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Hic ego qui jaceo miser et miserabilis Adam,
Unam pro summo munere posco precem :
Peccavi, fateor, veniam peto, parce fatenti;
Parce, pater, fratres, parcite, parce, Deus 1.

rière remarquable. Ces distiques, dans lesquels le poète fait si peu de cas de sa propre gloire, nous servent aujourd'hui à lui en payer un nouveau tribut, et cela par une juste et providentielle rémunération. Les cendres d'Adam de Saint-Victor furent dispersées lors de la destruction de l'abbaye. Un chaudronnier s'empara de la plaque de cui

Nous doutons qu'on puisse trouver dans aucun morceau de poésie antique sur un sujet analogue une expression plus élevée de tristesse suprême, un meilleur choix de mots et une plus grande pureté de forme. Le sentiment chrétien qu'il est si doux de rencontrer chez un homme de génie, l'humiliation du pécheur qui s'accuse encore sur le passage de son père abbé et des moines ses frè- vre sur laquelle était gravée res, après avoir été couché dans le tombeau, le dogme consolant de la réversibilité des prières, notre prosopopée à nous autres chrétiens, sont rendus d'une ma

l'épitaphe, et il allait la fondre, lorsque l'abbé Petit-Radel l'acheta et la déposa à la Bibliothèque Mazarine, où on la voit

encore.

La plupart de ces séquences ont été chantées pendant près de quatre cents ans. Elles ont disparu de nos Graduels vers le xvie siècle. Cependant on en a conservé quelques-unes dans les livres d'église à l'usage de Paris, et on n'a pas cessé de chanter chaque année dans ce diocèse, le jour de la Dédicace, la belle pièce Jerusalem et Sion filiæ, composée au XIe siècle par le religieux inspiré de SaintVictor.

Pendant que notre travail sur Adam de Saint-Victor était sous presse, nous avons appris avec joie qu'un écrivain, admirateur comme nous des poésies du moyen âge, devait devancer de quelques jours notre publication. En effet, M. Charles Barthélemy vient de donner en appendice à sa traduction du Rationale Divinorum Officiorum, par Guillaume Durand, les trente-huit séquences d'Adam de Saint-Victor. C'est un acte dé réparation envers un génie trop longtemps méconnu, et nous ne voulons pas laisser échapper cette occasion qui s'offre à nous d'en féliciter l'auteur.

Lothaire, depuis Innocent III, naquit vers l'an 116. Il était fils de Trasmondo, comte de Segni, et de Claricie, dame noble Romaine. Il fit ses études à l'Université de Paris sous la direction de Pierre de Corbeil. Les progrès rapides qu'il y fit dans toutes les branches des connaissances humaines lui rendirent cette Université particulièrement chère; devenu pape, il la dota de plusieurs priviléges et la recommanda spécialement à la sollicitude de son ami le cardinal Robert de (ourçon. Innocent III lisait les auteurs grecs dans leur langue originale et se délassait, par la lecture des poètes anciens, des fatigues de son gouvernement. Il fut élu successeur de saint Pierre malgré sa résistance, en 1198, à l'âge de 37 ans. Il a été en quelque sorte l'ame du monde chrétien pendant les dixhuit années de son jontificat. Nulle affaire importante n'a eu lieu en Orient ou en Occident dont il n'ait é é ou ne se soit fait le négociateur ou l'arbitre. Il ouvrit en 1215 le douzième concile général, le quatrième de Latran, et il y prédit sa mort prochaine, qui arriva à Pérouse, le 16 juillet 1216. Un des principaux ouvrages de ce grand pape, quoique écrit en prose, est presque un poème. On trouve dans le De contemptu mundi la tristesse lyrique de Job et énergie laconique du Dante. Le Veni, sancte Spiritus, le Stabat mater lui ont été longtemps attribués, mais sans fondement sérieux. Innocent III semble avoir représenté en sa personne tout ce qu'il y a eu d'admirable chez les grands hommes de son temps; la piété fervente et le zèle réformateur, dévouement, l'enthousiasme, la politique, I héroïsme de saint Dominique, de saint François d'Assises, de sainte Claire, du B. Pierre de Castelnau, de Foulque de Neuilly, de Philippe-Auguste, de Baudouin de Flandre, de Simon de Montfort et de Richard Coeur-de-Lion, dignes précurseurs de saint Ferdinand de Castille, de saint Antoine de Padoue, de sainte Elisabeth, de saint Thomas d'Aquin, de saint Bonaventure et de saint Louis.

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ch. III, v. 2 et suivants. Le buis- 3 Les deux vers que renferme son qui brûlait sans se consumer cette strophe ont dix syllabes et préfigurait la virginité inaltéra- la pénultième brève.

ble de la Mère de Dieu.

1 Même rhythme que les deux dernières strophes de la séquence Heri mundus exultavit (Voyez, page 468, note 5) avec cette différence que les vers de huit syllabes riment intérieurement à la quatrième syllabe.

2 Cette strophe a le même rhythme que la septième strophe de la séquence Heri mundus exultavit. Voyez, page 466,

note 1.

