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veau conseiller dont la présence auroit exigé, comme je viens de le dire, qu'on recommençât entièrement le rapport et l'examen du procès, pendant qu'il restoit plus de juges qu'il n'en falloit pour achever la

délibération.

Enfin, la liberté même qu'on a donnée aux trois conseillers de la chambre des eaux et forêts, qui n'étoient pas du nombre des juges entre lesquels le partage s'étoit formé, d'assister au rapport qui se faisoit pour vider ce partage, est une nouvelle raison pour faire voir que le réglement de 1739 ne doit être entendu dans le cas présent que comme je viens de l'expliquer.

S'il étoit vrai que l'intention du roi, dans ce réglement, eût été que les juges empruntés des deux chambres du parlement fussent regardés comme des juges nécessaires et uniques, il n'auroit pas fallu y joindre les trois conseillers de la chambre des eaux et forêts, qui avoient encore la liberté de leurs suffrages on les y avoit appelés cependant, et l'on avoit bien fait de les y appeler, parce qu'il n'y avoit rien qui pût les exclure de faire la fonction de juges; mais de cela même il résulte que, si après que l'on s'est conformé au réglement de 1739, il arrive quelqu'accident à l'un des juges que l'on a appelés, qui ne lui permette pas d'assister au jugement d'un procès sur lequel le rapporteur a déjà opiné, les choses retombent dans les règles du droit commun, c'est-à-dire, que la délibération doit être continuée et achevée avec les juges qui sont présens en nombre suffisant.

En voilà assez, et peut-être plus qu'il n'en faut, pour résoudre le premier des doutes que vous me proposez; et je l'aurois fait de la même manière si j'avois été consulté dans le temps qu'il s'est formé, c'està-dire, au mois d'août dernier: les choses ont-elles changé de face par le laps de temps, et parce que les conseillers de deux chambres qui avoient été appelés. pour vider le partage, ont changé de service depuis ce temps-là, et ont passé dans d'autres chambres à l'ouverture du parlement? C'est ce qui fait naître le

second doute; mais il me paroit encore plus aisé à résoudre que le premier.

C'est une maxime certaine que les parties ont un droit acquis, si l'on peut parler ainsi, sur les juges qui ont assisté au rapport et à la visite d'un procès, et, ce qui est encore plus fort, à l'opinion du rapporteur. Ce seroit leur faire une espèce d'injustice de leur donner de nouveaux juges dans ces circonstances; et un retardement, auquel elles n'ont aucune part puisqu'il n'est venu que du fait des juges, ne sauroit changer leur état ni les mettre dans la nécessité d'en instruire de nouveau, et de courir le risque de la différence qui pourroit se trouver entre les sentimens des premiers et ceux des derniers.

Il n'est donc pas douteux qu'il ne faille, à cet égard, s'en tenir à la règle commune, et qu'on ne doive procéder à présent à finir le procès dont il s'agit, de la même manière que si on l'avoit jugé au mois d'août dernier. Il a été fixé dès-lors dans un état invariable et auquel, par conséquent, le changement de service qui est survenu depuis ne peut donner aucune atteinte : il est vrai seulement que si le conseiller dont la maladie s'est trouvée si mal placée, est à présent entièrement guéri, il doit continuer à faire ses fonctions dans ce procès, et ce ne sera pas y apporter un changement, ce sera, au contraire, le remettre précisément et entièrement dans la même situation où il étoit lorsqu'on y a interrompu le cours des opinions.

Du 5 juin 1750.

Le conseil du roi s'aperçoit souvent que les motifs qui lui sont envoyés par des cours supérieures, pour soutenir les arrêts dont on demande la cassation, sont l'ouvrage des conseils de ceux qui ont obtenu ces arrêts, plutôt que des juges qui les ont rendus, ou du ministère public; et il n'est pas difficile

de sentir la différence qui se trouve naturellement entre le style d'un avocat, tout occupé des intérêts de son client, qu'il s'est accoutumé à défendre avec chaleur, et celui d'un magistrat toujours impartial, qui ne s'attache qu'à bien expliquer les véritables fondemens de la décision des juges, et à répondre précisément aux moyens par lesquels on veut l'at

taquer.

De là vient que le premier, c'est-à-dire, un avocat, veut toujours traiter, et souvent même avec une grande étendue, le fond de la contestation qui a été jugée entre les parties, quoique la demande en cassation ne soit fondée que sur des moyens tirés de la forme; au lieu que le magistrat sait se renfermer plus exactement dans des justes bornes, et ne cherche à défendre son jugement que sur les points qui donnent un prétexte pour s'en plaindre.

De cette diversité de style il résulte une différence encore plus importante dans l'impression que les motifs peuvent faire lorsqu'on les lit au conseil, qui ne sauroit avoir aucune confiance dans un ouvrage qu'il ne regarde que comme un mémoire de la partie inté

ressée.

