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lité réelle. Puis, faisant dans le second mémoire application de cette méthode aux rectifications exécutées dans son département, et rapprochant les résultats des calculs de l'observation des faits, il en tirait sur les valeurs des rectifications, des conclusions très intéressantes, susceptibles de faciliter dans bien des cas la solution des problèmes de ce genre. Fidèle enfin à ses tendances constantes vers la plus large généralisation, il y ajoutait des notes sur la mesure de l'utilité des travaux publics et sur la séparation rationnelle des dépenses entre les intéressés, Etat, départements, communes, concessionnaires, etc.

Nommé seulement dans sa soixante-deuxième année, le 16 fé vrier 1881, Inspecteur général de 2o classe, M. Lechalas ne devait siéger qu'un peu moins de quatre ans au Conseil général des Ponts et Chaussées, où il fut chargé de la 25° Inspection (Ports maritimes et voies navigables du Nord et du Pas-de-Calais); il fut appelé, en outre, le 19 juin 1882, à la Commission des routes nationales.

La perspective de la retraite lui apparut dès lors prochaine; et, se sentant toujours plein de force et d'activité, incapable de se résigner à un repos qui ne pouvait convenir à son tempérament, il songea naturellement à se créer des occupations nouvelles, et conçut bientôt l'idée de cette Encyclopédie des Travaux publics, dont à l'origine il n'eût certes pas osé entrevoir l'ampleur considérable et la brillante destinée.

L'idée de créer, en faisant appel au concours des ingénieurs les plus autorisés, une bibliothèque complète des diverses branches des Travaux Publics, était incontestablement juste, elle venait à son heure; car, en dehors des cours autographiés des Ecoles des Ponts et Chaussées et des Mines ou des Annales, qui s'adressent à un public restreint, et sauf quelques rares publications, dont beaucoup manquaient d'autorité, le bagage bibliographique que pouvait se procurer chez nous un ingénieur, désireux de connaître à fond l'état actuel de telle ou telle partie de son art, était des plus

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restreints tout le monde sentait cette lacune évidente, mais personne ou à peu près n'avait songé à la combler.

Aussi, dès les premières ouvertures faites autour de lui, M. Lechalas rencontrait-il parmi ses collègues du Conseil, ses anciens. collaborateurs, ses camarades, ses amis, un concours empressé et fécond de bonnes volontés, dont il sut tirer un merveilleux parti. Ce que n'aurait certes pu obtenir, au prix des plus grands efforts. et de sacrifices considérables, l'éditeur le plus expérimenté et le plus habile, sa conviction persuasive, son ardeur entrainante, son activité passionnée, son propre exemple-car il payait largement de sa personne et s'imposait un travail opiniâtre et incessant — le réalisèrent sans peine, et avec un tel succès qu'au moment même où il prenait sa retraite, le 7 janvier 1885, plusieurs volumes de l'Encyclopédie avaient paru déjà ou étaient sous presse pour paraître dans le courant de l'année.

Un pareil résultat, si vite obtenu, serait fait pour surprendre, si l'on ne songeait que la plupart des matériaux de cette vaste publication étaient pour ainsi dire virtuellement prêts. Non seulement les professeurs de nos écoles, mais nombre d'ingénieurs ont, dans leurs spécialités, pour leurs besoins particuliers, au hasard des circonstances, recueilli des notes, rempli des cahiers d'observations, poursuivi des études, exécuté des travaux, dont l'ensemble constituerait une mine précieuse de renseignements pour ceux qui ont besoin de s'instruire dans les mêmes spécialités; la plupart s'en rendent compte, le sentent, ont parfois éprouvé le vague désir de livrer ces renseignements utiles à la publicité, mais, au milieu d'occupations attachantes et multiples, les loisirs leur manquent trop souvent pour un travail de rédaction, dont l'importance les effraie d'autant plus que beaucoup ne manient pas la plume avec la même facilité que le crayon. M. Lechalas eut le talent de provoquer l'éclosion de ces richesses cachées : il allait droit aux sources, et insistait avec une si chaleureuse bonhomie, qu'il faisait tomber toutes les résistances; puis, le consentement obtenu, il

savait le rappeler utilement, multipliant les démarches, aidant luimême aux recherches, coordonnant les documents épars, participant modestement dans l'ombre à la préparation de chaque ouvrage, y ajoutant au besoin une introduction, des annexes, etc., se prodiguant sans trève ni répit, jusqu'à ce que le but fût atteint.

Dans ces conditions, on conçoit que les volumes se soient suivis très rapidement, sans qu'aucun d'eux cependant ait eu le caractère ou l'apparence d'une œuvre hâtive ou incomplète : tous se sont trouvés dignes de figurer dans une collection de haute valeur, à laquelle la qualité des ouvrages, non moins que les noms du directeur et des collaborateurs, a procuré, dans un délai relativement court, une réputation universelle et méritée; plusieurs ont été honorés de récompenses académiques, quelques-uns traduits en langues étrangères; un assez grand nombre, tôt épuisés malgré d'imposants tirages dès l'origine, ont été l'objet de nouvelles éditions.

