseins, cette noble intrépidité qui s'élève audessus des périls, cette fermeté que les obstacles ne font qu'irriter, cet esprit abondant en ressources dans les occasions imprévues, et surtout cette piété sublime qui est utile

à tout.

Poussée par le mouvement de la grace vers le Canada, la jeune Marguerite prie, eile consulte, elle entend la voix de ses Supérieurs, elle entend la voix du Ciel. Rien ne l'arrête; elle part pour un nouveau monde qui reclame les ardeurs de son zèle. Déjà elle avoit fait l'essai de ce zèle, dans un âge bien tendre. Elle n'avoit que dix ans, et elle aimoit à s'entourer des enfans, pour les former à la vertu. Bientôt elle établit une Congrégation de filles, qui se consacroient à l'instruction et à une vie plus sainte. A peine est-elle sur le vaisseau qui la porte dans des régions si éloignées, que son zèle s'y déploie. Elle y sanctifie l'équipage par la prière, par de saintes lectures, par des paroles touchantes. Plusieurs soldats tombent malades, elle leur rend tous les soins de la charité; et huit meurent chrétiennement dans ses bras.

Elle arrive enfin à la terre désirée; elle ne trouve pas à s'y loger: a peine lui est-il donné d'avoir une étable; et cette ressemblance avec le Sauveur qui aimoit tant les enfans, est pour elle du plus heureux augure. C'est là qu'elle ouvre les écoles; c'est de là qu'elle va consoler les malades, soulager les pauvres; point de bonnes œuvres, dont elle ne soit l'âme. Mais la moisson augmente, et les ouvriers manquent. Transportée de zèle, les mers qu'elle a traversées, elle les traversera encore, pour aller chercher des aides à sa charité. Elle amène ces filles généreuses; et bientôt elle partira encore pour obtenir des Lettres Patentes qui consolident Son établissement. C'est à la cour d'un grand monarque, c'est au camp même, que cette pauvre fille sollicite cette grace, et l'obtient. De retour à sa

ville chérie, elle veut mettre le dernier sçeau à son œuvre, par des règles sures; on la verra les aller chercher à travers les orages et les écueils. Cent fois elle traverseroit le fier Océan, s'il le falloit pour accomplir les desseins de Dieu sur elle.

Un zèle si courageux est béni du Ciel: l'assem blée de ces filles célestes se forme. Une foule de Vierges vennent se ranger sous la conduite de la Sœur Bourgeois. Une maison simple, mais commode, est élevée pour les recevoir. Les moyens de subsistance suffisent à leur frugalité. La capitale, les campagnes obtiennent de ces établissemens précieux. En peu d'années tout le Canada éprouve les heureuses influences de ce nouveau secours, qui, depuis plus d'un siècle, ne cesse de répandre parmi nous la connoissance de la Religion et la plus tendre piété. Avide de toute sorte de biens, elle établit, au moins pour quelque-temps, une maison de Providence, qui recueille les filles jeunes et pauvres, et leur conserve ainsi la vie et la vertu. Et toutes ces œuvres étonnantes, c'est une pauvre fille, sans ressource humaine, qui les a opérées.

Mais sa confiance, si elle n'étoit pas dans les hommes, n'en étoit que plus ferme dans la Providence. Avec cette confiance, sans argent ni crédit, elle ose entreprendre un édifice vaste pour ses Sœurs et leurs élèves; et cet édifice s'achève. Elle veut faire bâtir une Eglise, et l'Eglise est construite. Elle est dans le besoin, et le Ciel lui envoie, du fond du Canada, un débiteur qui la rencontre en France, et lui paie sa dette. On veut de ses filles à Québec, et comme à Montréal, elle n'y trouve qu'une étable; mais elle a l'espoir d'une demeure moins pénible. Ses espérances presqu'aussitôt sont injustement contestées, elle les cède; et une main inconnue lui donne la somme pour tout obtenir.

Pourquoi ne parler que de sa confiance en Dieu, quand elle a réuni toutes les vertus dans un dégré éminent? Elle fut pure; jeune encore, elle aima la la chasteté, jusqu'à en faire le vœeu. Elle conserva cette vertu dans les dangers de tant de voyages. Seule, au milieu des soldats, elle sut se faire respecter.

