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point à la religion des magistrats, et il a toujours pour principe qu'on ne doit pas confondre la demande en cassation avec la voie de l'appel ordinaire. Il est vrai que les plaideurs cherchent souvent à se faire un moyen de la prétendue injustice du fond de la décision; mais il est facile à ceux qui dressent les motifs de juger, par la requête du demandeur en cassation, de la qualité de ses moyens, et de faire un juste discernement de ceux qui peuvent faire impression sur l'esprit du conseil par la contravention à des ordonnances dans le fond même de la décision; et c'est à l'éclaircissement de ces sortes de moyens que l'on doit s'attacher presqu'uniquement dans les cas où la connoissance du fond peut influer dans le jugement de la demande en cassation: plus les motifs sont réduits à ce qui est essentiel, plus ils auront de succès lorsqu'ils paroîtront sous les yeux du conseil, et plus ils feront d'honneur à ceux qui les auront dressés.

Il est bon que vous fassiez part de cette lettre, nonseulement à MM. vos collégues, mais à M. le premier président de votre compagnie, afin qu'il puisse avoir toute l'attention que sa place, et encore plus son amour pour la justice, exigent de lui, à faire en sorte que les magistrats qui dresseront les motifs des arrêts rendus à leur rapport, y travaillent eux-mêmes dans l'esprit que je viens de vous expliquer.

Du 29 juillet 1750.

La question que vous me proposez, par votre lettre du 25 de ce mois (1), est encore plus aisée à résoudre

(1) MÉMOIRE JOINT A CEtte lettre.

LE 7 juillet 1750, le sieur... conseiller en la grand'chambre, rapporta un procès entre la dame veuve des PortesJan, d'une part; le sieur de Kermel-du-Pouilladon, et autres, d'autre part.

Le sieur de Kermel perdit son procès envers toutes les par

que celle sur laquelle la seconde chambre des enquêtes de votre compagnie crut devoir me consulter en l'année 1734. Les principes généraux que j'expliquai alors dans la réponse que je fis à cette consultation, s'appliquent d'autant plus naturellement à

ties; le sieur..... .. rédigea son arrêt, et le mit au greffe trois ou quatre jours après.

Le procureur de la dame des Portes-Jan se disposoit à se retirer, lorsqu'il sut d'une de ses clientes qu'il étoit allé voir qu'elle avoit reçu une lettre, de Lannion, d'une demoiselle de Kermel, sœur du sieur de Kermel-Pouilladon; que cette demoiselle la prioit, au nom de son frère et de sa belle-sœur, qui étoient malades et hors d'état d'écrire, de parler au rapporteur de cette affaire, à laquelle ils se flattoient qu'il appor teroit d'autant plus d'attention, qu'il étoit parent au tiers de la dame de Kermel-Pouilladon.

Le procureur répondit que le procès étoit jugé et perdu, il y avoit déjà quelques jours, et demanda à sa cliente le nom de famille de la dame de Kermel-du-Pouilladon; cette cliente l'ignoroit.

Le procureur vint rendre compte de cette conversation au sieur.........., qui, étonné et inquiet, s'informa des autres procureurs de causes quel étoit le nom de cette dame? Aucun d'eux ne put lui donner d'éclaircissemens. Il s'adressa à quelques personnes de Basse-Bretagne, qui sont à Rennes : une lui dit qu'elle croyoit que le sieur de Kermel-Pouilladon avoit épousé, depuis quelques années, à Lannion, la demoiselle de Kerdunneau Coroller, de qui véritablement le sieur...... est parent au troisième degré; cependant, pour mieux s'assurer du fait, il a écrit à Lannion, d'où il a reçu des lettres qui le lui ont confirmé.

Le sicur...

a exposé les choses à la grand'chambre, et l'a suppliée de lui marquer la conduite qu'il devoit tenir.

Il étoit un parti assez simple, qui étoit de lacérer la minute de l'arrêt, et de remettre le procès à la distribution.

