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La suspension Ordish est un câble funiculaire comme serait le câble d'un pont suspendu ordinaire, c'est-à-dire ayant ses extrémités fixées aux sommets des pylônes et destiné à porter le poids ou la presque totalité du poids des haubans, de sorte que ceux-ci, étant soustraits à leur propre poids, ne fléchissent plus, ou du moins ne fléchissent qu'entre leurs points de suspension, qui sont très rapprochés, et, par suite, dans une mesure négligeable.

Le polygone de suspension Ordish est formé de neuf côtés comportant huit sommets intermédiaires ou points de suspension. A chaque sommet est fixé un montant vertical auquel viennent s'attacher un ou plusieurs haubans. La partie du montant située au dessus du polygone supporte les haubans qu'il rencontre comme un support, c'est-à-dire par compression. C'est pourquoi elle est formée d'un tube creux en acier. La partie de chaque montant située au-dessous du polygone de suspension supporte le hauban qu'il rencontre, par traction. Elle est formée d'un petit cylindre plein.

Par ce procédé, les haubans ne pèsent pour ainsi dire plus sur les nœuds de la ferme proprement dite du pont. Chaque nœud inférieur de la ferme ne porte que la moitié de la longueur de hauban comprise entre lui et le nœud voisin de la suspension Ordish. Cela ne fait jamais plus de 150 à 200 kilogrammes. Tout le reste du poids des haubans étant ainsi supporté par le cable Ordish, la dépense de ce cable n'est pas perdue, puisque le reste de la ferme s'en trouve allégée de la part qui lui serait revenue du poids des haubans, c'est-à-dire la moitié de leur poids total, l'autre moitié se trouvant directement reportée sur les piles.

Les calculs de résistance des diverses parties de l'ouvrage ont été faits par M. Gisclard avec le plus grand soin. Ils ont, d'ailleurs, comme nous l'avons dit plus haut, été vérifiés par la Compagnie du Midi par les procédés graphiques, de sorte qu'ils ne sont pas douteux. Il en résulte que les prescriptions de la circulaire ministérielle du 29 août 1891 sont largement observées en ce qui touche le travail du métal.

Pour l'ancrage des câbles de retenue, ainsi que sur quelques dispositifs de détail de la maçonnerie, on ne peut qu'adopter les

modifications prudentes proposées par le contrôle et acceptées d'ailleurs par les auteurs du projet.

M. Gisclard, tout en s'étant prémuni contre le flambage possible des grandes diagonales des pylônes, n'a pas examiné la question du flambage de l'ensemble de cette pièce de 30 mètres de hauteur el, qui, dans le sens de l'axe du pont, ne présente, entre les axes de ses montants principaux qu'une largeur de 0,70 au sommet et de 3,02 à la base. M. Gisclard s'en est, sur ce point, remis à l'expérience des transbordeurs Arnodin, où les pylônes, conçus de la mème manière n'ont aucune tendance au flambage.

En appliquant la formule d'Euler à l'ensemble du pylône regardé comme une pièce prismatique dont les dimensions transversales seraient les moyennes de celles des sections extrêmes et ne tenant compte, dans le calcul des moments d'inertie, que des quatre montants, on trouve que, théoriquement, on n'arriverait au point où le flambage devient possible qu'en appliquant au sommet du pylône une charge d'environ 5.000 tonnes.

En Allemagne, et en vertu d'une récente circulaire du Ministre des Travaux publics de Prusse, les vérifications relatives au flambage des pièces comprimées suivant leur axe doivent être faites en employant la formule d'Euler, avec un coefficient de sécurité égal à 5. D'après cette règle, la charge pratiquement admissible au sommet d'un pylône serait de 1.000 tonnes.

Or, en fait, cette charge, en y comprenant le poids de l'étage supérieur, qui est d'ailleurs peu de chose par rapport à tout le reste, est de 807.432 kilogrammes.

Il est assez remarquable que l'expérience, en la matière, de M. Arnodin l'ait amené à un chiffre assez comparable à la règle officielle prescrite à Berlin depuis le 1er mai de l'année dernière.

En ce qui touche la crainte exprimée par la Compagnie du Midi relativement au soulèvement possible du tablier par le vent, M. Gisclard y a répondu d'une façon très topique.

Le tablier, avec la voie, pèse environ 350 kilogrammes par mètre carré c'est-à-dire plus que la plus forte pression du vent même dans le sens horizontal et à plus forte raison dans le sens vertical et la légère diminution dans la tension des câbles de la demi-travée cen

trale opposée à un train qui serait sur une travée de rive, ne modifie pas le sens de ce résultat.

Dans le sens horizontal, sous l'action du vent le plus défavorable, la poutre de rive du tablier opposée au vent travaille à 12 kilogrammes par millimètre carré, ce qui est dans la limite admise par l'article 5 du règlement du 29 août 1891. La courbure qui en résulte dans le tablier a un rayon d'environ 6.000 mètres et M. Gisclard observe que la force centrifuge en résultant pour un train de six automotrices qui passerait à la vitesse de 72 kilomètres serait d'à peine 20 kilogrammes par mètre courant de tablier, c'est-à-dire insignifiante par rapport à la pression du vent.