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La mortification fut le caractère de son âme. Elle ne sembloit vivre, que pour affliger son corps. Elle mangeoit toujours, ou trop chaud, ou trop froid. Elle détrempoit sa nourriture dans l'eau, et elle la mêloit avec la cendre. Elle prenoit toujours une posture penible; elle couchoit sur la terre nue, un billot étoit son oreiller, et encore elle n'y prenoit qu'un léger sommeil. Elle s'éloignoit toujours du feu dans l'hiver. Et les disciplines, les haires, les bonnêts hérissés depointes! On ne sauroit se figurer la haine qu'elle portoit à son corps. Par un effet de cet esprit de mortification, elle avoit fait dans sa jeunesse, le vœu de pauvreté; elle ne cessoit de le pratiquer. Dans ses voyages elle couchoit sur les cordages, elle buvoit de l'eau corrompue, et encore une seule fois le jour, et dans une pauvre tasse de cuir. L'Evêque l'appelle-t-il à Québec: elle part à pied, dans l'hiver, se trainant sur la glace, la neige, et dans l'eau. Quand elle fait quelque établissement, c'est elle-même qui en porte les meubles sur ses épaules. Aussi comme Salomon, elle dit au Seigneur: je ne vous demande pour la communauté, ni biens, ni honneurs, ni plaisirs en cette vie.

Quelle ne fut pas sa résignation? Tout est prêt pour la bâtisse de Bon-secours; rien de plus utile que cette œuvre; et si l'on diffère, tous les préparatifs seront perdus. Mais les Supérieurs lui défendent de continuer à l'instant, elle obéit, sans plainte ni murmure. L'Evêque refuse, pendant plusieurs années, d'approuver ses règles, qui sont pourtant un chef-d'œuvre de sagesse; et la Sœur attend en silence les ordres d'en haut. Elle perd tout dans un incendie, sa maison, ses meubles ; deux de ses Sœurs les plus précieuses, sa propre nièce, consumées par les flammes: et sa résignation ne se dément pas. Elle éprouve la peine la plus cruelle,et pendant tant d'années, elle secroit réprouvée ;

ni ses réflexions, ni ses prières, ni les communions, ni les avis de l'homme de Dieu, rien ne peut rassu rer son âme agitée: et toujours soumise, elle boit le calice jusqu'à la lie, sans consolation, sans adoucissement. Ce qui l'afflige le plus dans sa peine, ce ne sont pas les feux eternels auxquels elle se croit condamnée; c'est d'être réduite à haïr son Dieu. Si elle ne peut l'aimer dans l'éternité, du moins qu'elle l'aime le reste de sa vie !

Sans doute l'humilité n'aura pas manqué à tant de vertus. Après avoir créé l'institut; après l'avoir établi sur des fondemens solides; après avoir formé des Sœurs pleines de son esprit; après avoir rempli la province de ses travaux, des effets admirables de son zèle; elle ne désire plus que d'être déchargée de toute fonction honorable, que d'être la dernière de toutes ses Soeurs, et de n'avoir plus de vie que pour obéir et être humiliée. Ses désirs sont accomplis; et c'est dans cet état d'obscurité et d'humilité, la première dans les pratiques de la règle et de la simplicité, qu'elle passe les dernières années de sa vie. Toutes la respectent et se rappellent ce qu'elles lui doivent ; et elle ne se rappelle elle-même que la multitude de ses infidélités.

Ces vertus, n'en doutons pas, elle les avoit puisées dans la dévotion à Marie. Elle s'y consacra dès sa plus tendre enfance. Dès lors elle. unissoit ses actions, ses jeûnes, aux actions et aux jeûnes de Marie. Si elle voyoit à la tête des établissemens Religieux Marthe et sa Soeur, elle voyoit Marie à la tête de tous; elle aimoit à se la représenter instruisant les enfans, les jeunes Vierges, et contribuant ainsi à former l'Eglise de Jésus-Christ. Elle vient en Canada,pour y demeurer dans une ville du nom de Marie; pour y établir une Congrégation sous le nom de Marie, où les meubles, les maisons, les personnes portent les livrées de Marie; et dont Marie soit elle-même choisie, pour être la Supérieure perpétuelle.

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