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favorable, celui où le train est sur une travée latérale, ce qui tend à alléger le câble de la demi-travée centrale opposée, il faudrait, pour que les câbles de retenue pussent se détendre, un vent vertical de 325 kilogrammes. Il n'est donc pas nécessaire de prévoir des câbles spéciaux d'amarrage contre le vent.

RAPPORT DE L'INGÉNIEUR EN CHEF DU CONTROLE

L'ingénieur en chef du contrôle fait connaitre que le choix du service s'est porté sur le type de pont de M. Gisclard parce que, d'une part, il est de beaucoup le plus économique et qu'il s'agit ici d'une voie ferrée qui n'a été entreprise, dans cette région difficile des gorges de la Têt qu'à la condition que les dépenses en seraient réduites au minimum; que, dans ce but, on a admis la voie de 1 mètre, les rayons de 80 mètres, les déclivités de 0,06 et des trains électriques légers; et parce que, d'autre part, ce type de pont est d'un montage très facile.

Les tabliers à poutres droites que préconise la compagnie du Midi, les seules auxquelles on pourait songer sans engager une dépense trop élevée, offriraient des difficultés de montage presque insurmontables, car les courbes de 80 mètres de rayon qui encadrent ces tabliers ne permettent pas l'établissement de plateformes de lançage suffisantes, si ce n'est dans des tranchées de 19 mètres de profondeur sur l'axe et avec des échafaudages de 20 mètres de hauteur à exécuter à grands frais.

En outre, et abstraction faite de la dépense, les difficultés et dangers du lançage, déjà grands pour un tablier de 100 mètres de portée avec poutres de 7 à 9 mètres de hauteur, espacées de 4 mètres seulement d'axe en axe, augmentent ici dans des proportions considérables, si l'on considère que le lançage devrait être opéré sur une pente de 0,06, et, à l'ouvrage similaire à faire à la traversée de la Cassagne sur une rampe de mème déclivité.

Pareille opération, en la supposant réalisable, serait aléatoire et ne saurait être conseillée. Comme d'ailleurs, la compagnie du Midi n'a produit aucun argument de nature à mettre en doute la stabi

lité du nouveau type d'ouvrage proposé; que l'Etat de son côté, doit à la compagnie non un ouvrage de type agréé par elle, mais un ouvrage assurant la sécurité de l'exploitation, que l'ouvrage projeté répond à cette condition, au sujet de laquelle, au demeurant toute garantie est assurée à la compagnie par le cahier des charges supplémentaire du 11 juin 1859, M. l'ingénieur en chef du contrôle propose l'adoption, en principe, pour les deux ouvrages à construire, du type d'ouvrage présenté par MM. Gisclard et Arnodin. L'examen du projet ne donne, d'ailleurs, lieu à aucune réserve de sa part en ce qui touche la partie métallique. Il propose seulement quelques modifications de détail aux maçonneries, et surtout un ancrage plus solide et plus facile à visiter que celui qui est projeté, en prenant appui, non seulement dans les culées prévues, mais dans le roc même de la vallée.

Les modifications qu'il propose ne changeront pas le montant de l'estimation totale du projet qui est de 1.200.000 francs, mais modifieront un peu la répartition entre l'entreprise et la somme à valoir.

Il propose en conséquence, l'approbation du projet des deux ponts Gisclard étudiés pour la traversée de la Têt à Fontpédrouse et à la Cassagne, sur la ligne de Villefranche à Bourg-Madame, sous des réserves relatives à l'amarrage des câbles et à quelques détails relatifs aux piles et culées; l'approbation des modifications qui en résulteront au détail estimatif, dont le total resterait fixé à 1.200.000 francs, étant réservée à M. le directeur du contrôle.

Les pièces écrites du marché à passer avec M. Arnodin, constructeur, pour l'exécution des deux ouvrages susvisés, devront être soumis à l'approbation de M. le ministre des travaux publics.

M. le directeur du contrôle adopte ces conclusions.

OBSERVATIONS DE LA COMMISSION

Les ponts suspendus rigides se prètent à des dispositions aussi variées que les ponts supportés. Le tout est, parmi toutes les dispositions qu'on peut imaginer, de faire un choix avantageux.

M. Gisclard s'est attaché exclusivement aux systèmes strictement déterminés ou librement dilatables, c'est-à-dire aux arcs à trois rotules et simplement triangulés, et, parmi ces arcs à ceux dont les membrures principales ne travaillent qu'à l'extension et tels, en outre, que si, parmi les membrures secondaires il en est qui travaillent à la compression pour certaines charges, elles travaillent de même pour toutes les charges.

Il a indiqué le moyen de constituer et de calculer les systèmes satisfaisant à ces diverses conditions.

Leurs avantages pratiques se conçoivent aisément.

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1o Avantages communs à tous les ponts suspendus. Chaque ferme est, par elle-même, en équilibre stable, tandis que les fermes supportées ne sont en équilibre que grâce à leurs liaisons mutuelles. Donc, économie des pièces constituant ces liaisons et, de plus, absence des efforts dits secondaires et souvent importants et nuisibles, ou tout au moins difficiles à calculer auxquelles elles donnent lieu.

