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déclare sur toute l'épaisseur du mur, à une hauteur quelconque, une fissure horizontale laissant l'eau s'y introduire avec sa pression hydrostatique, la sous-pression sera précisément égale au poids de la partie supérieure du mur, bien entendu dans notre hypothèse d'un poids spécifique de 2.000 kilomètres pour la maçonnerie. Cette partie du mur, supérieure à la fissure, n'opposera donc plus aucune résistance à la poussée de l'eau emmagasinée, son poids étant équilibré par la sous-pression. Le massif aura une tendance à flotter; et à la moindre poussée supplémentaire, au moindre ébranlement, la masse d'eau de la retenue le fera pivoter, le soulèvera et l'entrainera brusquement comme un fétu.

Il semble que c'est là l'histoire des trop fréquents accidents survenus un peu partout, en tous pays, à bon nombre de murs de réservoirs (*).

Or, et c'est surtout ce que nous avons voulu faire ressortir, les effets irrésistibles de la dilatation des maçonneries suffisent seuls à les expliquer, en dehors de toute malfaçon de l'ouvrage.

En se reportant aux calculs donnés plus haut, on voit qu'une chute de température de 20°, au-dessous de la température initiale de construction produit sur une longueur de mur de 100 mètres un retrait de 2 centimètres ; tandis qu'une élévation de 20° cause une poussée longitudinale qui n'est pas moindre de 200 tonnes par mètre carré de la section transversale.

Dès lors, n'est-il pas manifeste que lorsqu'une chute de température aura tout d'abord fracturé transversalement le mur, il est dans l'ordre des choses possibles, probables même, qu'un segment du mur compris entre deux fractures consécutives, quand il subira au moment des grandes chaleurs ces fortes poussées longitudinales que lui imprimeront les segments contigus, sera exposé à éprouver

(*) Les Annales de 1900, 1er semestre, p. 402, rapportent que lors de la chute, survenue le 7 avril 1900, du barrage d'Austin (Texas) qui avait 389 mètres de longueur, 18,30 de hauteur d'eau et 20,13 de largeur à la base, une longueur de digue de 75 mètres fut emportée, et qu'une portion de 30 mètres fut reportée parallèlement à 18 mètres vers l'aval. On reconnaît bien là l'effet d'une souspression.

un sectionnement horizontal, en un point indéterminé de sa hauteur. Ces fractionnements thermiques, tant verticaux qu'horizontaux, doivent d'ailleurs affecter le plus souvent les parties hautes des barrages-réservoirs; soit parce que ces sortes d'ouvrages ont généralement une bien plus grande longueur au couronnement qu'à la base; soit parce que les épaisseurs y sont d'ordinaire beaucoup plus faibles en haut qu'en bas. Or, il est remarquable que bien des catastrophes connues ont été produites, sans que la base ait cédé, par le brusque enlèvement d'une fraction des oeuvres hautes du mur. Cette circonstance n'atténue guère, d'ailleurs, la gravité des dangers courus par les populations implantées à l'aval, puisque ce sont les tranches supérieures de la retenue qui donnent le plus gros du volume emmagasiné.

Bref, bien des faits d'observation tendent à prouver que les terribles catastrophes qu'on a eues trop souvent à déplorer, et qui se produisent d'ordinaire avec une brusquerie déconcertante, ont eu pour cause immédiate la sous-pression qui s'est déclarée soit sur la base d'appui, soit dans une fissure horizontale comprise entre deux cassures transversales. Or, le barrage le mieux fondé et le mieux bâti n'est pas à l'abri de ce danger, puisqu'il faut reconnaitre que fatalement la seule dilatation des maçonneries est susceptible de produire ce double sectionnement.

Cela étant reconnu, il importe de rechercher attentivement quelles sont les règles de construction capables de combattre des éventualites tellement redoutables pour les populations inférieures, qu'aucune considération d'économie ne saurait entrer ici en ligne de compte.

