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historiques auxquels ils font allusion, la position des villes, des fleuves, des montagnes, etc., se trouvent également mentionnés. On trouvera aussi dans ces notes de nombreux rapprochements avec les poètes païens de l'antiquité et plusieurs poètes français, une énumération des différentes sortes de vers métriques et syllabiques ainsi que les modifications successives de la quantité et de la poésie métrique, enfin une explication des passages difficiles.

Nous avons adopté l'ordre chronologique pour plusieurs raisons. La littérature chrétienne reçoit toujours le reflet des événements contemporains. Séparer les différents auteurs du siècle qui les a vus naître, c'eût été leur ôter une grande partie de l'intérêt qu'ils excitent. Placés au contraire dans un ordre chronologique, les poèmes et les notices présentent une véritable histoire de la poésie chrétienne, et font connaître par quelle série de trans formations elle s'est peu à peu dégagée des entraves du mètre pour prendre une allure plus simple et plus libre, pour substituer à une quantité minutieuse et devenue impopulaire la numération des syllabes et la rime. La comparaison des formes de la poésie chrétienne, pendant les derniers siècles du moyen âge, avec les formes de notre poésie française jettera quelque jour sur les véritables origines de cette dernière, et prouvera jusqu'à l'évidence tout ce qu'elle doit à cette poésie latine rimée qu'on a décriée avec autant d'injustice que d'ingratitude; avec injustice, parce qu'elle renferme en elle-même des beautés de premier ordre et que sous la plume de saint Bernard, d'Adam de Saint-Victor, de saint Thomas d'Aquin et d'autres, elle a atteint les hauteurs du lyrisme; avec ingratitude, parce que la poésie française lui a emprunté, sans aucun changement, les éléments qui la constituent, c'est-à-dire la numération des syllabes, la

rime, la division du vers en deux hémistiches, les différentes sortes de vers, particulièrement ceux de huit et dix syllabes et notre vers alexandrin, tout enfin, même l'ordre et la succession des vers dans les strophes si variées et si harmonieuses de la poésie lyrique.

Combler dans l'enseignement de la jeunesse une lacune que tant de bons esprits ont constatée, tel est le but de ce livre. Un architecte ne saurait édifier une cathédrale, si, complétement étranger au style chrétien et aux habitudes de notre culte, il ne connaissait que les lois et les convenances de l'architecture grecque et romaine. Comment pourrons-nous, à notre tour, construire dignement l'édifice de nos idées, si nous dédaignons d'acquérir une connaissance, au moins suffisante, de cette période si glorieuse de mille années pendant laquelle l'Église, notre mère, n'a cessé de prodiguer au monde des bienfaits dont nos poètes, ses plus ardents apologistes, nous ont transmis la mémoire?

E POETIS CHRISTIANIS EXCERPTA.

JUVENCUS.

Gaius Vettius Aquilinus Juvencus, prêtre espagnol, vécut sous Constantin. I ne craignit pas, dit saint Jérôme, de faire passer sous les lois du mètre la majesté de l'Évangile. Son poème, qu'il a intitulé Histoire évangélique, fut composé vers l'an 332 de Jésus-Christ. Il excitait l'admiration des auteurs chrétiens les plus illustres, et entre autres de saint Jérôme, de saint Isidore de Séville et d'Alcuin. Juvencus s'attache surtout à suivre saint Matthieu, et le traduit presque mot à mot, en le complétant au moyen des trois autres Evangélistes. Une admirable propriété d'expression, une simplicité de style tout à fait digne de son sujet lui ont valu l'honneur d'être mis, au moyen âge, entre les mains des jeunes gens et de servir à l'éducation publique on pensait alors que l'Évangile ne saurait être lu trop souvent.

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In historiam Evangelicam Præfatio.

Immortale nihil mundi compage tenetur,

Non orbis, non regna hominum, non aurea Roma,
Non mare, non tellus, non ignea sidera cœli :
Nam statuit Genitor rerum irrevocabile tempus,

Quo cunctum torrens rapiet flamma ultima mundum. 5
Sed tamen innumeros homines sublimia facta,
Et virtutis honos in tempora longa frequentant1,
Accumulant quorum famam laudesque poetæ :
Hos celsi cantus Smyrnæ de fonte fluentes,
Illos Minciada 3 celebrat dulcedo Maronis.

Frequentant.» Frequentare est ici le synonyme de celebrare; Sénèque a dit dans un sens analogue: Frequentare memoriam alicujus.

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Smyrnæ. » Smyrne est une

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des villes qui se disputent l'honneur d'avoir donné le jour à Homère. C'est pourquoi ce poète est appelé Smyrnaus rates.

3 « Minciada. » Le Mincio arrose Mantone, la patrie de Virgile.

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Nec minor ipsorum discurrit gloria vatum,
Quæ manet æternæ similis, dum sæcla volabunt,
Et vertigo poli terras atque æquora circùm
Æthera sidereum justo moderamine volvet.
Quòd si tam longam meruerunt carmina famam,
Quæ veterum gestis hominum mendacia 2 nectunt,
Nobis certa fides æternæ in sæcula laudis
Immortale decus tribuet 3, meritumque rependet.
Nam mihi carmen erunt Christi vitalia gesta,
Divinum in populis falsi sinè crimine donum.
Nec metus, ut mundi rapiant incendia secum
Hoc opus hoc etenim forsan me subtrahet igni,
Tunc, quum flammivomâ descendet nube coruscans
Judex, altithroni Genitoris gloria, Christus.
Ergo age, sanctificus adsit mihi carminis auctor
Spiritus, et puro mentem riget amne canentis
Dulcis Jordanis, ut Christo digna loquamur.

Vertigo poli. Polus a pour étymologie Toléo-w, tourner; de là cette expression que l'on trouve aussi dans Ovide, Métamorphoses liv. 11, v. 70:

Adde, quòd assidua rapitar vertigine cœlum, ¡deraque alta trahit, celerique volumine torquet.

2. Mendacia. » Dion Chrysostome a fait un discours pour prouver que Troie n'a point été prise. Virgile est accusé par beaucoup de savants d'avoir altéré et même d'avoir supposé les événements sur lesquels repose l'Enéide. Juvencus donc quelque raison de reprocher aux poètes païens leurs récits mensongers, en opposant à leurs fables la vérité du sujet qu'il a entrepris de traiter.

3 Eternæ.... tribuet. Les poètes se flattent toujours de vivre eternellement dans la mémoire de Ja postérité :

Exegi monumentum ære perennius.

A ce lieu commun si usé, qu'Horace n'a pu rajeunir qu'en sur

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passant par son orgueil tous ses devanciers, Juvencus substitue une pensée bien plus simple, bien plus touchante, parce qu'elle ne répugne pas à l'humilité chrétienne, et qu'elle se fonde sur l'espérance d'être admis à partager le bonheur des élus.

4 « Sanctificus. » L'accent, du temps de Juvencus, prolongeait le son de la syllabe placée à la césure. Les poètes chrétiens, qui n'écrivaient point pour se faire admirer de quelques érudits, mais pour donner au peuple des enseignements utiles et salutaires, adoptèrent la prononciation de leur temps et prirent la liberté d'a!longer cette syllabe, quoique, d'après les règles de l'ancienne prosodie, elle fût brève par position ou par nature. Cette observation, que nous faisons une fois pour toutes, doit s'appliquer aussi au mot Jordanis qui se trouve dans le dernier vers du morceau.

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