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CHAPITRE VI

PRINCIPALES APPLICATIONS DE LA VOIE DE 0",60

EN FRANCE ET A L'ÉTRANGER.

ENSEIGNEMENTS A DÉDUIRE DES RÉSULTATS OBTENUS.

La question de la possibilité de faire circuler sur les lignes à voie de 0,60 des animaux, des fardeaux lourds et encombrants, et d'y assurer de grands trafics a soulevé tant de controverses qu'il paraît utile de donner quelques indications sur les applications réalisées jusqu'à ce jour et sur quelques-unes de celles où son emploi parait indiqué.

Ligne de Festiniog en Angleterre exploitée depuis 1863 avec locomotives. La première application d'un chemin de fer à voie de 0,60 à grand trafic est celle du chemin de fer établi entre PortMadoc et Festiniog en Angleterre, dont nous avons parlé plus haut.

Construite tout d'abord en 1832 avec des rails de 8 kilogrammes pour être exploitée avec des chevaux, cette ligne a été reconstruite. en 1862 avec des rails de 15 kilogrammes pour être exploitée, à partir de 1864, au moyen de locomotives copiées sur les machines. du type rigide à 2 essieux fréquemment employées par les entrepreneurs. La ligne de Festiniog est devenue à la suite d'un deuxième remaniement, à partir de 1872, grâce à l'emploi de locomotives puissantes et de matériel roulant de grande capacité, le tout monté sur bogies, en même temps que de rails de poids approprié (24 kilogrammes), un chemin de fer à grand trafic (30.000 francs de recettes par kilomètre et par an) (*). Cette ligne comporte, en service courant, sur les rampes de 11 millimètres par mètre et les courbes de petit rayon des vitesses de 47 à 56 kilomètres à l'heure susceptibles d'être portées à 67 kilomètres (**).

Pour se rendre compte de l'importance des résultats obtenus sur la ligne de Festiniog, il convient de remarquer:

a) Que la recette kilométrique annuelle de 30.000 francs réalisée.

(*) Etude technique sur le Chemin de fer de Festiniog et quelques autres chemins de fer à voie étroite de l'Angleterre par M. E. Vignes, Ingénieur, ancien élève de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole des Ponts et Chaussées (page 23). (*) Même ouvrage, page 81.

Ann. des P. et Ch. MEMOIRES.

1903-2.

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dès 1877 est notablement supérieure à toutes celles réalisées en 1900 sur les divers réseaux algériens soit environ de :

25 p. 100 à celle de la section Alger Maison-Carrée (24.806 francs). 50 p. 100 à celle de la section Philippeville - Constantine (21.006 francs).

65 p. 100 à celle de la section Alger Oran (17.619 francs).

196 p. 100 à celle de la section de la Province d'Oran du réseau. Ouest-Algérien (10.115 francs).

413 p. 100 à celle de la section Ancien réseau de la compagnie Franco-Algérienne exploité par l'Etat (5.839 francs).

b) Que cette même recette de 30.000 francs est très voisine de celle de 34.000 francs à partir de laquelle les cahiers des charges français imposent aux concessionnaires de grandes lignes l'obligation de construire à leurs frais une double voie.

Il convient, du reste, d'observer, ainsi que le fait ressortir le tableau suivant, que les machines du type James Sponner en service depuis 1872 sur la ligne de Festiniog sont notablement plus puissantes que les machines préconisées en 1881 par le Comité de de l'Exploitation technique des Chemins de fer pour les chemins de fer à voie de 1 mètre de la Corse (Annales des Mines de 1883, troisième volume, page 349) type encore aujourd'hui l'un des plus forts en service sur les réseaux à voie de 1 mètre français (*).

Les quelques chiffres relevés dans le tableau ci-dessous donnent une idée de la différence de puissance des machines en service sur les deux réseaux.

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(*) Ces temps derniers seulement on a été amené, sur les lignes très accidentées u Nivernais à mettre en service quelques machines type Mallet à 6 essieux du doids de 38 tonnes.

En lisant les chiffres inscrits dans les colonnes on pourrait croire que l'on a inversé les indications et que les chiffres de la première colonne s'appliquent à la voie d'un mètre et réciproquement; il n'en est rien.

Nous noterons en outre que la puissance de transport correspondant à l'emploi du James Sponner, tout en étant supérieure aux besoins auxquels on donne généralement satisfaction avec la voie plus coûteuse et beaucoup moins souple d'un mètre est loin d'être la limite de ce que l'on peut faire sur la voie de 0,60. Il importe d'ailleurs de remarquer :

Que les gros trafics signalés plus haut avec la voie de 0,60 sont obtenus avec des tracés comportant des courbes de 35 mètres de rayon dans lesquelles circulent des trains fort longs (360 et même 400 mètres de longueur) avec une facilité et une sécurité qui, après avoir, au début, surpris et émerveillé les ingénieurs de tous les pays, continuent à être obtenues d'une manière courante (**);

Que l'économie dans la construction de la ligne due à la réduction de la largeur de la voie à 0,60 est évaluée par Sévène à environ les deux tiers soit près de 200.000 francs;

