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Ainsi, lorsque éclata la guerre de la sécession aux Etats-Unis d'Amérique, le gouvernement publia à la date du 30 juin 1861 une déclaration par laquelle il rangeait parmi la contrebande de guerre tous les objets travaillés d'avance qui, eu égard aux moyens de guerre de l'époque, peuvent être utilisés immédiatement pour faire la guerre »; et le 16 février 1864, un règlement, après l'énumération d'une certaine série d'articles prohibés, réputait contrebande de guerre « tous les objets immédiatement propres aux usages de la guerre ».

Le 3 mars 1864, le gouvernement austro-hongrois rendait une ordonnance rédigée dans le même sens que le règlement danois, sauf qu'elle excepte de la contrebande la quantité nécessaire à la défense de l'équipage du navire.

Un règlement prussien publié vers la même époque excepte les provisions « à l'usage du navire même ». Nous devons d'ailleurs faire observer ici qu'il est généralement admis que les armes et les munitions que le navire neutre transporte pour ses propres besoins ne sont pas regardées comme contrebande de guerre.

Une instruction italienne du 20 juin 1866 (article 8) ajoute à l'énumération des objets de contrebande les dépêches et la correspondance officielle, «< généralement tout ce qui sans manipulation peut servir à l'armement immédiat sur mer ou sur terre » ; et par un traité conclu avec les Etats-Unis le 26 février 1871, l'Italie prohibe comme contrebande de guerre « toute espèce d'armes ct d'instruments en fer, en acier et en cuivre, et tous autres matériaux manufacturés, préparés et faits expressément pour la guerre

sur terre ou sur mer >>.

D'après le règlement russe de 1869, on entend par contrebande les objets à désigner d'avance à l'ennemi, propres à le combattre immédiatement; il faut ajouter la correspondance officielle de l'Etat ennemi, les troupes transportées sur les navires neutres et destinées à l'ennemi; et un ukase du 15 mai 1877 résume l'énumération des objets de contrebande par ces mots : << en général tous les objets destinés aux troupes de terre ou de

mer ».

L'instruction française du 25 juillet 1870 comprend dans la contrebande une certaine liste d'objets et tous instruments quelconques fabriqués à l'usage de la guerre; elle ordonne d'arrêter les bâtiments marchands français, ainsi que les neutres, transportant pour le compte de l'ennemi des objets de contre

absolue, et

convention

bande, des dépêches officielles des troupes de terre ou de mer*. § 2739. De ce qui précède, on peut conclure qu'il existe deux Contrebande sortes de contrebande de guerre : la contrebande absolue, c'est-à- contrebande dire généralement reconnue en principe comme telle par l'accord nelle. public ou tacite des puissances, partout établie sur des bases à peu près immuables et dans des limites constantes, et la contrebande conventionnelle ou celle qui est dénoncée par des conventions ou des déclarations particulières, des règlements spéciaux, variables par conséquent suivant les circonstances, les besoins, les engagements mutuels des partics.

Cette distinction a été sanctionnée par la pratique et par des traités entre différentes nations; nous mentionnerons notamment le premier traité de commerce conclu entre l'Angleterre et les EtatsUnis, lequel remonte au 4 novembre 1786.

La liste de la contrebande absolue comprise dans ce traité offre cela de remarquable qu'elle s'est maintenue depuis presque sans aucune variante, et nous la retrouvons à peu près dans les mêmes termes dans le traité de commerce du 17 août 1827 entre l'Angleterre et le Brésil, dont l'article 18 est ainsi conçu:

« Afin de régulariser ce qui doit être à l'avenir réputé contrebande de guerre, il est convenu que sous ladite dénomination seront compris toutes les armes et les instruments servant aux fins de la guerre par terre ou par mer, tels que canons, mousquets, mortiers, pétards, bombes, grenades, gargousses, saucissons, affùts de canon, appuis de mousquets, bandoulières, poudre, mèches, salpêtre, boulets, piques, épées, casques, cuirasses, hauberts, lances, javelots, harnais de chevaux, fourreaux, ceinturons, et en général tous autres accessoires de guerre, ainsi que bois pour construction de navires, goudron ou résine, cuivre en feuilles, voiles, chanvre et cordages, et généralement tout ce qui peut servir directement à l'équipement de navires, le fer non forgé et les planches de sapin étant seuls exceptés; tous les articles ci-dessus sont par les présents déclarés être objets de contrebande toutes les fois qu'on tente de les porter à un ennemi. » Le changement qu'il y a à signaler entre ce traité et celui de 1796 avec les Etats-Unis consiste dans la substitution des mots : « tout ce qui peut servir directement à l'équipement de navires de guerre », au lieu des mots : a tout ce qui peut servir directement à l'équipement de navires ».