2o Avantages communs à tous les systèmes librement dilatables. -Pas d'efforts supplémentaires dus aux effets de la chaleur d'où économie de matière; facilité et sûreté des calculs de résistance, d'où possibilité de plus de hardiesse, se traduisant soit par une économie de matière, soit par la possibilité de portées plus grandes. 3o Avantages dus à ce que les pièces principales ne travaillent qu'à la tension. Possibilité de longues pièces sans avoir à les renforcer pour éviter le flambage, d'où encore une économie de matière ou une extension des portées usitées. C'est cette dernière condition qui caractérise surtout les systèmes de ponts de M. Gisclard, et son mérite est d'avoir indiqué comment il faut s'y prendre pour s'assurer qu'elle est remplie. A la vérité, les ingénieurs ont

souvent à établir des ouvrages avec la condition que les forces élastiques qui s'y développent conservent toujours, en tout ou en partie, le même signe. La théorie du noyau central, qu'on enseigne dans les cours de résistance des matériaux a précisément pour objet de fournir le moyen de vérifier s'il en est ainsi. La question se présente, notamment, dans tous les ouvrages en maçonnerie, lorsqu'on fait abstraction de l'adhérence du mortier. On ne peut alors admettre que des compressions. Il s'ensuit qu'un pont en maçonnerie à trois articulations et, par suite, librement dilatable, est, en fait, un pont Gisclard renversé.

Le pont Alexandre Il est aussi à trois rotules et, comme on voulait y employer l'acier moulé il a également été établi de façon à ne comporter que des compressions. Donc son image dans l'eau. serait un système librement dilatable ne supportant que des tractions. Ce serait un pont Gisclard et si l'on y remplace l'âme pleine par un système triangulé, on a le pont Gisclard pur, sinon sous sa forme théorique la plus générale, du moins sous la forme la plus. courante sous laquelle on se le représente d'après les travaux, d'ailleurs très remarquables, publiés par l'auteur (voir Annales des Ponts et Chaussées 1899, page 180.)

Pourtant l'ouvrage qui nous est présenté aujourd'hui, sans déroger aux conditions qui viennent d'être indiquées, offre un aspect bien différent. Dans cette nouvelle expression du concept de M. Gisclard on reconnaît la collaboration de M. Arnodin.

M. Arnodin tout en adoptant pleinement les idées théoriques de M. Gisclard, a, et cela est bien naturel et peut être même heureux au point de vue de l'application pratique, cherché à réaliser ces idées sans cesser de faire emploi des éléments de structure qu'il a l'habitude de fabriquer et qu'il sait employer avec une grande maîtrise; c'est-à-dire les longs câbles à torsions alternées, avec les culots dans lesquels il en enchâsse les bouts, les étriers qui servent à les relier à des articulations, les écrous qui permettent de les régler. C'est pourquoi le système, tout en restant simplement triangulé, au lieu d'être formé de triangles compris entre un intrados et un extrados, l'est par des triangles dont les côtés tous issus des sommets des deux pylônes, sont complétés par un polygone de

base savamment calculé par M. Gisclard de façon qu'aucune pièce ne puisse jamais se détendre par les charges que l'ouvrage aura à supporter.

Pour chacune des travées extrêmes le polygone se réduit en fait, à une parallèle au tablier. Cela prouve que, dans les travées extrêmes, on pourrait, si on le voulait, supprimer les tiges de suspension et les constituer uniquement par le tablier directement soutenu par des haubans.

Une bonne partie de la travée centrale, à partir de chaque pile, est dans le même cas. Au fond, si tout l'ouvrage était réduit au tablier soutenu par des haubans, les conditions recherchées par M. Gisclard seraient pratiquement remplies, dans le cas qui nous occupe.

Mais le système suppose que les haubans sont tendus en ligne droite, ce qui est loin de la vérité pour ceux surtout qui courent vers le milieu de la travée centrale. Les deux haubans qui vont à l'articulation centrale ont de 81 à 82 mètres de longueur. Ils supportent la tension maximum de 20 kilogrammes par millimètre carré. Même sous cette tension, leur flèche ne serait pas de moins de 0,32. Sous les charges courantes, où la tension serait beaucoup moindre, la flèche serait bien plus grande encore. Elle diminue naturellement, pour les haubans successifs, du milieu aux deux extrémités de la travée centrale et de l'extrémité à l'origine de chaque travée de rive.

On conçoit que la triangulation faite avec des côtés présentant de telles courbures serait loin d'assurer l'indéformabilité de l'ouvrage. On pourrait peut-être l'admettre sur une route, où les véhicules sont légers relativement au poids propre de l'ouvrage et circulant avec des vitesses moindres. Mais ici le tablier, y compris la voie, pèse 2.037 kilogrammes par mètre courant, et le train. d'épreuve pèse 3.140 kilogrammes par mètre courant. Même par son passage lent, les variations de flèches, s'ajoutant aux variations élastiques des longueurs des cables, donneraient des oscillations inadmissibles que les effets dynamiques augmenteraient encore. C'est pour parer à ce grave inconvénient qu'on emploie la suspension Ordish.

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