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S. III.-Jugemens, Partages ou Confusions de voix, Récusations, Prises à partie, Cassations.

Du 30 avril 1728.

La lettre que vous m'avez écrite au sujet des prises à partie, peut donner lieu d'agiter trois difficultés :

La première regarde les personnes qui peuvent former des demandes en prise à partie;

La deuxième tombe sur la forme dans laquelle ces sortes de demandes doivent être reçues ;

La troisième a pour objet les causes sur lesquelles de pareilles demandes peuvent être légitimement fondées. Sur le premier point vous avez raison de croire, en général, qu'on ne doit pas écouter un intimé lorsqu'il demande la permission de prendre des juges à partie, parce que régulièrement il faut être appelant d'un jugement pour pouvoir être en droit de se plaindre du juge.

Mais il en est de cette maxime comme de toutes les autres règles générales, qui sont rarement sans exception, le véritable cas où elle a lieu est lorsque le jugement subsiste en son entier ; alors la partie qui a soutenu ce jugement, et qui en profite, est non recevable à attaquer le juge qui l'a rendu, parce qu'elle n'a point d'intérêt de le faire; mais lorsque le jugement a été détruit, et qu'il l'a été par la faute ou par le fait propre du du juge, l'action change de fait, et ce n'est plus là le véritable cas de la maxime générale. Toute partie qui souffre un préjudice a intérêt de le réparer, et comme l'intérêt est la mer sure des actions ou des demandes que l'on peut former en justice, elle est recevable, sans difficulté, à de

mander un dédommagement de la perte qu'elle a soufferte; mais à qui peut-elle le demander? Ce ne sera pas, sans doute, à l'appelant qui a gagné sa cause et qui n'a fait qu'user de son droit, elle ne peut donc s'adresser qu'aux juges, comme à la seule cause du préjudice qu'elle a reçue; c'est ainsi que dans les matières criminelles, lorsque l'instruction est déclarée nulle par le fait du juge, la partie civile qui avoit été intimée sur l'appel de cette instruction ou de la sentence qui l'avoit suivie, est en droit d'obliger le juge à payer les frais de la nouvelle instruction qu'il a fait faire à la place de celle qui a été cassée; et si elle souffroit une perte considérable par la nécessité de recommencer cette instruction, elle pourroit demander des dommages et intérêts contre le juge qui y auroit donné lieu par sa faute. C'est pour la même raison que l'ordonnance de 1667 a répété tant de fois, que les juges pourroient être condamnés aux dommages et intérêts lorsqu'ils contreviendroient, dans ce qui les regarde personnellement aux dispositions de cette ordonnance; en un mot, la règle générale, qui ne permet pas à l'intimé de prendre à partie un juge qui lui a fait gagner sa cause, doit cesser toutes les fois qu'il l'a gagnée inutilement, l'ayant perdue dans la suite, et cela par le seul fait du juge.

Le deuxième point, qui regarde la forme dans laquelle les demandes en prise à partie doivent être admises, ne souffre aucune difficulté; ce n'est point en vertu de commissions expédiées en chancellerie, que les juges peuvent être assignés en pareil cas, c'est seulement en vertu d'arrêts du parlement, qui ne doivent être rendus qu'avec un examen suffisant, pour ne pas rendre cette voie trop facile et trop commune; et comme il paroît que l'usage du parlement de Bretagne est conforme à ce que je lui écris, je n'ai rien de nouveau à lui recommander sur ce sujet.

A l'égard du troisième point, qui concerne les causes pour lesquelles un juge peut être pris à partie,

il seroit difficile d'établir des règles certaines et uniformes sur ce sujet; tout ce que l'on peut dire en général, est qu'un juge peut être pris à partie nonseulement lorsqu'on le soupçonne d'avoir jugé per sordes aut per inimicitias, mais encore lorsqu'il a manqué, comme je viens de le dire, au devoir essentiel d'un magistrat, comme en jugeant les parties sans les entendre, ou en favorisant ouvertement et sans apparence de raison une partie au préjudice de l'autre, ou en se rendant juge dans sa propre cause, ou en contrevenant formellement, comme je l'ai dit encore, aux dispositions des ordonnances, qui portent que les juges qui les violeront seront condamnés aux dommages et intérêts des parties; telles sont les raisons les plus spécieuses qui puissent servir de fondement aux arrêts qui permettent de prendre des juges à partie, sauf à examiner dans la suite, lorsque le juge est assigné, si ces moyens sont bien prouvés.

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Du 5 novembre 1728.