Comme l'écrivait M. Krantz, l'éminent ingénieur, dans son étude parue en 1870 sur les murs de réservoir: « En face de pareilles éventualités, l'ingénieur n'est pas admis à faire preuve de hardiesse... Il vaut mieux s'abstenir de faire des murs de réservoir que de les édifier d'une manière besogneuse et au risque d'épouvantables catastrophes... Une parfaite stabilité est la première condition à remplir; elle domine de haut toutes les autres, et il convient que la solidité d'un mur de réservoir ne puisse même pas étre mise en doute. »

Sous l'impression de ces sages et fortes paroles, on nous pardonnera d'ajouter les considérations suivantes, qui seront comme la conclusion de notre étude.

En premier lieu, le danger des sous-pressions étant le plus redoutable, et la forme triangulaire étant impuissante à le combattre, il semble nécessaire d'adopter une forme trapézoïdale très accusée, ou en d'autres termes d'attribuer au couronnement une forte largeur.

Sans aller, peut-être, comme au barrage de la Gileppe, près de Verviers en Belgique, jusqu'à donner en couronne une largeur de 15 mètres, il parait certain que les largeurs de 4 à 5 mètres adoptées communément en France n'offrent pas une garantie suffisante.

La largeur au couronnement, tout comme l'épaisseur à la base, doit croître dans une certaine mesure avec la hauteur même de la retenue (*).

En second lieu, il semble peu douteux qu'un long barrage rectiligne ne subira pas longtemps les variations annuelles de température, sans se fractionner transversalement.

Par contre, un tracé circulaire en plan atténuera beaucoup ce danger s'il ne le supprime pas à coup sûr car d'une part, l'élasticité des voûtes leur permet, tout au moins dans de certaines limites comme les observations relatées ci-dessus l'ont prouvé, de subir les oscillations thermiques sans se fissurer; et d'autre part, et surtout, la pression de l'eau sur la face convexe de l'amont contribuera elle-même à maintenir ou à ramener au contact les deux bords d'une fissure verticale déjà déclarée.

(*) Dans les Annales des Ponts et Chaussées de Belgique d'août 1902, M. Vandeuren a montré, par des calculs faits en supposant que la scus-pression dans une section horizontale s'exerce intégralement sur l'arête d'amont, mais est nulle à l'arête d'aval (et en admettant 2500 kilogrammes pour la densité de la maçonnerie, 0,75 pour le coefficient de frottement, et 12 kilogrammes par centimètre carré pour la pression maximum), que la largeur au couronnement devrait ètre de 12 et 13 mètres pour des hauteurs de 40 et 45 mètres; et même que pour un barrage comme celui du Furens, à Saint-Étienne, qui a 47 mètres de haut et 42 mètres de largeur à la base, le couronnement devrait présenter 18 mètres de largeur. Et cependant l'hypothèse initiale ne fait état que de la moitié de la sous-pression possible.

On sait en effet que lorsqu'une voûte circulaire n'est soumise. qu'à des forces extérieures normales à l'extrados (ce serait le présent cas), les résultantes des pressions intérieures dues à la réaction des voussoirs en contact sont partout normales aux joints; et de plus leur intensité est constante et proportionnelle à la grandeur du rayon de l'extrados (*).

Au surplus, la forme circulaire paraît moins se prèter aux disjonctions longitudinales du massif dans le sens vertical, qui sont si dangereuses encore, comme l'a fait remarquer très justement M. L. Durand-Claye dans une note de 1897, 1er trimestre n° 7, des Annales des Ponts et Chaussées.

Il semble donc qu'en projetant un mur de réservoir de grande longueur on ne devrait pas hésiter à lui donner la forme circulaire, en fractionnant au besoin la longueur, tous les 50 à 100 mètres, par des contreforts saillants vers l'aval, servant de piles-culées à une succession d'arcs de cercle d'une flèche assez grande, telle que le cinquième ou le huitième au moins de la corde, afin que le rayon de courbure ne soit pas trop grand ni par suite la pression excessive (**).