Funck Brentano et Sorel, Précis, p. 417; Bulmerincq, Revue de droit int., 1879, p. 612; Bluntschli, § 804.

Classification

des marchan

dises ou articles de cun

La dernière partie du même article du traité entre les Etats-Unis et l'Angleterre reconnaît les provisions et d'autres articles comme devenant contrebande dans certains cas en vertu du droit des gens existant:

« Et attendu que la difficulté de s'entendre sur les cas précis où sculs les provisions et autres articles qui ne sont pas en général de contrebande peuvent être regardés comme en étant rend opportun de se prémunir contre les inconvénients et les malentendus qui pourraient en provenir, il est de plus convenu que toutes les fois que ces articles devenant ainsi de contrebande selon le droit des gens existant seront pour cette raison saisis, ils ne scront pas confisqués; mais leurs propriétaires seront promptement et complètement indemnisés, et les capteurs, ou en leur absence le gouvernement sous l'autorité duquel ils agissent, paieront aux capitaines ou aux armateurs dudit navire la valeur totale de tous les articles avec un bénéfice mercantile raisonnable, ainsi que le fret et aussi les dommages causés par une telle séquestration *. »

§ 2740. Dans l'impossibilité de déterminer avec précision et comme règle générale de droit les marchandises dont le trafic comporte des trebande. restrictions absolues en temps de guerre, nous essaierons du moins d'énumérer ici celles qui sont le plus habituellement classées parmi les articles de contrebande **.

Blé, farine et autres substances mentaires.

§ 2741. En commençant par les marchandises d'un usage douteux, ali usus ancipitis, nous remarquons que, se fondant toujours sur la prétendue nécessité de faire à l'ennemi le plus de mal possible, on a regardé comme trafic illicite celui du blé, de la farine et en général de toutes les denrées alimentaires. En réalité pourtant, sauf les cas de blocus ou d'investissement de places fortes, cette pratique n'est guère suivie que pour combattre des révolutions intestines contre des insurgés n'ayant pas à proprement parler le titre de belligérants ou d'ennemis étrangers; car ni le caractère des guerres actuelles ni le mode selon lequel se poursuivent de nos jours les opérations militaires ne justifient, du moins chez les peuples civilisés, l'adoption de telles mesures extrêmes. Ainsi, lorsque le roi de Danemark Frédéric IV voulut empêcher l'importation de vivres en Suède, toutes les nations, y compris l'Angleterre, élevèrent de vives protestations. Nous nous croyons fondés à poser en principe

* Twiss, War, § 145.

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Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 127 et seq.; Heffter, § 160; Duer,

lect. 7, § 12; Halleck, ch. XXIV, § 19; Manning, pp. 301, 302.

31 que, sauf l'exception de blocus ou de siège, le commerce des denrées alimentaires reste essentiellement libre en temps de guerre *.

§ 2742. Les arguments que l'on a fait valoir pour interdire en temps de guerre les envois d'espèces monnayées et de métaux précieux sont les mêmes que ceux qui ont été invoqués pour restreindre le commerce des vivres. Envisagée dans son rôle économique, la monnaie n'est que l'instrument général des échanges et échappe dès lors à l'application des lois de la guerre.

D'un autre côté, classer les métaux précieux parmi les articles de contrebande revient à conférer des pouvoirs illimités aux belligérants et à reconnaître que la guerre sape par la base jusqu'aux relations internationales que les combattants entretiennent avec les

neutres.

Il va sans dire néanmoins que le principe général que nous énonçons ici doit se coordonner avec les règles d'une sévère neutralité, et cesserait d'être applicable, si un pays resté en dehors de la lutte prétendait s'en prévaloir pour alimenter la guerre en fournissant à l'un ou à l'autre des belligérants des subsides déguisés sous forme d'emprunt, d'envois d'espèces monnayées ou de lingots **.