Il n'est pas même absolument impossible que celui qui en est l'auteur, n'étant pas assez instruit des véritables motifs de la décision, y en substitue d'étrangers qui donnent lieu de casser des arrêts dont on auroit reconnu le régularité, si ceux qui les ont rendus avoient expliqué eux-mêmes les raisons de leur sentiment.

Pour prévenir de si grands inconvéniens, et pour l'honneur même des cours supérieures, j'ai cru devoir vous marquer ce que vous aurez à faire dorénavant, lorsque vous enverrez des motifs au conseil, quoiqu'il soit naturel, et apparemment conforme à votre usage, que vous les receviez des mains du rappor→ teur, quand il s'agit d'un arrêt rendu sur un procès par écrit, et de celles de l'avocat-général, quand il est question d'un arrêt rendu à l'audience sur ses conclusions.

Il est bon cependant que vous revoyiez attentivement ceux qui auront été remis, afin que s'il manquoit quelque réflexion importante sur le fait ou sur le droit, vous soyez en état d'y suppléer de concert avec ceux qui les auront dressés.

Mais il peut arriver, ou que les conclusions de l'avocat-général, qui a porté la parole, n'aient pas été suivies, ou que l'arrêt qu'on attaque ait été rendu à l'audience.sans conclusions du parquet.

Dans le premier cas, l'avocat-général n'est pas trop en état de vous fournir les motifs du jugement, et il peut avoir même la délicatesse de ne vouloir pas s'en charger; ainsi, il faut bien alors que vous vous fassiez instruire de ces motifs par celui qui aura présidé à l'audience où l'affaire aura été jugée.

Dans le second cas, il est encore plus évident que Vous ne pouvez qu'en user de la même manière. Au surplus, toutes les fois qu'on a ordonné que les pièces seroient mises sur le bureau pour en être délibéré, soit que les conclusions des gens du roi aient été suivies par les juges ou qu'elles ne l'aient pas été, scit qu'ils n'en aient pas donné dans l'afiaire dont il s'agissoit, c'est à celui qui a fait le rapport du délibéré de vous remettre les motifs de l'arrêt, de même que dans le cas d'un jugement par écrit.

Je n'ai pas besoin de vous dire que dans toutes les occasions où vous auriez été partie, ou fait des réquisitoires, vous serez plus en état que persoane de travailler vous-même à la rédaction des motifs; mais, soit dans ce cas, soit dans tous ceux que je viens de marquer, la règle la plus importante à observer, est que les motifs soient dressés avec précision, et de telle manière qu'ils remplissent entièrement l'objet le conseil se propose en les demandant, qui est de s'éclaircir sur les véritables moyens de cassation, tels que l'incompétence des contraventions aux ordon

que

nances.

Il est très-rare que des moyens de cassation, tirés du fond même de la contestation, soient écoutés au conseil; il est dans l'usage de s'en remettre sur ce

point à la religion des magistrats, et il a toujours pour principe qu'on ne doit pas confondre la demande en cassation avec la voie de l'appel ordinaire. Il est vrai que les plaideurs cherchent souvent à se faire un moyen de la prétendue injustice du fond de la décision; mais il est facile à ceux qui dressent les motifs de juger, par la requête du demandeur en cassation, de la qualité de ses moyens, et de faire un juste discernement de ceux qui peuvent faire impression sur l'esprit du conseil par la contravention à des ordonnances dans le fond même de la décision; et c'est à l'éclaircissement de ces sortes de moyens que l'on doit s'attacher presqu'uniquement dans les cas où la connoissance du fond peut influer dans le jugement de la demande en cassation: plus les motifs sont réduits à ce qui est essentiel, plus ils auront de succès lorsqu'ils paroîtront sous les yeux du conseil, et plus ils feront d'honneur à ceux qui les auront dressés.

Il est bon que vous fassiez part de cette lettre, nonseulement à MM. vos collégues, mais à M. le premier président de votre compagnie, afin qu'il puisse avoir toute l'attention que sa place, et encore plus son amour pour la justice, exigent de lui, à faire en sorte que les magistrats qui dresseront les motifs des arrêts rendus à leur rapport, y travaillent eux-mêmes dans l'esprit que je viens de vous expliquer.

Du 29 juillet 1750.

La question que vous me proposez, par votre lettre du 25 de ce mois (1), est encore plus aisée à résoudre

.......

(1) MÉMOIRE JOINT A CETte lettre. LE 7 juillet 1750, le sieur... conseiller en la grand'chambre, rapporta un procès entre la dame veuve des PortesJan, d'une part; le sieur de Kermel-du-Pouilladon, et autres, d'autre part.

Le sieur de Kermel perdit son procès envers toutes les par

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