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d'un fanatisme intéressé, une concentration des forces anglaises des deux provinces. De la crainte d'un conflit entre les alliés naquit le plan d'une confédération des colonies anglaises.

L'idée n'était pas nouvelle : il en avait souvent été question depuis une vingtaine d'années, mais elle ne s'était jamais présentée sous une forme tangible. L'impasse où l'on était acculé, la rendit acceptable.

hommes publics étant en quête d'un expédient pour sortir d'une situation tendue, le projet d'unir toutes les provinces anglaises vint à point pour le fournir.

On a blâmé les chefs canadiens-français d'alors d'avoir accepté la confédération. On a eu tort. Nous ne pouvons pas rester à l'écart des grands mouvements d'opinion dans ce pays. Si nous n'avions pas participé à la création du nouvel ordre de choses, il se serait fait sans nous et probablement contre nous.

Le succès de la confédération, au point de vue matériel, tient du merveilleux. Aucun pays au monde n'a eu, depuis 1867, un élan aussi considérable que le nôtre vers la prospérité. Il n'y a qu'à jeter les regards autour nous pour constater le développement de la fortune publique. Nous n'avons pas à redouter la comparaison, même avec les Etats-Unis qui symbolisent aux yeux du monde le progrès matériel. Or, pour ne citer qu'un fait qui appuiera notre assertion, nous attirerons l'attention sur l'ensemble des importations et des exportations des Etats Unis, qui ont été, en 1899, d'un milliard neuf cent millions, pour une population de 70 millions. L'ensemble de notre commerce se chiffre, pour la même période, à 321 millions, avec une population de 5 millions: proportionnellement nous avons fait pour 131 millions d'affaires de plus que nos voisins.

Il nous est survenu, à nous, Canadiens-Français, sous le régime actuel, un surcroît de liberté. On parle, en certaines régions, de ce qui serait l'idéal pour nous une république française sur les bords du Saint-Laurent. Il serait difficile d'établir la somme des libertés que nous donnerait en outre de celles dont nous jouissons le régime rêvé. Que pouvons-nous désirer de plus en fait de libertés religieuse et politique que ce que nous avons au parlement de Québec? Nos lois, le contrôle absolu sur l'enseignement, tout est de notre domaine absolu. On ne pourrait modifier ce régime de libertés que pour les restreindre.

Le

Qu'on ne nous accuse pas de voir tout en rose autour de nous. Nous ne fermons pas les yeux sur les points faibles de notre état politique. système inauguré en 1867, après une discussion prolongée qui cependant n'en fit pas paraître tous les inconvénients, possède les qualités et les défauts du système fédératif en général. Ces qualités et ces défauts s'adaptent aux besoins d'un pays prospère que ses vastes ressources et ses réserves de terres colonisables mettent à l'abri des crises sociales. A sa base se trouve un principe en vertu duquel les provinces ou Etats confédérés consentent à se départir d'une partie de leur souveraineté et de leurs.

attributs pour créer au-dessus d'elle un autre Etat, leur supérieur. Il s'établit de la sorte un dualisme qui scinde, pour ainsi dire, en deux fractions la volonté nationale, exposée en de certaines circonstances, à se diviser contre elle-même, ce qui nous expose à faire entrer le péril en la demeure. Ne pouvons-nous pas reprocher également à ce système de constituer au centre un grand pouvoir en apparence et de le laisser désarmé vis-à-vis de ses subordonnés ? Il est de l'essence de tout gouvernement d'avoir à son sommet une volonté qui s'exerce et les moyens de faire respecter cette volonté. Or, où trouverions-nous, dans le système fédératif, les forces à la disposition du pouvoir central? Il en a coûté à nos voisins de la grande République des milliers d'existence humaines et des millions de dollars pour essayer de résoudre ce problème.

Il nous semble à propos de bien indiquer le défaut capital du système fédératif pour conclure qne cette forme de gouvernement ne convient qu'aux peuples bien équilibrés, et bien sages, car il ne redoute rien autant que les coups de force et les heurts. Plus que tout autre, ce régime présume chez la nation de l'intelligence, de la modération, le respect des droits de chacun, le sens politique qui montre la nécessité des compromis dans les chocs inévitables d'intérêts contraires.

