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I.-Les Constitutions du Canada-Etude politique,

Par M. A. D. DECELLES.

(Lu le 29 mai 1900.)

I

Au printemps de l'année 1215, se tenait dans la plaine de Runymède une assemblée à jamais mémorable dans les annales des luttes politiques anglaises. Sous la pression des barons normands, le roi Jean sans Terre signait l'acte constitutionnel connu sous le nom de Grande Charte. Là étaient inscrits et reconnus par le monarque récalcitrant les droits qui constituent la base des libertés dont jouit l'Angleterre.

Il est rare qu'un peuple fasse d'emblée la conquête de ses droits. Les successeurs de Jean sans Terre chercheront à se débarrasser de cette charte, et ce ne sera que bien tard dans l'histoire de l'Angleterre, que la royauté cessera de s'attaquer à l'arche sainte des libertés britanniques. Il devait couler du sang de ces barons normands dans les veines des Canadiens qui, au lendemain de la conquête du Canada, revendiquaient ces. droits, devenus depuis notre patrimoine, et les faisaient inscrire dans un acte du parlement de la Grande-Bretagne.

A la place du roi Jean sans Terre, nous eûmes ici une clique d'individus affamés de persécution, assoiffés de places, espèces de bêtes de proie, venus au Canada dans le dessein d'accaparer le pouvoir pour l'exploiter à leur profit exclusif. Il fallut bien des années de luttes, une persévérance inlassable chez nos pères, pour rogner les griffes à nos envahisseurs qui, sans avoir été à la bataille, s'arrogeaient le privilège d'être au profit de la conquête.

De temps à autre, il s'élève parmi nous des discussions sur l'origine de nos droits. D'un côté, l'on prétend qu'ils découlent des capitulations de Québec et de Montréal, de l'autre qu'ils nous sont venus à titre gracieux de la couronne britannique. Il importe d'étudier froidement cette question, en dehors de tout parti pris, à la seule lumière de la vérité historique. C'est ce que nous nous proposons de faire dans les pages qui suivent, avec l'espoir que ceux qui viendront après nous arriveront comme nous à la conclusion que nos droits dérivent: 1° du traité de Paris ratifiant les capitulations de Québec et de Montréal; 2o du droit des gens, et 3o de notre qualité de sujets britanniques.

Notre travail sera comparativement facile, car il s'appuiera sur les opinions des conseillers du roi Georges III et sur leurs rapports, qui ont fini par prendre corps dans le statut de Québec de 1774, lequel donne droit de cité aux lois civiles françaises au Canada et ratifie l'article du traité

de Paris (1763) relatif au libre exercice de la religion catholique. Ce statut, c'est bien notre grande charte à nous, Canadiens. On verra avec quelle largeur de vue, avec quelle générosité, ces hommes d'élite du siècle dernier ont envisagé notre position; et il convient à nous, qui profitons de leur politique, de rendre hommage à l'esprit élevé qui les mit à l'abri des étroits préjugés de race et de religion.

Il importe d'autant plus de nous acquitter de ce devoir, que nous sommes loin de trouver partout, en ces derniers jours d'un siècle qui s'intitule prétentieusement siècle de lumière, l'impartialité et le sentiment de l'équité qui avaient cours en Europe, surtout en Angleterre, il y a plus de cent ans. Que disons-nous! Si nous remontons le cours des âges, nous trouvons chez les Romains des notions plus justes, plus en rapport avec le droit des gens que celles qui constituent le bagage politique d'une foule de nos contemporains. N'est-il pas navrant de constater avec quelle lenteur progresse l'esprit humain?

D'après la conception que nous aimons à nous faire de nos droits, ils découlent de trois sources différentes. Le droit des gens nous a valu nos lois civiles et nos coutumes. Les capitulations de Québec et de Montréal nous garantissent le libre exercice de notre religion, et enfin nous tenons de notre qualité de sujet anglais nos droits politiques.

Il y a des gens qui s'imaginent, avec une générosité conforme à leur passion, que conquérir un pays par les armes donne des droits absolus sur le vaincu. C'est là une notion bien démodée qui aurait fait sourire de pitié les contemporains de Salluste et de Cicéron. "Nos pères, disait ce dernier, n'enlevaient à l'ennemi que le pouvoir de nuire." Neque victis quidquam, preter injuriæ licentiam, eripiebant.

Grotius qui, le premier, a recueilli les principes épars du Droit de Guerre et de la Paix pour en faire un code de lois internationales acceptées par toutes les nations modernes, Grotius pose en principe que la conquête ne confère sur le pays conquis que le droit de souveraineté. Avec le changement du pouvoir suprême se produit un changement d'allégeance pour le peuple qui reste en possession de ses lois, de ses biens et de ses coutumes.

La première édition des œuvres de Grotius parut en France sous le règne de Louis XIII auquel elle fut dédiée. En 1724, la première édition française sortit des presses de Pierre de Croup, d'Amsterdam, sous les auspices de Georges Ier d'Angleterre, qui, comme l'on sait, ne parlait pas la langue de ses sujets, mais connaissait parfaitement le francais. Les ministres de Georges III étaient fort versés en droit international, car ils citent souvent Grotius au cours de leurs débats sur la question des réclamations des Canadiens. Les conseillers du roi qui, à la suite de la conquête, s'occupent les premiers du sort des Canadiens dans le but de l'améliorer sont MM. de Grey, procureur général, et Yorke, solliciteur général. Leur rapport (1766) sur notre situation ne nous est pas parvenu,

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