Mais on pensa que l'arrêt acquerroit un droit aux parties, qu'il ne dépendoit pas des juges de leur ôter: d'ailleurs le procureur de la dame des Portes-Jan, qui avoit gagné son procès, avoir dit au rapporteur, au nom de sa cliente, qu'elle ne consentoit point à l'expédient.

La grand'chambre se rappela aussi ce qui se passa en 1734, à l'occasion d'un procès où le sieur... conseiller à la seconde des enquêtes, découvrit, après plus de vingt entrées,

l'espèce présente, qu'il s'agit ici d'une affaire jugée définitivement à la pluralité des suffrages, et dont le jugement est entièrement consommé. Si tout ce qu'un juge a fait dans le temps qu'il ignoroit la cause de récusation qui devoit le porter à s'abstenir de lui

qu'il étoit parent, dans le degré de l'ordonnance, d'une des parties. Il y avoit plusieurs chefs jugés; le sieur.. avoit même été compartiteur dans quelques-uns; il avoit pris le parti de remettre au greffe le montant de toutes les vacations de commissaires consommées jusqu'alors.

Messieurs de la deuxième ne voulurent point prendre sur leur compte de regarder comme non avenu tout ce qui avoit été fait, et de recommencer le procès; ils eurent l'honneur d'exposer l'état des choses et leur embarras à Monseigneur le chancelier, et de lui demander une décision.

Monseigneur le chancelier leur marqua, par une lettre trèsétendue, dont il les honora, en date du 21 juin 1734:

« Que tout juge qui connoissoit en lui des moyens de récu»sation étoit obligé de les déclarer, suivant l'ordonnance, et » d'attendre ensuite que les autres juges eussent levé son scru

pule, ou l'eussent approuvé; qu'il suivoit nécessairement, » de cette règle, que le doute sur la qualité de juge ne pouvoit » commencer que du jour qu'il avoit reconnu quelques causes » de récusation en sa personne; que, jusque-là, ou jusqu'à » ce qu'il eût été récusé par les plaideurs. tout ce qu'il y » avoit de fait dans la bonne foi et par une ignorance qui » n'avoit rien d'affecté, ne pouvoit être critiqué, ni même » paroître suspect ».

Monseigneur le chancelier terminoit sa lettre par mar

quer:

« Que les dix juges qui resteroient encore après la retraite » du sieur... pourroient achever de finir le jugement > d'un procès, qu'il seroit aussi peu régulier que dangereux » de recommencer; que, si cependant la chambre avoit en

core quelque inquiétude sur ce sujet, et que, pour prévenir » les démarches d'un plaideur téméraire mal conseillé, elle » vouloit qu'il parût qu'elle avoit désiré de savoir les inten»tions du roi, sur le point dont il s'agissoit, elle pouvoit en » faire une délibération dont elle lui enverroit copie, et sur » laquelle il recevroit les ordres de Sa Majesté ».

La grand'chambre a cru devoir se conformer à la conduite de MM. de la deuxième ; et c'est pour remplir cet objet que le sieur. a rédigé ce mémoire. Le sieur.... étoit dans la bonne foi et dans une ignorance qui n'avoit rien d'affecté.

même, doit subsister en entier, suivant ma lettre de l'année 1734, il est encore plus indubitable qu'une connoissance qu'il n'acquiert qu'après l'arrêt rendu

Il y avoit déjà quelque temps que ce procès lui avoit été distribué, et qu'il avoit prévenu les procureurs qu'il se disposoit à le rapporter. Le procès étoit du chef du sieur de Kermel-Pouilladon, comme l'ayant repris en qualité d'héritier d'un autre sieur de Kermel, son frère aîné, marié dans le pays de Dinan, et resté veuf et donataire de sa femme, nommée Louise Jan.