Le conflit qui s'est produit, en 1861, aux Etats-Unis entre les droits des Etats particuliers et le gouvernement de Washington, et que l'on sentait venir depuis soixante ans est un avertissement pour tous les pays de régime semblable au leur. Nous n'en sommes point là, heureusement, mais n'est-il pas regrettable qu'un incident comme celui de la question des écoles du Manitoba ait pu se produire parmi nous ?

N'est-il pas d'un fâcheux exemple que la plus petite province ait pu défier le pouvoir central qui la mettait en demeure de se conformer aux ordres du conseil privé de Londres, la plus haute autorité judiciaire de l'empire?

Il nous paraît important de noter cet incident du Manitoba pour en signaler le caractère dangereux, et démontrer les fâcheuses tendances. d'esprit qui existent chez une certaine partie de notre population. Cet incident a fait voir comment la volonté nationale pouvait se scinder et se diviser contre elle-même. Pareille chose ne saurait se produire dans un pays unifié.

Il importe donc au plus haut degré de prévenir le retour de conflits semblables à celui que nous venons de rappeler. Il est du devoir de tous les hommes qui ont de l'empire sur les différentes parties de notre population, de lui faire comprendre quel jeu dangereux on joue lorsque l'on empiète sur les droits du voisin et combien nos institutions sont peu faites pour subir des chocs violents. Elles ne peuvent vivre qu'en s'appuyant sur le respect des libertés garanties à chacun, sur l'esprit de tolérance, sur un vif sentiment des égards que se doivent réciproquement les partis, sur des mesures politiques conformes à l'esprit de notre constitution qui, dans la pensée de ses auteurs, devrait assurer la liberté de tous.

La succession de nos différents régimes politiques n'a été en définitive, qu'une suite de compromis et d'expédients, imaginés pour parer à des dangers survenus inopinément. Les expédients en matière de gouvernement ne se présentent pas toujours lorsqu'on les cherche. Il semble que la confédération est bien le terme de notre évolution dans les limites du régime constitutionnel anglais. La sagesse de nos hommes d'Etat serait mise à une rude épreuve s'il leur fallait chercher une nouvelle combinaison. A Dieu ne plaise qu'ils ne soient jamais réduits à cette dure extrémité.

II.--Le Clergé canadien et la Déclaration de 1732.

Par M. L'ABBÉ AUGUSTE GOSSELIN, docteur ès lettres.

(Lu le 29 mai 1900.)

En parcourant les nombreuses ordonnances royales concernant le Canada-il y en a plus de deux cents-publiées dans le premier volume de nos Edits et Ordonnances, on en trouve une, du 19 février 1732, qui ne peut manquer d'attirer l'attention et d'exciter la surprise du lecteur quelque peu soucieux de l'honneur de l'Eglise. Elle a pour titre: "Ordonnance au sujet des Déserteurs et autres qui se sauvent dans les Couvents".1

Aux archives du ministère de la marine, à Paris, cette pièce est intitulée: "Déclaration du Roy, concernant les perquisitions, dans les maisons religieuses de la Nouvelle-France, des gens prévenus de crimes, et la forme dans laquelle ces perquisitions doivent se faire"; et c'est aussi sous ce titre qu'elle est généralement désignée dans la correspondance de l'époque.

Au Canada, les autorités civiles, qui ont demandé et obtenu cette ordonnance, lui donnent un titre qui mentionne spécialement les coupables qu'elles ont voulu atteindre, savoir les déserteurs, les militaires qui quittaient le service sans congé et allaient, disait-on, se cacher dans les couvents. A Paris, le titre de la déclaration est plus général, plus conforme au texte de la déclaration elle-même, qui défend aux maisons religieuses de" donner asile à tous déserteurs, vagabonds, et gens prévenus de crimes".

