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CHAPITRE VIII.

Ouverture DE LA SESSION DU CORPS législatif.

- EXPOSÉ DE LA SITUATION DE L'EMPIRE.

Le corps législatif tient sa première séance le 14 février. A peine la tribune nationale est-elle ouverte, que l'empereur y monte: « Je désire la

paix, dit-il; elle est nécessaire au monde : » mais je ne ferai jamais qu'une paix honorable >> et conforme aux intérêts de la grandeur de » mon empire. Une mauvaise paix nous ferait >> perdre jusqu'à l'espérance. »

Cette constance au milieu de tant de malheurs ne vient pas seulement d'une résolution opiniâtre de ne céder jamais à la fortune, mais d'une profonde connaissance de ses forces et des forces ennemies'. Dès les premiers momens de son retour il a tout calculé; il a mesuré lui-même ses besoins dans toute leur étendue; il a fait lui

'Bossuet, Révolutions des empires, p. 387.

même le relevé de tout ce qui lui reste de ressources. « Voyons, examinons, a-t-il dit à ses >> ministres : l'empire est-il énervé, appauvri, » dépeuplé, comme on affecte de le dire? Ne » me dissimulez rien; il faut que je sache le vé» ritable état des choses. » Et aussitôt on a interrogé tous les cartons; on lui a remis sur toutes les parties les états les plus détaillés; il les a étudiés avec un soin extrême, les a comparés, vérifiés, et voici sous quel aspect la France s'est présentée à ses regards.

Malgré vingt ans d'une guerre acharnée, la population de la vieille France s'est accrue d'un dixième, et l'empire, avec les acquisitions qu'il a faites, présente une population totale de quarante-deux millions d'habitans ".

'L'augmentation considérable que la population de la France a reçue depuis 1800 réfute, de la manière la plus victorieuse, «< ces vaines déclamations propagées par l'i>> gnorance ou la haine qui ont fait croire à l'Europe, en » 1814, qu'il n'y avait plus d'hommes, plus de bestiaux, plus d'agriculture, plus d'argent en France; que le peuple était réduit au dernier état de misère; qu'on ne » voyait plus dans les campagnes que des vieillards, des » femmes et des enfans.... La France alors était le pays le

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plus riche de l'univers; elle avait plus de numéraire

que le reste de l'Europe réuni. » ( Mémoires de Napoléon, écrits par le comte de Montholon, t. 1, p. 58.)

« Les produits de l'agriculture ont suivi les >> développemens de la population. Les assole» mens sont mieux entendus. Les améliorations » de cette partie sont dues à la révolution, qui » a changé en propriétaires une multitude de >> familles prolétaires. >>

En ajoutant au produit de nos récoltes celui des vins, des bois, des bestiaux, etc., on trouve un revenu total de cinq milliards en matières brutes et premières. L'accroissement que ce premier produit obtient par la main-d'oeuvre et la fabrication n'est pas moindre de treize cents millions.

L'ensemble des nouveaux produits, qui sont la conquête de l'industrie et de la chimie moderne, peut être évalué à soixante-cinq millions.

Enfin, les deuxième et troisième degrés de fabrication, et la perfection des dernières mainsd'œuvre produisent un supplément de revenu qui porte à sept milliards la valeur de la reproduction annuelle en France. Telle est la masse des richesses que le commerce français exploite; et, si nous recherchions tous les détails, nous pourrions arriver à un produit annuel de dix milliards.

« La balance du commerce, en 1788, n'of>> frait que soixante-quinze millions à l'avantage

>> de nos exportations: c'est l'époque ancienne » la plus favorable à la France, et la mer était » ouverte. Aujourd'hui cette balance est de cent >> vingt-six millions en notre faveur, et la mer » est fermée. Il faut bien en conclure que nous >> introduisons beaucoup moins de matières pre» mières qu'autrefois, et que nous exportons >> beaucoup plus d'objets manufacturés. C'est >> dire d'une autre manière que les produits de >> notre sol ont augmenté, et que nos manufac»tures se sont perfectionnées. >>

Au total, l'empire est sans doute fatigué par de si longues guerres; mais il n'est point affaibli. Les ressources sont immenses. On peut donc opposer de nouveaux efforts à ceux que nos ennemis, animés par le succès, voudront faire encore... Mais la confiance que cet état prospère rend à l'empereur, il veut la faire partager à ses peuples; nos malheurs mêmes vont servir à faire ressortir la puissance de la France. Dans ce dessein, Napoléon ordonne que le public soit mis dans la confidence de tous les élémens de ses calculs; il veille à ce qu'aucun détail ne soit omis, et plus les résultats sont satisfaisans, plus il semble se complaire dans ce travail, qui le relève à ses propres yeux. Aux désastres de la dernière campagne il va opposer les succès d'une

administration intérieure qui seule suffirait pour l'absoudre des malheurs de la guerre. Aux craintes qu'on affecte d'avoir de son esprit belliqueux il va opposer une suite d'entreprises et de travaux pacifiques qui le préserveront à jamais de toute comparaison flétrissante avec les conquérans. Enfin il va révéler les projets auxquels il a véritablement attaché sa gloire et son ambition; et dans ce moment, où les alliés prétendent n'avoir d'autre sûreté contre lui que la guerre, il va leur montrer avec complaisance tout le besoin qu'il a lui-même de la paix.

Cet exposé de la situation de l'empire est le dernier que l'empereur ait fait faire. C'est le testament politique de son administra

tion.

Le comte Montalivet, ministre de l'intérieur, est chargé de dérouler cet imposant tableau, où les prestiges d'une vaine éloquence sont remplacés par la réalité des chiffres et par l'exactitude des comptes. Des développemens statistiques, quelque riches qu'ils soient, ne sauraient trouver place dans notre récit; mais ne nous refusons pas à jeter un regard sur la partie brillante de ce travail. Entrons un moment dans la pensée de Napoléon; quelques lignes vont suffire

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