Le sieur....

qui ne voyoit au procès que des Kermel et des personnes de la famille des Jan. Le sieur.. ........ ne connoissoit et n'a jamais connu aucun de ces sieurs de Kermel et Jan. Il est vrai que le sieur........ connoissoit la demoiselle de Kerdunneau-Coroller, dame de Kermel, sa parente; il la vit pour la première fois, il y a environ seize ans, dans un voyage de deux jours qu'il fit à Lannion; il croit qu'il la vit encore dans un voyage aussi court qu'il fit, il y a cinq à six ans. Elle n'étoit point mariée alors. Il n'étoit point en correspondance avec elle ni avec sa famille, établie en ce pays-là; donc la demeure ordinaire du sieur..... lorsqu'il est hors de Rennes, n'a jamais été à Lannion, et est, depuis cinq ans, et avant le mariage de la demoiselle de Kerdunneau-Coroller, éloignée de près de vingt lieues.

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Le sieur..... n'a jamais écrit ni reçu de lettres des sieur et dame de Kermel avant et depuis leur mariage.

La dame de Kermel ne porte ni le nom du sieur. ni celui de sa mère.

Et, enfin, pour achever de justifier la bonne foi du sieur......, il a reçu, le 22 de ce mois, par la main du procureur du sieur de Kermel, deux lettres, une en date du 9 du même mois, et une autre d'une dame de ses parentes, en date du 10, par lesquelles l'une et l'autre de ces personnes apprennent au sieur........ la parenté, et lé prient de vouloir bien, en cette considération, s'entremettre pour accommoder l'affaire, ou bien la remettre à la distribution.

Dans ces circonstances, le sieur........ a vu le procès, sans avoir aucun lieu de soupçonner qu'il eût aucune relation avec les parties. Il la rapporte avec cette particularité si flatteuse, que l'avis qu'il ouvrit, favorable au sieur de Kermel, fut adopté que par un seul des juges, et que l'arrêt passa de treize à quatorze voix contre deux.

ne

Monseigneur le chancelier est supplié d'avoir la bonté de décider si l'arrêt tiendra, ou si la minute sera lacérée, et le procès remis à la distribution.

et signé, ne peut jamais fournir le moindre prétexte pour y donner atteinte; il n'est pas moins certain comme la dame des Portes, qui a gagné son procès le soutient, que la délibération des juges, pleinement affermie par la signature de l'arrêt, a formé un droit acquis irrévocablement à cette partie, qu'on ne peut lui ôter sous prétexte d'une découverte faite postérieurement à cette signature. Rien ne seroit, d'ailleurs, plus contraire à l'honneur de la magistrature, que de ne pas se fier, en pareil cas, à la déclaration du juge, et surtout à celle d'un magistrat du caractère et de la réputation de M.. On doit

même y ajouter d'autant plus de foi, que la cause de récusation, qui ne lui a été connue qu'après coup, est fondée sur une alliance qu'il a entièrement ignorée, et dont il assure qu'on ne lui a donné aucune part. Tout concourt donc ici à laisser subsister un arrêt dont l'autorité ne peut être justement révoquée en doute; et l'on auroit pris un très-mauvais parti, si l'on avoit suivi la première pensée qui étoit venue dans l'esprit, et qui étoit de supprimer la minute d'un arrêt qui avoit toute sa perfection.

S. IV. - Évocations.

Du 18 septembre 1729.

Je voudrois pouvoir être toujours en état de n'avoir qu'à louer également la sagesse et la modération de toutes les chambres du parlement de Besançon, leur zèle pour la véritable dignité de cette compagnie, et leur attention à y faire régner, autant qu'il leur est possible, l'union et la tranquillité. Vous pouvez juger par là combien je suis affligé, lorsqu'il ne m'est pas permis d'en porter un jugement si favorable, et d'approuver entièrement leur conduite.

C'est le premier sentiment dont j'ai été touché à la lecture de la lettre que vous m'avez écrite, et du procès-verbal que vous avez pris soin de faire dresser D'Aguesseau. Tome XII.

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