C'est donc à dire qu'à une certaine époque, d'après ce document, l'on ne se gênait pas au Canada, dans les couvents ou maisons religieuses, de donner asile aux vagabonds, aux gens prévenus de crimes, "pour les faire échapper à la justice"! Le mal était devenu, paraît-il, si fréquent, si général, "si dangereux pour la sûreté publique de la colonie", que le roi se vit obligé de rendre une ordonnance pour régler la manière dont on devait faire, dans les maisons religieuses de la Nouvelle-France, "les perquisitions des gens prévenus de crimes", puis le procès des ecclésiastiques ou religieux qui auraient ainsi essayé de soustraire des criminels à la justice.

Quelle singulière idée cette ordonnance ne nous donne-t-elle pas de la manière dont le clergé canadien d'alors, ou du moins certains membres du clergé entendaient leur devoir, puisqu'elle nous les montre disposés à protéger les coupables contre les poursuites de la justice, en leur procurant un asile dans les couvents et les maisons religieuses!

"Nous sommes informé, dit le roi, qu'il se trouve (dans notre pays de la Nouvelle-France) des ecclésiastiques et des religieux qui, par un 1 Edits et Ordonnances, t. I, p. 528.

zèle indiscret, contribuent à faire échapper des coupables à la justice, et qui ne font point de difficulté de procurer à ces coupables un asile dans des maisons religieuses. Il est nécessaire, ajoute-t-il, d'empêcher des abus si contraires à notre autorité et si dangereux pour la sûreté publique de la colonie; et c'est à quoi nous avons résolu de pourvoir en conservant en même temps aux maisons religieuses les marques de notre attention."1

Puis, sur une simple information venue peut-être de gens intéressés, ou aigris, ou alarmés outre mesure, le monarque procède solennellement, et "avec une science certaine ", à l'énoncé des six articles de sa déclaration :

"A ces causes, dit-il, et autres à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, avons dit, déclaré et ordonné, et par ces présentes signées de notre main disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit:

"Article I.-Deffendons à tous curés, ecclésiastiques et communautés séculières et régulières de l'un et de l'autre sexe de retirer et donner asile à tous déserteurs, vagabonds et gens prévenus de crimes, sous peine de privation de nos bienfaits, de saisie de leur temporel et d'être déchus de leurs privilèges.

"Article II.-Voulons néanmoins que les huissiers ou sergents porteurs de décrets de prise de corps ne puissent sous aucun prétexte entrer dans les maisons religieuses, si ce n'est en cas de soupçons apparents et bien fondés que ceux dont ils font la perquisition y sont réfugiés.

"Article III.-En cas de soupçons de refuge apparents et bien fondés, ordonnons que les dits huissiers ou sergents ne pourront entrer dans l'intérieur des dites maisons, qu'après en avoir obtenu la permission de l'évêque ou de l'un de ses grands vicaires.

"Article IV.-Les dits huissiers ou sergents seront aussi tenus de se faire assister dans les dites visites du juge ordinaire des lieux, lequel avertira un des prêtres des dites maisons d'y être présent, et fera mention dans le procès-verbal qui sera dressé, de la présence d'un des dits prêtres, ou des causes de son absence, soit pour refus ou autrement.

"Article V.-Pourront néanmoins les dits huissiers ou sergents, sans la permission de l'évêque ou grand vicaire, dans les cas urgents dans lesquels ceux dont ils feront la perquisition pourraient s'évader, entrer dans les dites maisons religieuses, assistés d'un juge et en présence d'un des prêtres, ou le dit prêtre de ce interpellé."

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Article VI.-En cas de contravention aux articles ci-dessus, voulons que nos juges ordinaires en connaissent, leur en attribuant en tant que de

1 Cette dernière partie de la phrase se lit dans la copie manuscrite aux archives de la marine: elle est omise dans le document imprimé dans les Edits et Ordonnances. Pourquoi? Est-ce qu'au Canada on aurait préféré que le roi ne mentionnât pas les marques de son attention " pour le clergé ?

2 Ces mots ou le dit prêtre de ce interpellé sont omis dans les Edits et Ordon

nances.

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