Cette strophe renferme six vers qui ont six syllabes et la pénultième brève. Le premier vers rime avec le deuxième, le quatrième avec le cinquième, et. le troisième avec le sixième.

Les six vers de cette strophe sont des ïambiques dimètres libres, liés trois à trois par des rimes plates.

6 Vers iambiques dimètres libřes, liés deux à deux par des rimes plates.

Pierre de Corbeil enseigna d'abord la théologie dans l'Université de Paris, et compta Innocent III au nombre de ses disciples. Ensuite il fut nommé successivement évêque de Cambrai et archevêque de Sens en 1200. Ce prélat, illustre par sa science et par sa piété, mourut le 3 juin 1222, six ans après la mort du grand pape son élève.

Trinitas'.

Trinitas, deitas, unitas æterna.
Majestas, potestas, pietas superna.

Sol, lumen et numen, cacumen, semita.

Lapis, mons, petra, fons, flumen, pons et vita.

3

Tu sator, creator, amator, redemptor, salvator luxque perpetua.

Tu tutor et decor, tu candor, tu splendor et odor quo vivunt

mortua.

Tu vertex et apex, regum rex, legum lex et vindex, tu lux angelica.

Quem clamant, adorant; quem laudant, quem cantant, quem amant agmina cœlica.

salva

Tu Theos et heros, dives flos, vivens ros, rege nos, nos, perduc nos ad thronos superos et vera gaudia. Tu decus et virtus, tu justus et verus, tu sanctus et bonus, tu rectus et summus Dominus, tibi sit gloria.

Le « Trinitas » ainsi que son nom l'indique, est une doxologie en l'honneur de la sainte Trinité; c'est une accumulation d'épithètes, de qualifications majestueuses et sonores tirées des saintes Ecritures; c'est un cri d'enthousiame et d'amour. Cette composition originale se distingue surtout par la trinité perpétuelle des sons et des syllabes, et par sa division en groupes ternaires. Chantée sous les voûtes de nos admirables

cathédrales du moyen âge, elle produisit des effets vraiment populaires et saisissants. Depuis six cents ans, ce chef-d'œuvre de lyrisme était oublié dans le dyptique en ivoire de la Bibliothèque de Sens, d'où nous l'avons tiré.

2 Les quatre premiers versets ont douze syllabes.

3 Les quatre versets suivants ont vingt et une syllabes.

4 Les deux derniers versets comptent trente-trois syllabes.

La composition du Dies ira a été revendiquée par plusieurs ordres religieux. D'après les autorités les plus compétentes et les plus respectables, entre autres celles de Wading et de M. l'abbé Gerbert, nous l'attribuons à Thomas de Celano, religieux franciscain, né à Celano dans les Abruzzes. Il fut l'ami de saint François d'Assises, partagea ses travaux, fit un voyage en Allemagne pour administrer les couvents de Mayence, de Worms et de Cologne; de retour en Italie, il composa une biographie de saint François. On ne connaît point la date de sa mort. Dès le xive siècle, il passait pour l'auteur de la célèbre séquence, ainsi que l'atteste Bartholomeo Abizzi dans son Liber conformitatum, composé en 1385. Le Dies ira ne pouvait, à cause de la nature même du sujet, sortir d'un seul jet de la plume du poète. Thomas de Celano donna la forme et la couleur à des pensées toujours présentes à l'esprit du chrétien, et s'inspira, comme l'auteur du Stabat Mater, de peintures traditionnelles auxquelles chaque génération de poètes chrétiens venait ajouter un trait. Plusieurs chants très-répandus pendant le moyen âge ont précédé le Dies ira, et renfermaient des expressions et des phrases que Thomas de Celano a reproduites avec la plus haute raison d'abord le Libera, qui peut remonter au XIe siècle; ensuite les vers de la Sibylle sur le jugement dernier, Judicii signum; la séquence tirée du manuscrit de saint Martial de Limoges, Quique de morte redempti estis; celle de Montpellier, Audi tellus; enfin les strophes de saint Bernard, que nous avons annotées plus haut dans ce sens. (On peut consulter, sur l'histoire du Dies ira, l'Harmonie au moyen âge, par M. de Coussemaker, ch. vi.) Nous pouvons affirmer, sans crainte d'être contredit, que le Dies iræ surpasse en sombre énergie et en vérité d'expres sion tout ce qu'anciens et modernes ont composé sur le même sujet. Les saisissantes images de l'épouvante de l'àme prête à paraître devant son Juge, et de la foi qu'elle conserve dans les promesses de la miséricorde divine, s'emparent avec une égale force du cœur et de l'imagination, succès que la vraie poésie seule peut obtenir. Enfin, il faudrait être étranger à tout sentiment littéraire, pour ne point reconnaître que le Dies ira doit sa majesté, sa perfection et toutes ses qualités poétiques à la langue énergique et simple du moyen âge et au rhythme choisi par le poète. Les rimes ternaires, qui font entendre le même son à trois reprises successives, émeuvent l'âme en même temps qu'elles frappent l'oreille, et prolongent, par leur sombre harmonie, l'impression produite par les pensées et par les images.

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