Que le chiffre de 160.000 francs, souvent mis en avant comme prix de construction de cette ligne, comprend, en plus de la somme dépensée au début pour le premier établissement celles dépensées en 1862 et en 1872 pour la transformation et divers remaniements successifs;

Que, si, élaguant ce qui correspond aux transformations successives et changements de tracé et prenant les chiffres des dépenses faites pour l'infrastructure et la superstructure, on calcule le prix de revient de la ligne construite a priori telle qu'elle existe aujourd'hui, on arrive à un total ne dépassant pas 80 à 100.000 francs, sensiblement le même que celui dépensé pour la ligne à voie de 0,60 de 580 kilomètres de longueur de Calculla à Djarceling dans l'Himalaya montant sur 80 kilomètres à une altitude de 2.300 mètres ;

Que ce chiffre de 80 à 100.000 francs par kilomètre comprend d'ailleurs, dans le cas du chemin de fer de Festiniog, pour le ma

(*) Voir l'Engineering du 23 septembre 1871, et le Cours des Chemins de ferprofessé en 1877 par Sévène à l'Ecole des Ponts et Chaussées.

tériel roulant un chiffre élevé de 31.250 francs dont une partie s'applique au fort effectif de 50 wagons par kilomètre nécessaires pour l'exploitation des ardoisières, nombre six fois plus élevé que la moyenne (8,47) relevée pour l'ensemble des sept grands réseaux français (statistique du ministère des travaux publics de 1900) et plus de seize fois plus grande que la moyenne (3,79) correspondant aux lignes secondaires;

Que tous les embranchements desservant les ardoisières, dont quelques-uns ont 5 kilomètres de longueur, sont, depuis 1832, construits avec la largeur de 0,60 et que, malgré l'accroissement du trafic sur le tronçon commun, on a maintenu cette largeur de voie sur ledit tronçon dans le but de conserver l'avantage d'éviter tout transbordement et de faire circuler les mêmes wagons depuis le front de taille des carrières jusqu'au port d'embarquement.

En 1881, au

Ligne de Sousse à Kairouan construite en 1881-82. · moment de l'expédition de Tunisie, on décida d'établir un chemin de fer à voie de 0,60 entre Sousse et Kairouan distants de 70 kilomètres. Sans étude technique préalable autre que celle de quelques détails tels que l'installation de huit brancards pour transport de blessés sur trucs montés sur bogies, on prit simplement le matériel de chantier construit à cette époque par l'usine Decauville en vue de remplacer les brouettes et tombereaux sur les chantiers des entrepreneurs :

Voie de 0,60 avec traverses arasées au droit du bord extérieur du rail, une partie en rails de 7 kilogrammes, l'autre en rails de 9,5, l'une et l'autre montées dans des conditions insuffisantes pour porter la locomotive indiquée plus loin;

Wagons sans ressorts munis de freins avec sabots en bois d'un fonctionnement peu sûr, actionnés tout d'abord au pied au moyen d'un volant à jante cannelée. Au bout de peu de temps, les serrefreins arrivèrent à manoeuvrer ces volants au moyen de leur cravate, puis au moyen de cordes, dont le fonctionnement resta toujours incommode et incertain;

Une locomotive de 4 tonnes à faible surface de chauffe et de grille. La locomotive incapable de monter même seule la rampe de sor

tie du port (déclivité de 50 millimètres par mètre) fut, au bout de peu de temps, cantonnée dans le service des mouvements des quais du port et remplacée pour la construction de la ligne puis pour le transport du personnel et du matériel par un système de traction animale peu perfectionné. Les chevaux du train et des corps de troupes puis ceux d'un entrepreneur assurèrent néanmoins pendant une vingtaine d'années, sauf quelques interruptions, le service de transport du personnel et des marchandises. (Voir fig. 4, page 167).

Lorsque, vers 1900, on mit en service la ligne définitive construite à la voie d'un mètre, comme la plupart des autres lignes de la Régence, la ligne provisoire de 1881 à voies de 0,60 était encore, malgré un premier établissement défectueux et un entretien plutôt négligé, en état de supporter le trafic.

Les incidents nombreux survenus au cours de la construction et de l'exploitation de cette époque ont montré que certains éléments du matériel possédaient des qualités remarquables, mais que, si l'on voulait rendre le matériel de chemin de fer à voie de 0,60 susceptible d'ètre appliqué à la construction de lignes à fort trafic, il fallait apporter des modifications radicales à certains éléments défectueux et adopter des méthodes de construction et d'exploitation tout à fait différentes de celle appliquée en Tunisie.

Il est ressorti de cette application que :

1° Même dans des conditions défectueuses au point de vue du premier établissement et de l'entretien, les voies à traverses rivées sur les rails résistent très bien dans des conditions climatériques destructives pour la plupart des autres systèmes, notamment les systèmes à traverses en bois, lesquels auraient, dans le même laps de temps d'une vingtaine d'années, exigé beaucoup d'entretien ou même plusieurs renouvellements;

2o Les voies de chantier à traverses arasées à l'intérieur du rail sont à mettre de côté dans la construction des lignes à traction de locomotives;

3o L'organisation trop rudimentaire des véhicules comme système de suspension (sans ressorts ni balanciers) comme freinage (freins

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