§ 2743. C'est la doctrine qu'on doit appliquer à l'emprunt contracté en 1832 par le prince portugais Dom Miguel, expressément pour soutenir son usurpation contre le gouvernement légitime de la reine Dona Maria. Il ressort en effet des faits que nous avons exposés (voir tome I, livre II, Souveraineté des Etats), que les souscripteurs de l'emprunt savaient très bien qu'en prêtant à Dom Miguel ils fournissaient des fonds à l'un des belligérants en présence et que ces fonds, espèces ou valeurs, par cette raison que l'argent est le nerf de la guerre, étaient de bonne prise, s'ils venaient à tomber dans les mains de l'autre belligérant.

* Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 130-134; Ortolan, Règles, t. II, p. 191; Pistoye et Duverdy, Truité, tit. 6, ch. II, sect. 3; Massé, t. I, § 208; Duer, lect. 7, §§ 15-17; Moseley, p. 87; Hosack, The rights, pp. 20, 21; Kent, Com., v. I, pp. 140-143; Manning, pp. 293 et seq.; Halleck, ch. XXIV, § 24; Heffter, § 160; Bello, pte. 2, cap. vIII, § 4; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. xv; Azuni, t. II, ch. 11, art. 2, § 29; Lampredi, pte. 1, §§ 7 et 9; Grotius, Le droit, liv. III, ch. 1, § 5; Heineccius, De navibus, §§ 8, 9; Hubner, pte. 2, ch. 1; Loccenius, tit. 1, cap. IV, n° 9; Hall, International law, p. 584; Diaz Covarrubias, Bluntschli, § 819; Perels, Droit maritime, p. 277.

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Hautefeuille, Des droils, t. II, pp, 129, 130; Massé, t. I, § 208; Heffter, § 160; Phillimore, Com., v. III, § 265; Moseley, pp. 73-76; Manning, pp. 285-287.

Métaux précieux.

Emprunt Dom Miguel. 1832.

Emprunt Morgan. 1870.

et

Toiles draps pour le

troupes.

Le gouvernement de la reine, en s'en emparant, n'avait donc exercé qu'un droit de main-mise qu'on ne saurait lui contester, et ces fonds, une fois en sa possession, étaient devenus sa propriété légitime, à l'abri de toute revendication, puisqu'il les avait saisis sur un adversaire qui les destinait à le combattre.

C'est en vertu de la même doctrine que le parquet de Berlin intenta, en 1870, une action contre certains banquiers qui avaient souscrit à l'emprunt français dit Morgan.

§ 2744. Hubner admet que les toiles et les draps destinés à l'havêtement des billement des troupes soient classés parmi les articles prohibés; faute de pouvoir citer aucun traité qui leur attribue ce caractère, il appuie son opinion non sur la nature propre de ces deux produits, mais uniquement sur leur destination et sur celle du navire qui les transporte. Nous ne saurions partager cette manière de voir, parce que les effets d'habillement ne peuvent être considérés comme des instruments nécessaires à la guerre, qu'ils sont étrangers à la véritable notion de la contrebande, et que le fait accidentel de leur transport ne saurait avoir pour conséquence d'altérer leur caractère essentiellement pacifique et licite *.

Munitions navales.

Opinion

des auteurs: Hautefeuille.

§ 2745. Parmi les questions relatives à la contrebande de guerre, il en est peu qui aient soulevé autant de débats que le caractère licite ou illicite des bois de construction, du chanvre, de la laine, du goudron, du fer, du cuivre en feuilles, de la poix, de la résine, etc.

§ 2746. « Les munitions navales, dit Hautefeuille, ne sont pas des instruments de guerre; elles ne peuvent en aucun cas être employées à la guerre dans l'état où le commerce les fournit au belligérant. Pour devenir de quelque utilité dans les opérations militaires, il est indispensable qu'elles soient mises en œuvre par le nouveau possesseur; que, travaillées et réunies ensemble pour former un scul tout complexe, elles perdent complètement leur forme primitive. Elles ne possèdent donc pas le second caractère spécial de la contrebande. La première ne se rencontre pas davantage dans ces matériaux. Il est en effet évident que les bois de construction, le fer brut, le cuivre en feuilles, le chanvre, les toiles à voiles ne sont pas propres à l'attaque ou à la défense, qu'ils ne peuvent en aucun cas servir à faire une blessure à l'ennemi ni être employés contre lui comme moyen direct de nuire. Les matériaux propres

Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 134-136; Hubner, t. I, pte. 2, ch. 1, § 5; Desjardins, Droit com. maritime, t. I, § 24, p. 59.

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