Plus de vingt de ces volumes signés de MM. Degrand, Guillemain, Lechalas, Tarbé de Saint-Hardouin, Inspecteurs généraux ; Aguillon, Bechmann, Durand-Claye, Flamant, Gariel, Lavoinne, Nivoit, Résal, Ingénieurs en chef des Ponts et Chaussées ou des Mines; Deharme, Monnier, professeurs à l'Ecole Centrale, etc..., étaient publiés avant l'ouverture de l'Exposition de 1889; et, bien qu'ils n'y aient figuré que très modestement, dans quelque coin égaré, le jury sut les y découvrir et décerna au fondateur de l'Encyclopédie des Travaux publics une médaille d'or, haute et flatteuse récompense qu'il reçut avec d'autant plus de surprise qu'il ne l'avait nullement recherchée, et à laquelle applaudirent tous ceux qui avaient pu apprécier l'œuvre ou en connaissaient l'auteur.

Depuis, l'Encyclopédie a continué à s'enrichir chaque année, au point de dépasser le chiffre de quatre-vingt volumes aux collaborateurs de la première heure sont venus s'adjoindre une pléiade de collaborateurs nouveaux et non moins distingués, parmi lesquels on relève les noms de MM. Bricka, Hirsch, Laroche, Maison, de Mas, Pelletan, de Préaudeau, Vicaire, etc., professeurs aux Ecoles des Ponts et Chaussées et des Mines; Rouché, au Conser

vatoire des Arts et Métiers; Brisse, Denfer, Dorion, Pelletier, etc., à l'Ecole Centrale; Thiéry, à l'Ecole Forestière; Doniol, Henry, Inspecteurs généraux des Ponts et Chaussées; Lallemand, Georges Lechalas, Ingénieurs en chef; Charpentier de Cossigny, Koechlin, Pontzen, Ingénieurs civils, etc.

Elle a valu à son fondateur, le 31 décembre 1901, la croix d'officier de la Légion d'honneur, distinction suprême et tardive qui lui parvenait dans sa quatre-vingt-deuxième année, et qui le trouvait cependant plus actif que jamais, ajoutant encore à la grande œuvre dont le succès se trouvait ainsi justement consacré, mais qui n'avait pas suffi à sa prodigieuse activité, d'autres publications analogues, l'Encyclopédie industrielle (*) qui compte 35 beaux volumes sur les sujets les plus variés, une petite Encyclopédie agricole, une collection d'ouvrages pour les cours spéciaux de Physique, Chimie et Histoire naturelle (P.-C.-N.), de la Faculté des Sciences !

La vie de M. Lechalas, vie de labeur ininterrompu et fécond, est contenue tout entière dans les pages qui précèdent, où sont relatés sommairement ses travaux; et, pour achever de le peindre, il suffira d'ajouter que, sous « l'écorce un peu rude» que signalait en 1856 un de ses premiers chefs, sous cette simplicité dont il ne s'est point départi, cette absence de recherche et de ménagements qui lui était naturelle, sous ce langage clair, sobre, précis, d'où les métaphores et les circonlocutions étaient bannies, d'une sincérité et d'une franchise si absolues qu'il a pu parfois déplaire à quelques-uns, il laissait percer un sens droit, un jugement sûr, un esprit libéral, avec une rectitude de caractère et une large tolérance qui commandaient l'estime de tous.

Les joies de la famille ont été ses seules distractions. La digne compagne de sa vie, qui lui a survécu, lui prodiguait encore à son dernier jour les soins accoutumés. Avec quelle satisfaction intime il a vu son fils le suivre dans la carrière des Ponts et Chaussées,

(*) Gauthier-Villars et Fils.

occuper après lui le poste d'Ingénieur en chef de la Seine-Inférieure, devenir un de ses collaborateurs de l'Encyclopédie des Travaux publics, et faire en outre quelques incursions heureuses dans le domaine de la haute philosophie et de la géométrie transcendante! Avec quelle fierté il a suivi les succès de son petit fils et l'a vu passer à son tour par l'Ecole polytechnique ! Et comme il a joui, dans ses dernières années, de ses séjours d'été dans la maison de Mont-Saint-Aignan, près de Rouen, où il savait réunir tous les siens, et où son dernier séjour a été illuminé par la présence d'une arrière-petite-fille! Il comptait bien y retourner l'été dernier, lorsque, au milieu des préparatifs, une atteinte de phlébite l'a tenu quelques semaines au lit; il s'est cru bientôt guéri et reprenait déjà ses projets de départ, quand la mort est venue le surprendre pendant son sommeil, mort bien douce après une vie bien remplie !

28 janvier 1905.

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