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300 à 600 mètres de hauteur qui sépare cette vallée de celle de la Siagne il s'agissait d'aller à Cannes; on prit le parti d'y parvenir par le Littoral, et le tracé, continuant à descendre l'Argens jusqu'à son embouchure, fut ensuite jeté en pleine masse de porphyre rouge entre le Cap-Roux et la mer.

La voie Aurélienne et le chemin de fer P.-L.-M. Il est curieux d'observer que le chemin de fer s'est ainsi trouvé reproduire la direction générale de la voie Aurélienne, route militaire établie par les Romains du temps d'Auguste pour relier Rome et les Gaules par Fréjus et Aix.

M. Maruéjouls, Ministre des Travaux Publics, a relevé les traces de cette voie dans l'Estérel au cours d'un voyage de reconnaissance accompli dans sa jeunesse (*): de Fréjus, port de mer, place forte et centre de ravitaillement très important, la voie Aurélienne s'élevait dans l'Estérel jusqu'au col de l'Evèque (cote 165) et contournait ainsi le Cap-Roux par le Nord; elle descendait ensuite vers la mer le long des flancs du pic d'Aurèle.

Le chemin de fer s'est établi sur le littoral et passe au Sud de la masse porphyrique du Cap-Roux, mais il a fallu multiplier les courbes, et les sinuosités du tracé dans cette partie obligent les trains rapides à diminuer leur vitesse. Cependant la voie ferrée présente des tranchées, des remblais, des murs et ouvrages considérables; car elle a dû franchir presque sur le rivage de nombreux ravins profonds, séparés par des masses énormes de rocher dur et compact, aux pentes abruptes plongeant parfois verticalement dans la

mer.

C'est de l'établissement du chemin de fer que date la merveilleuse prospérité de Cannes et de la région environnante.

Saint-Raphaël avant 1880. De l'autre côté de l'Estérel, près de l'embouchure de l'Argens, à 3 kilomètres de la vieille ville de Fréjus, toujours siège d'un évêché, végétait une misérable bourgade de

(*) Discours prononcé par M. Maruéjouls, ministre des Travaux Publics, à l'inauguration de la Corniche de l'Estérel, le 11 avril 1903. Voir Revue du T. C. F., n° d'Avril 1903.

quelques centaines de pêcheurs c'était Saint-Raphaël, sans eau potable, sans autre route que celle qui la reliait à Fréjus, avec un petit port célèbre par le débarquement de Bonaparte au retour de la campagne d'Egypte et par le départ de Napoléon pour l'ile d'Elbe en 1814; mais qui n'avait été pourvu qu'en 1824 d'un môle de 60 mètres de longueur prolongé de 50 mètres en 1873.

Placée à l'extrémité Est de la grande plage de sable qui termine la plaine de l'Argens, et bornée de ce côté par les rives basses de la Garonne et du Pédégal, enserrée par les dernières croupes boisées de l'Estérel, la petite localité paraissait sans avenir.

Mais c'était un coin de terre d'un aspect admirable, avec un climat délicieux, qui attirait les écrivains et les artistes: Alphonse Karr était venu y chercher la solitude. C'est lui cependant qui le premier révéla au public le pittoresque de la région environnante et les qualités du climat.

Saint-Raphaël et la municipalité Félix Martin (1880 à 1895). Bientôt, une municipalité très agissante, sous l'impulsion du Maire Félix Martin, Ingénieur des Ponts et Chaussées, et avec l'aide du département du Var et de l'Etat, entreprit et exécuta en peu d'années des travaux considérables.

L'ère de l'activité s'ouvrit vers 1880: en 1890, Saint-Raphaël était la tête de ligne du chemin de fer d'intérêt local qui la relie à Hyères (*); en 1894, Saint-Raphaël et Fréjus, sa voisine, recevaient l'eau que déjà du temps des Romains la Siagnole envoyait à Fréjus par un aqueduc dont il reste des parties imposantes dans plusieurs vallons de l'Estérel: cette eau de source, d'excellente qualité, alimente aujourd'hui dix communes et se distribue entre Saint-Aygulf et Anthéore, sur 20 kilomètres de côte; entre temps, se construisait un réseau très important de rues et de chemins vicinaux ordinaires, dont plusieurs constituent de beaux boulevards.

(*) La ligne de Saint-Raphaël à Hyères a 83 kilomètres de longueur; on exécuté en ce moment son prolongement sur 22 kilomètres jusqu'à Toulon.

Etablie dans une région presque déserte à l'origine, elle a déterminé le développement on la création des localités qui entourent ses stations et fait en 1904 près de 6.000 francs de recettes brutes par kilomètre.

En moins de 15 ans, la petite bourgade de pécheurs, sans eau potable et sans voies de communication, devenait une station très fréquentée l'hiver par les étrangers, l'été par les habitants des villes de la région, pourvue d'une eau abondante de première qualité, et desservie par des boulevards et des chemins superbes bordés d'un grand nombre d'hôtels et de villas.

Le petit port n'était pas oublié de 1880 à 1896, on y dépensait 238.000 francs en travaux neufs.