J'AI reçu la lettre que vous m'avez écrite le 15 octobre dernier, par laquelle vous me marquez que vous ne voyez point d'expédient plus propre à procurer au sieur dont vous me renvoyez le mémoire, la justice qu'il demande, que d'ordonner à M. devenu conseiller honoraire depuis le partage en question, de prendre sa séance avec les sept autres juges titulaires, dans la chambre où le partage est intervenu. Pour bien juger si ce tempérament peut être approuvé, et s'il assureroit suffisamment la validité du jugement qui sera rendu, il faudroit savoir sur quel fondement M... qui n'est plus que conseiller vétéran, sert à la grand' chambre, au lieu de continuer de servir dans la chambre à laquelle il étoit attaché dans le temps

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qu'il étoit militaire; si ce n'est que par un simple usage, non autorisé par le roi, que les honoraires servent à la grand'chambre, quoiqu'ils ne dussent pas encore y être admis, suivant l'ordre de leur réception? Je crois, comme vous, qu'en ce cas on peut lever la difficulté dont il s'agit, par une simple délibération du parlement, qui portera que M....... assistera au jugement de l'affaire du sieur.

par rapport au chef de la condamnation des dépens qui reste à régler; mais si c'est par un édit, ou une déclaration du roi, ou un réglement autorisé par Sa Majesté, qu'il a été décidé que les vétérans serviroient à la grand'chambre, en ce cas, M...... n'ayant plus le pouvoir d'exercer ses fonctions dans une autre chambre, il faudra nécessairement que ce soit le roi qui le lui rende, pour cette fois, en dérogeant aux règles contraires; et il n'en coûtera rien aux parties, si l'on prend cette voie, parce qu'il ne faudra pour cela qu'un simple arrêt expédié en commandement, comme on a coutume d'en user lorsqu'il s'agit de la continuation d'un rapporteur, qui est monté à la grand'chambre au-delà du temps, où, suivant l'usage des compagnies, il peut encore faire le rapport à son ancienne chambre des procès dont il a été chargé. Prenez donc la peine de me donner les éclaircissemens dont j'ai besoin sur le point que je viens de vous marquer, afin que je sois en état de vous faire savoir plus décisivement de quelle manière la difficulté dont il s'agit doit être levée.

Du 4 décembre 1728.

J'AI reçu la lettre que vous m'avez écrite, le 19 novembre dernier, sur l'affaire du sieur...... Le parti de faire expédier un arrêt en commandement, pour permettre à M... quoique conseiller honoraire, d'assister au jugement de ce qui reste à décider, dans cette affaire, est celui qui me paroît D'Aguesseau. Tome XII.

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le plus convenable; vous pouvez donc faire dresser un projet de cet arrêt, ce qui se fera plus exactement sur les lieux qu'ici, et prendre la peine de me l'envoyer, pour le signer et le faire expédier. Il n'en coûtera tout au plus que les frais du sceau au sieur. et je ferai même en sorte, s'il est possible, qu'on les lui épargne.

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J'ai reçu une lettre de M.

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Du 4 janvier 1729.

gouverneur de Saint-Brieux, au sujet de la demande en séparation de corps et d'habitation que madame sa fille a formée contre M. son mari. Je vois par cette lettre, qu'il y a deux articles qui lui donnent une inquiétude assez ordinaire à ceux qui ont le malheur de plaider. Le premier, est qu'il prétend que l'affaire étant à présent dévolue au parlement de Rennes, vous ne voulez y donner audience qu'à huis clos. Je ne savois pourquoi cette précaution qu'on prend quelquefois en pareil cas, pour ménager l'honneur des familles, et pour ne pas augmenter la chaleur dont ces sortes d'affaires sont presque toujours accompagnées, ne lui paroissoit pas convenable; mais j'ai appris que c'est parce que l'audience à huis clos ne se donne qu'une fois la semaine, et qu'elle est d'ailleurs fort courte, en sorte que l'expédition des causes qui y sont portées n'y peut être que fort lente: d'un autre côté, comme l'affaire a été plaidée solennellement à la sénéchaussée de Rennes, M. ...... croit qu'il n'y a plus rien à ménager, parce que l'éclat est déjà fail, et que toute la ville de Rennes est instruite des circonstances de cette affaire.

Le second article, qui me paroît bien plus difficile à croire que le premier, est que vous voulez faire les fonctions de juge en cette occasion, quoique proche parent de M. à quoi M. ajoute que MM. vos beaux-frères, se dé

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