(*) Cette proposition dont M. le professeur Thiéry a donné une démonstration géométrique, art. 36 du 2o semestre des Annales de 1888, n'est exacte que pour une voûte d'épaisseur infiniment petite; ou, en tout autre cas, que si l'on admet que la courbe des pressions passe, à la clef et sur l'appui, en deux points également distants de l'extrados. Appelant R, le rayon de cet extrados, la densité du liquide, h la profondeur, au-dessous du niveau de la retenue, de la tranche de voûte d'épaisseur dh considérée, la résultante des pressions a pour valeur sur tous les points: a Rhdh; et si l'on appelle la pression moyenne Rhdh sur le joint dont e est l'épaisseur, p = GR Or = 1.000 kilos, et si edh est exprimé en kilogrammes par centimètre carré, p = 0,1 R ou bien = 0,1

R
P

h e

h

(**) Les Nouvelles Annales de la Construction, N° de juillet 1904, donnent les dessins du barrage de Meer-Allum à Hyderabad (Inde) de 800 mètres de longueur et 12 mètres de hauteur de retenue. Il est formé, en plan, d'une série de voûtes verticales en plein cintre, dont l'ouverture varie de 21 à 45 mètres. Ces dernières ont une épaisseur uniforme de 2,60 et s'appuient sur des contreforts de 7,30 de largeur, qui présentent une longueur, normalement à la direction générale du barrage, de 12m, 80, dont 9 mètres en aval de la ligne des naissances des voûtes Malgré sa faible épaisseur, ce barrage est déjà cente. naire, puisqu'il aurait été construit vers l'an 1800. La pression moyenne y atteint 10,4 d'après la formule précédente.

Ann. des P.et Ch. MÉMOIRES.

1905-1.

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En tout cas, une disposition qui est absolument à proscrire, c'est celle d'un angle saillant vers l'aval, la dilatation thermique et la pression de l'eau concourant, à l'envi, à y déterminer une fissure et même à l'agrandir sans cesse jusqu'à la catastrophe finale (*). De même ne devrait-on admettre, en général, pour les grands réservoirs d'alimentation des villes que des murs d'enceinte enterrés, ou bien entourés d'un remblai d'épaisseur suffisante.

En dernière analyse, on ne peut qu'applaudir au souci, qu'ont actuellement les ingénieurs, de combattre les sous-pressions, soit par un drainage vertical du corps du barrage; soit par l'établissement, sur la face amont, d'un masque indépendant du massif du mur proprement dit, qui permette d'évacuer les filtrations sans les y laisser pénétrer, ainsi que l'ont proposé, à la suite de la catastrophe de Bouzey, M. Maurice Lévy dans sa communication à l'Académie des sciences du 5 août 1895, et M. Lerond dans un article. des Annales des Ponts et Chaussées de la même année. Le difficile est de rendre ces dispositions vraiment efficaces, principalement dans les grandes profondeurs d'eau, à cause de la perméabilité des maçonneries: car si les filtrations, ainsi recueillies et évacuées, sont trop abondantes, elles rendront la retenue de l'eau illusoire, et par suite le barrage inutile pour le but qu'on s'est proposé en l'établissant.

A cet égard, la disposition récemment adoptée sur deux affluents du Rhin pour la création de forces motrices (Annales de 1901 — Périodiques) semble très recommandable. Elle consiste à élever contre la face amont du barrage en maçonnerie un second barrage en terre. Toutefois on n'a adopté qu'à moitié cette solution, par économie sans doute car les remblais s'arrêtent à moitié hauteur du mur. Au-dessus, on a simplement plaqué un masque en maçonnerie de faible épaisseur, dont l'efficacité peut paraître douteuse au point de vue qui nous occupe.

La vraie solution, peu économique, il est vrai mais complète du

(*) C'est à une telle disposition vicieuse qu'a été attribuée entr'autres causes la rupture, en décembre 1881, du barrage de l'Habra dans la province d'Oran, qui détruisit le village de Perrégaux.

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