A la vérité, la transformation avait été trop rapide: escomptant la fortune exceptionnelle à laquelle ce coin de terre semblait voué, la spéculation à la hausse s'était emparée des terrains. Les achats exagérés furent bientôt suivis d'une réaction dont beaucoup eurent à souffrir et la débacle fut encore aggravée par le procès retentissant des chemins de fer du Sud (ligne d'ilyères à Saint-Raphaël). Mais l'impulsion était donnée; l'effort très considérable que s'était imposé la petite ville naissante de Saint-Raphaël ne devait pas être perdu. Une municipalité prudente el sage, soucieuse avant tout de ménager les deniers publics, sut rétablir l'ordre dans les finances sans enrayer le progrès du pays.

Le chemin vie'nal ordinaire n° 7 de Saint-Raphaël à Agay; voie de penetration dans l'Estérel vers Cannes. Entre autres chemins, on avait édifié comme vicinal ordinaire n° 7 celui qui, partant de 'Eglise suit le rivage en terrasse battue par la mer et se continue. le long de la côte, sous 1 spins, après la station de Boulouris jus qu'aux carrières de porphyre bleu, dit des Romains, exploitees par la Société des porphyres de Saint-Raphaël au quartier du Dra

mont.

Incorporé à la Route Nationale N° 7, il porte aujourd'hui encore dans sa première partie, jusqu'à l'hôtel Beau-Rivage, le rom de Félix-Martin, pour prer dre ensuite celui de Boulevard du TouringClub de France.

Or, la ville de Saint-Raphaël percevait bien que son développement futur exigeait le prolongement de cette voie le long de la côte, puisque le classement du chemin vicinal ordinaire n° 7 le faisait arriver à Agay: aussi, dès l'année 1894, un projet fut-il dressé

à sa requête par le Service Vicinal, projet s'étendant sur 4 kilomètres environ des carrières du Dramont à la gare d'Agay.

CHAPITRE II

TRAVAUX PRÉLIMINAIRES ET CONCEPTION DE LA ROUTE DE SAINT-RAPHAEL

A CANNES

Construction dans le Var entre Boulouris et Agay, et dans les Alpes-Maritimes entre la Napoule et Théoule, terminée en 1900. (fig. 2). - Mais, il n'y avait plus de ressources et ce fut seulement en 1899 que le projet du chemin du Dramont à Agay put être inscrit au programme annuel des travaux sur les chemins vicinaux à subventionner par l'Etat et le département: l'exécution eut lieu en 1900. On avait donc atteint la gare d'Agay qui semblait alors devoir être, pour de longues années, le point terminus de la route côtière.

Car, si du Dramont à Agay, où finissait le chemin classé, on avait encore trouvé une simple piste désignée sous le nom de chemin de la Douane, irrégulière, extrêmement accidentée et péniblement accessible aux charrettes, après la rivière d'Agay, ce n'était plus qu'un sentier de montagne tout juste praticable aux piétons et aux bêtes de somme.

Dans les Alpes-Maritimes, avant 1898, on ne pouvait, en partant de Cannes, dépasser en voiture le hameau de la Napoule, dépendant de la commune de Mandelieu. De la Napoule à la limite du département du Var, il fallait suivre le rude sentier de la Douane. Cependant, un petit groupe d'habitations s'était formé à Théoule; une gare portant ce nom avait été ouverte le 10 juillet 1883, et du château de Théoule à la gare, sur un kilomètre environ, des particuliers avaient fini par rendre à leurs frais le chemin praticable aux véhicules. Ce groupe d'habitants offrit au département des Alpes-Maritimes 3.000 francs s'il voulait prolonger le chemin car

rossable jusqu'à la Napoule : la Commission départementale prononça le classement du chemin de Théoule à la Napoule comme chemin vicinal no 6 de Mandelieu par décision du 10 décembre 1898, et sa construction à partir de la gare se fit en 1899-1900 avec l'aide des subventions du département des Alpes-Maritimes et de P'Etat.

Vers le milieu de l'année 1900, la route carrossable arrivait donc: dans le Var à la gare d'Agay, dans les Alpes-Maritimes au château de Théoule, points séparés par 21 kilomètres de sentier de montagne.

Le Touring-Club de France: idée d'une piste cyclable entre Agay et Théoule sur 21 kilomètres. Or, vers cette année 1900, régnait en France, grâce à la bicyclette, une mode nouvelle le culte du plein air, l'amour de la nature et des beaux paysages. Une société privée, le Touring-Club de France, fondée par une cinquantaine de personnes en 1890, et répondant tout à fait au besoin du moment, avait acquis en peu d'années une prospérité sans précédent : en 1899, 75.000 membres formaient avec leur cotisation de 5 francs le beau budget annuel de 375,000 francs et représentaient une force puissante admirablement dirigée pour le plus grand profit de chacun des associés et de l'intérêt public, par son président M. Ballif (*).

Au Touring-Club, on avait parlé de l'Estérel; le voisinage de Cannes, le séjour des hommes de lettres, poètes, romanciers, journalistes, qui, tout en cherchant le silence et la solitude font. connaitre au monde entier leurs impressions toujours très vives, avaient auréolé cette région de la renommée qui s'établit autour des belles choses peu connues.

L'Estérel, c'était un pays de légende, masse rocheuse et boisée aux superbes contours, que les hivernants de Cannes admiraient au fond de l'exquise baie de la Napoule du côté du soleil couchant, On y avait peu pénétré, mais ce devait être magnifique.

(*) En 1904, le Touring-Club compte 92.000 membres. Son budget 1995 atteint 881.000 francs.

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