Ce sur quoi M. Gisclard n'a pas porté son attention dans cette discussion, bien que ce soit à son avantage c'est que cette force centrifuge maximum vient, non pas en augmentation, mais en atténuation de la pression du vent. Elle viendrait en augmentation de cette pression sur toute la longueur de la travée centrale, si celle-ci était une poutre à deux appuis simples. Mais le tablier complet forme, contre le vent, une poutre à trois travées, dont les travées extrêmes sont très petites par rapport à la travée centrale, de sorte que celle-ci est assez près de l'encastrement pour que ce soit sur les piles que se produit la courbure maximum calculée, et là elle présente sa convexité vers le vent et la force centrifuge tend à la diminuer. Ce n'est que vers le milieu de la poutre qu'elle s'ajoute à l'effet du vent, et là la courbure n'est que moitié environ de ce qu'elle est près des piles.

Cette observation n'aurait qu'un intérêt théorique au point de vue des pressions. Elle en a un plus réel au point de vue de la flèche horizontale que prendra la poutre sous l'action du vent, flèche que M. Gisclard n'a pas donnée. S'il s'agissait d'une poutre simplement appuyée de 158 mètres de portée, le rayon de courbure de 6.000 mètres qu'elle prendrait sous l'action du vent correspondrait à une flèche de près de 0,51 ce qui est beaucoup. Mais une poutre encastrée ne prendrait qu'une flèche 5 fois moindre, soit 0,10. La poutre à 3 travées dont il s'agit élant bien plus près de l'encastrement que des appuis simples la flèche ne dépassera guère 0,15 à 0,18.

A présent s'il survient des rafales rythmées du vent, peut-on craindre que cette flèche ne croisse dans des proportions inquiétantes? Ici encore, il y a une distinction à faire entre une poutre à deux appuis simples et les poutres encastrées ou à travées solidaires. Les premières sont plus facilement susceptibles d'oscillations spontanées à peu près régulières. Pour la travée dont il s'agit ici, ces oscillations seraient très lentes: elles seraient d'un peu plus d'une seconde. La fréquence de l'oscillation fondamentale serait d'environ 1,25. Par suite des rafales de vent se succédant avec la même fréquence ou une fréquence multiple ou sous-multiple de 1,25 pendant un temps suffisant pourraient devenir inquiétantes. Pour la poutre encastrée, les oscillations sont environ 2,25 fois plus rapides; leurs amplitudes affectent des lois plus complexes. Il s'ensuit qu'il y a moins de chance pour que, pendant un temps fini, il y ait concordance entre les oscillations du vent et les oscillations propres de la poutre, et, par suite, pour qu'il se produise des effets de résonance dangereux.

Ajoutons que ce danger pour autant qu'il peut se présenter pour un ouvrage capable de résister au soulèvement direct par le vent existerait aussi pour une poutre droite.

La flèche verticale maximum a été trouvée par M. Gisclard égale a 0,21. Peut-elle être beaucoup accrue par les effets dynamiques dus à la vitesse des trains? Il est difficile, ou il serait tout au moins bien laborieux, de donner à cet égard des chiffres un peu exacts. Mais, avec la suspension Ordish qui supprime pratiquement les flèches des haubans, on ne voit pas de raison pour que des fermes comme celles qui sont projetées ici ne donnent pas à l'ensemble une rigidité de même ordre que celle de fermes supportées, comme par exemple, celles du viaduc du Viaur. On pourrait conseiller, cependant, de renforcer un peu la partie centrale des fermes de façon à ne pas dépasser, pour la flèche théorique, le millième de la portée, soit 0,15 à 0,16. On laisserait ainsi une certaine marge pour les incertitudes qu'on peut conserver sur les effets dynamiques produits par le passage des trains. Ces effets pourront être sensibles de la part du train d'épreuve de 192 tonnes, mais seront sans doute peu de chose de la part des trains journaliers qui n'atteindront gé

néralement pas la moitié de ce poids. Ajoutons que la variabilité des durées des oscillations propres aux divers câbles paraît devoir écarter tout danger de résonance par le passage des trains.

RÉSUMÉ

En résumé, le projet soumis à la Commission est étudié avec le plus grand soin. Au point de vue théorique, il ne soulève aucune objection. Au point de vue pratique, bien qu'il n'ait pas encore reçu la sanction de l'expérience, on peut observer que, comme structure matérielle, il ressemble beaucoup aux ponts suspendus et surtout aux transbordeurs Arnodin; il offrira donc les mêmes facilités de montage, et l'expérience acquise par ce constructeur spécial permet de compter sur une grande précision de pose. Avec cela et la suspension Ordish qui oblige les haubans à une rectitude à peu près complète, on ne voit pas de raison pour qu'un ouvrage de ce genre n'offre pas sensiblement la même rigidité qu'un pont similaire supporté. Il s'ensuit qu'à ce point de vue encore, il ne soulève d'objection de principe.

Sur le prix de revient indiqué au rapport du service du contrôle comme étant de 1.200.000 francs la Commission ne peut pas se prononcer, le détail estimatif n'étant pas joint.

Sans doute, comme l'a indiqué la Compagnie du Midi, on pourrait remplacer le pont Gisclard par un pont à poutres droites. Le profil transversal de la vallée s'y prète puisque la partie profonde et difficile à franchir ne présente guère qu'une ouverture d'environ 80 mètres. Si l'on adoptait cette solution, on pourrait, semble-t-il, éviter l'objection résultant de la difficulté du lançage faite par le contrôle, soit en constituant l'ouvrage par un cantilever qu'il serait possible de monter directement sur des piles en maçonnerie d'environ 30 à 35 mètres de hauteur, soit par une poutre continue, en la montant de la même manière à partir de chaque pile, pour se souder au milieu. L'ouvrage serait à compléter, vers chaque rive, par deux arches en maçonnerie de 15 à 20 mètres d'ouverture.

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